Anarchy in the 6th world

Des auteurs égocentriques ? Check. Des éditeurs débordés ? OK. Des illustrateurs au bout de leur life ? Fait aussi. Tiens, et si on allait un peu la rencontre des traducteurs ? Quand on voit le volume occupé par les VF chez les principaux éditeurs de la place, c’est quand même étonnant qu’on n’entende pas plus ces gens-là, surtout quand le projet prévoit une pat d’adaptation assez significative. Commençons aujourd’hui par l’interview de Mathieu « Carmody » Thivin qui nous parle de la VF de Shadowrun : Anarchy qui vient d’entrer en foulancement chez BBE.

 

1. Si je dis, Anarchy, c’est Shadowrun mais en jouable, j’ai bon ?

Ah ouais, vous êtes comme ça au Fix ? Vous attaquez directement par les questions polémiques sans échauffement ni préliminaires ! 😉 Shadowrun est un jeu riche et complexe, tout à fait jouable, mais sa densité ne plaira pas à tout le monde : Anarchy en garde la richesse mais fait en sorte d’être plus accessible et plus rapide, pour les nouveaux venus comme pour les autres ! Anarchy, c’est comme la version arcade rapide d’un jeu à l’origine en mode tour par tour.

2. Sois honnête : Anarchy est compatible avec tout mon matos Shadowrun ou je peux tout benner ?

En bref : oui, tout est utilisable, mais pas forcément en intégralité. Ça va dépendre des suppléments mais aussi des gens.

Anarchy c’est toujours du Shadowrun, le même univers, les mêmes corporations et machinations, les suppléments de contexte sont donc parfaitement utilisables avec Anarchy.

Pour les scénarios, ça va déjà dépendre de la façon de jouer (narration classique ou partagée, j’en reparlerai plus bas). En narration classique les scénarios sont parfaitement utilisables (il faudra éventuellement convertir certains PNJ mais vous verrez dès la question suivante que c’est pas la mer à boire). En narration partagée, les aventures ont tendance à ne pas suivre la direction que l’auteur a prévue, cela dit on reproche souvent aux scénarios SR de ne pas être assez détaillés, pour le coup c’est plutôt un avantage. Je dirais donc que les scénarios sont aussi utilisables.

Viennent ensuite les suppléments de matos et de règles. Bon je ne vais pas mentir, les règles en elles-mêmes ne serviront pas à Anarchy. Le truc avec les suppléments de règles Shadowrun, c’est qu’ils contiennent toujours du background, en approfondissant le sujet du bouquin (la Magie dans le Grimoire des Ombres par exemple), mais aussi à travers les commentaires des shadowrunners qui s’expriment dans l’ouvrage. Pour ceux qui souhaitent ne rien rater de l’univers, le connaître dans ses moindres détails, il y a donc des choses à prendre dans les suppléments de règles, mais pour la majorité des joueurs ils ne sont pas indispensables, mis à part comme énorme liste d’idée d’Atouts.

3. Mouais… et la conversion de tous mes PNJ de mes suppléments V5 pour Anarchy se fera-t-elle facilement ou bien il faut prévoir de poser une semaine de RTT avant chaque scénario ?

Ça ira vite. Anarchy contient les stats de plus d’une cinquantaine de PNJ, il n’y aura qu’à se servir. De plus, Anarchy contient deux méthodes de conversion de SR5 à Anarchy, l’une rapide pour les PNJ (~5 à 10 minutes) et une plus détaillée pour les PJ ou les PNJ vraiment majeurs. Avec l’habitude il est aussi très facile de convertir les PNJ à la volée en cours de partie, et puis, pour être honnêtes, les stats des PNJ sont loin d’être toujours nécessaires 😉

4. Je me suis laissé dire que c’était le même système qui était utilisé à la fois pour la matrice et pour la magie ? (…) Mouais, sinon, y a pile ou face qui marche pas mal aussi…

En voilà une idée qu’elle est bonne ! Alors pile ou face c’est peut-être un poil simpliste, il faudrait inventer des pièces à plusieurs faces… là je crois que je tiens une idée ! Faudrait même que je pose un brevet, je pourrais appeler ça des dés 😉

En fait, on peut dire ça de la plupart des jeux, SR5 compris, je ne suis pas sûr que je vois où vous voulez en venir.

