36 15 Sans Détour

Le célèbre éditeur Sans Détour associe son image (et pour le moment, celle de son jeu phare, L’Appel de Cthulhu) à l’application rôliste Abission Dargonis. Curieux. Et en tout cas au moins l’occasion de se pencher sur les relations parfois délicates entre web, contenus gratuits et édition professionnelle de JdR.

Ce ne sont pas les rédacteurs du célèbre « C’est Lundi, c’est… gratuit ! » qui vont le nier : le web a offert un merveilleux outil de promotion et de diffusion du JdR aux mains des éditeurs. Désormais, pour diffuser une feuille de PJ, un kit de découverte, une aide de jeu officielle, un scénario bonus… vous pouvez le faire à l’intention de centaines voire de milliers de joueurs sans avoir à supporter de coût d’impression et de distribution. Magique ! C’est même devenu une coutume : quelle gamme digne de ce nom ne dispose pas de quelques éléments de support PDF gratuits à télécharger ?

Or, cette coutume, devenu un gage de sérieux pour les éditeurs voire pour les auteurs (on vous a déjà parlé des 105 PDF dédiés à Bloodlust Metal du Chagar Enchaîné ?), est aussi une contrainte qui oblige à générer très régulièrement du contenu gratuit qui utilise les ressources de vos auteurs, maquettistes voire illustrateurs. There’s no free lunch, comme disait l’autre. C’est donc du coût d’un côté, du gratuit de l’autre. A moins de se reposer sur la passion désintéressée des auteurs, difficilement tenable.

Depuis le début de cette pratique, les gros éditeurs (ceux qui ont beaucoup de gammes et donc beaucoup de suivi à générer) se posent donc la question de la monétisation de ce travail invisible. Sans remonter jusqu’à l’époque du Minitel aux connexions hors de prix à laquelle notre titre rigolard fait référence, on peut au moins se souvenir de la courte expérience de la Gazette de Multisim.

De quoi, me direz-vous ?

Bah, vous voyez, déjà : ça montre que ça n’a pas super bien marché…

On était alors au début des années 2000. Multisim archi-dominait le marché et commençait à envoyer du lourd question gammes pléthoriques. L’idée est alors venue de diffuser du contenu dématérialisé (du PDF, quoi) destiné aux joueurs et surtout aux MJ de chacun de leur jeu à succès. Cela prenait la forme d’un court PDF de 20 à 40 pages, sommairement mis en page mais bourré d’aides de jeu, scénarios inédits, etc. Il y avait L’Immortel pour Nephilim, L’Aventurier pour Guildes, L’Inspiré pour Agone, etc.

Pour y accéder, il fallait s’abonner. A l’année. Bah oui, je vous le dis : on était encore en 2001-2003, là. Pour un an et la promesse de 6 numéros, vous en aviez pour 250 ou 350 FF selon le jeu soit, potentiellement, l’équivalent de 55 euros (sans l’inflation). Franchement dissuasif. Même les joueurs, pour accéder à un contenu plus restreint devait raquer : 120 FF/an. Pffff, ‘connaissent pas mes joueurs, les gars ^^ Ceci expliquant cela, l’affaire n’a guère eu de succès. Trois numéros pour L’Immortel et pour L’Inspiré, deux pour L’Aventurier, etc. Depuis, l’affaire était entendue : le gratuit, ça devait rester gratuit, na !

Aujourd’hui, les évolutions techniques et technologiques du marché offrent de nouvelles perspectives aux éditeurs. La première astuce est de mettre à contribution le foulancement. Les contenus additionnels sont en partie proposés en bonus qui servent à rendre attractifs les différents paliers du financement. Ainsi, les rôlistes auront bel et bien leur suivi additionnel, parfois même exclusif mais il aura été financé en amont. On perd un peu en spontanéité et en réactivité mais l’astuce permet quand même d’intégrer réellement le coût de création de ces scénarios ou aides de jeu additionnels, voire d’en financer une version papier en cas de gros succès.

L’autre voie, peu explorée jusqu’à cette annonce de Sans Détour, est le monde des applis. Aujourd’hui, peu de loisirs échappent à l’usage d’applis pour mobiles ou tablettes. Le jogging, l’élevage de bichons nains, le tuning de tracteurs… et pourquoi pas le JdR ? Les quelques applis qui existent restent peu connues et encore en marge du domaine des grands éditeurs francophones. Ici, Sans Détour mais aussi (on ne prête qu’aux riches, n’est-ce pas ? ^^) les XII Singes, Sycko,le Matagot, etc. ont accepté d’associer leur image et celle de leurs jeux phares à cette application.

Dans le détail, Abission Dargonis se veut le compagnon indispensable de vos parties de jeu de rôle, que vous soyez MJ ou simple joueur. Il faut prendre un abonnement au prix faramineux de… 1 euro mensuel (les petites rivières, tout ça…) pour pouvoir créer un compte pour votre table de jeu et bénéficier d’outils pour organiser vos parties plus simplement. Gestion des scénarios, des stats des PNJ, des listes de sorts, des cartes ou encore des Unes de journaux, etc. L’appli peut donc aider à gérer une partie mais s’exprime encore mieux en campagne, pouvant faire le lien entre les joueurs même entre deux séances.

En tant que MJ, vous pouvez paramétrer la personnalisation de vos différents joueurs et gérer individuellement les informations auxquelles chacun a accès. Attention, toutefois : l’abonnement vaut pour une personne. Si vous voulez connecter tous vos joueurs, il faudra débourser 4, 5, 6… euros pour le tout.

Autre personnalisation possible, comme au bon vieux temps de la Gazette Multisim, vous pouvez vous abonner spécifiquement au jeu que vous pratiquez pour retrouver des informations préremplies. Trinités et donc L’appel de Cthulhu sont dispos et d’autres comme Crimes ou Metal Adventure devraient suivre.

Tout cela mérite d’être testé dans les conditions, parfois épiques, d’une vraie partie (« ‘tain, j’ai plus de batterie ! ») mais ne peut que paraître bien alléchant aux MJ et joueurs un peu agacés par l’archaïsme de nos méthodes à base de « post-il tombés par terre », « feuille volante qu’on ne retrouve plus derrière l’écran » ou encore de « faux parchemin au marc de café qui fait pitié ».

Si ce coup d’essai s’avère être un coup de maître, on peut aisément imaginer que demain il semblera évident à tous les éditeurs de sortir une appli payante en guise de suivi pour chacune de leur gamme. A suivre, donc.