Le système c’est de lancer autant de dés que (Attribut + Compétence + éventuellement Atout) contre une difficulté. Ça marche effectivement pour le combat, la magie, la Matrice, la discrétion et la séduction, ce que tu veux. Ça ne signifie pas qu’il n’y a quelques règles spécifiques à la magie ou la Matrice, mais elles sont réduites autant que possible et certaines sont optionnelles. Comme beaucoup de choses à Anarchy et dans tous les jeux de rôle, c’est de la narration que viennent les différences. C’est l’histoire qu’on partage autour de la table qui rend un test de discrétion différent d’un test de bluff.

5. Cues, plot points… ah, OK, mais Shadowrun devient carrément un jeu narrativiste en fait ?

C’est vrai que ça y ressemble, mais l’anarchie c’est pas quand tout le monde fait la même chose 😉 En plus, le narrativisme (et la théorie LNS en général), plus je me renseigne, et plus j’en entends parler, moins je comprends. Je vais répondre au mieux. Déjà on peut jouer à Shadowrun : Anarchy de deux façons différentes :

En narration classique on est sur un jeu très traditionnel, avec un meneur qui gère l’univers et les PNJ et les joueurs qui se concentrent sur leur personnage, pas de quoi dépayser le rôliste moyen. Alors effectivement il y a des plot points et des Cues, ces derniers ayant même donné leur nom au système, sauf que je ne comprends toujours pas pourquoi vu qu’en VO les Cues n’ont aucun impact sur les règles. En VF, j’ai donné un peu de corps à tout ça : les Répliques (Cues en VO) et Comportements (Dispositions en VO) peuvent être activés pour obtenir un bonus à l’aide des points d’Anarchy (plot points en VO, sauf qu’il n’ont pas tant que ça d’impact sur l’intrigue, d’où le changement de nom). Est-ce suffisant pour parler de narrativisme ? Disons qu’il y a une pointe de narrativisme sur un système globalement simple mais classique.

En narration partagée au contraire, chaque joueur devenant à son tour une sorte de “mini-MJ” pendant lequel il peut influer sur l’histoire à travers son personnage mais aussi directement, dans la limite de ce que le MJ lui permet. Dans ce cas on sort effectivement du jeu de rôle classique. Je ne sais pas si on peut réellement le qualifier de jeu narrativiste dans la mesure où il n’y a pas vraiment de règles pour cadrer ça. On n’est pas dans une PbtA avec des moves codifiés qui encadrent ce qui est possible, c’est plus… anarchiste !

6. Tu es donc le traducteur de Anarchy pour la VF. T’es un vrai anarchiste qui ne respecte aucune autorité ou bien tu obéis fidèlement à la VO ?

Ouais je suis un gros Anar’ ! C’est pour ça que j’ai pris la VO et que je l’ai toute chamboulée, j’ai déplacé des trucs d’un chapitre à l’autre, j’ai rajouté d’autres machins. Parce que tu vois, la VO, c’était vraiment l’anarchie 😉

J’ai vu dans Anarchy une occasion rendre le Sixième Monde (l’univers de Shadowrun) accessibles à ceux qui ne sont pas fans des règles fournies et détaillées de SR5. Malheureusement, j’y ai aussi vu une occasion manquée par manque de rigueur. BBE m’a donné la possibilité et m’a fait confiance pour rectifier le tir. Je me suis donc permis :

  • D’enrichir le background pour permettre aux novices d’appréhender l’univers, en particulier des détails “pratiques” sur la magie et la Matrice
  • De réorganiser le livre pour en faciliter la lecture
  • D’errater les règles (la marque de fabrique BBE sur Shadowrun, poussée à fond sur Anarchy)
  • D’ajouter des règles optionnelles pour que ceux qui le souhaitent puissent coller un peu plus à ce qu’ils connaissent du Shadowrun classique.

Cette VF est donc fidèle à l’esprit de la VO, avec ses règles simples, qui permettent de raconter des histoires dans le Sixième monde sans avoir besoin de connaître des livres entiers de règles, mais plus complète, avec une organisation plus lisible, et bénéficiant d’errata et de mois de feedback. Elle devrait intéresser même ceux qui ont adopté la VO.

7. Ce Anarchy est-il finalement un jeu à part entière dont la gamme va se développer en parallèle de la gamme « classique » ?

Shadowrun 5 et Anarchy vont effectivement coexister, mais je ne sais pas si on pourra effectivement parler de deux gammes parallèles : les suppléments de background et les scénarios seront utilisables avec les deux jeux. Les suppléments de règles seront plutôt spécifiques à SR5. En VO, un supplément Anarchy est annoncé (Chicago Chaos), c’est trop tôt pour se prononcer sur une éventuelle adaptation VF, on avisera en fonction du succès de la PP et du contenu de ce supplément. Anarchy sera donc un one-shot, porté par la gamme Shadowrun normale.

8. Du coup, pour débuter à Shadowrun, il vaut mieux utiliser Anarchy ou la boîte d’introduction Shadowrun V5 ?

Ça dépend des goûts de chacun.

La boite d’initiation permet d’aborder en douceur la richesse et le détail des règles de Shadowrun 5 avant de se lancer dans le grand bain. C’est l’idéal pour ceux qui apprécient les règles qui couvrent exhaustivement tout ce qu’un personnage peut souhaiter faire et qui s’immergent dans le monde en feuilletant des catalogues d’équipement et d’options pour accroître l’efficacité de leur personnage, mais qui souhaitent de l’aide pour démarrer.

Shadowrun : Anarchy, de son côté, s’adresse à ceux qui préfèrent se concentrer sur quelques points significatifs de leur personnage pour se lancer à l’aventure, ceux qui se satisfont très bien que le MJ gère à la volée tout un tas d’événements en fonction de son interprétation et de l’intérêt qu’il y voit pour l’aventure, ceux qui souhaitent que l’histoire prenne le pas sur les règles.

Ce n’est pas le même public.

9. Ah, au fait, on est d’accord tous les deux : un foulancement juste pour financer UN supplément pour une gamme célébrissime, c’est abusé, hein ?

On n’est pas d’accord, non. Déjà, ce n’est pas un supplément, mais au 2 avec Shadows of Paris (plus un écran) que l’on vient d’annoncer (et puis si c’était 6 vous m’auriez dit que c’est abusé, qu’il faudra attendre des années pour que tout sorte, etc.).

Ensuite, le succès d’une gamme ne se limite pas à sa célébrité : vous mêmes avez commencé cet interview en soulignant la lourdeur de Shadowrun, qui rebute effectivement un certain nombre de joueurs. Si les foulancements étaient au départ un moyen pour lever des fonds et limiter les risques pour l’éditeur, ils sont maintenant plus que cela : ils permettent de communiquer, de calibrer la production (dans un sens comme dans l’autre, éviter les ruptures en cas de succès inespéré a aussi son intérêt) et de faire une étude de marché. A défaut de vraiment craindre de se planter (BBE a déjà engagé des fonds, ça fait plus d’un an que je travaille sur cet ouvrage), il est impossible pour nous de savoir combien de personnes seront tentés par l’aventure Anarchy, qui est quand même un produit atypique : va-t-il convaincre ceux qui suivent la gamme classique ? Va-t-il attirer d’autres joueurs ?

Enfin, est-ce qu’autant d’acteurs du JdR auraient recours au financement participatif, avec succès, si c’était tellement abusé ?

http://www.black-book-editions.fr/