Un travail de Romain (1)

Si vous suivez le JdR francophone depuis quelques années, le nom de Romain d’Huissier ne peut pas vous être inconnu. En dehors des chapelles et des écoles d’experts autoproclamés, Romain trace son propre parcours d’auteur défendant sa vision du jeu (où l’héroïsme et le grand spectacle se doivent d’occuper une place majeure) et ses obsessions personnelles (du genre porter un slip par dessus son pantalon tout en mangeant des nems). Au fil de nombreuses créations et collaborations à succès (Qin, Hexagon, La Brigade Chimérique, etc.), Romain a acquis un recul et une vision acérée de notre petit monde rôliste dont on avait très envie de l’entendre parler. Cela tombe, le Monsieur a aussi une grosse actu. Et pas seulement en matière de JdR.

Première partie

1. Les XII Singes, BBE, Casus Belli, Di6dent… Alors ça va, ton plan machiavélique de domination du JdR francophone se déroule sans accroc ?

Ouhlà comme tu y vas !

Déjà, tu auras remarqué qu’Hexagon Universe est en pause depuis un an (même si avec Sébastien Célerin, on vient tout juste d’avoir une brillante idée pour un peu relancer la gamme…). Pour Di6dent et Casus Belli, j’écris essentiellement des articles. Et pour BBE, je rédige Mythic Battles : Pantheon.

Si on fait le bilan, ça ne pèse pas bien lourd – et c’est loin de suffire pour contrôler toutes les synergies du monde du JdR francophone (pour citer un Grand Ancien). D’autant qu’après le gros chantier qu’est Mythic Battles : Pantheon, je n’ai guère de projets JdR marquants à mon planning ces temps-ci (je vais enchaîner sur la rédaction des Gardiens célestes, le dernier tome des Chroniques de l’Étrange – dont aucun éditeur de JdR ne semble vouloir pour une adaptation, ça la fout mal pour un maître du monde).

2. Côté JdR, ta grosse actu c’est le jeu de rôle qui accompagne le jeu de ‘gurines Mythic Battles : Pantheon. T’as fait comment pour décrocher le truc : un CV et une lettre de motivation ?

Même pas, pour une fois ! C’est vrai qu’en général en tant qu’auteur dans ce milieu, quelle que soit ta ludographie, tu es obligé de refaire la Nouvelle Star à chaque projet que tu veux lancer. C’en est même épuisant et je crois que c’est la raison pour laquelle l’un des meilleurs artistes de notre milieu – Willy Favre, pour ne pas le nommer – s’est bien mis en retrait ou que d’autres comme Laurent Devernay et yno bossent en indépendants. Il faut dire que c’est frustrant : tu as derrière toi des jeux aussi variés (et réussis, si on en croit l’accueil public et critique) que Qin, la Brigade chimérique, Luchadores, Hexagon Universe, etc. et pourtant, c’est comme si tu redevenais un anonyme entre deux projets.

Mais là ! Enfin ! Pour Mythic Battles : Pantheon, c’est BBE qui est venu me chercher. Dès que l’accord a été trouvé avec Monolithe / Mythic Games, ils m’ont appelé depuis Cannes pour me dire qu’ils avaient un projet taillé pour moi. J’avoue que ça m’a fait tout drôle et je leur suis vraiment reconnaissant de la confiance témoignée. Du coup, je mets mes tripes dans ce jeu afin de ne décevoir personne – ni les éditeurs ni les acheteurs / backeurs. Cela dit, ce n’était pas une première avec BBE : déjà pour New York Gigant, c’est eux qui m’avaient demandé si je n’aurais pas un petit contexte de jeu à leur proposer pour les Chroniques oubliées. Et ça leur a tellement plu qu’ils ont demandé une suite – concrétisée avec l’aide de Laurent Devernay, Jérôme Barthas et Nicolas Guérin. Et bon, ça saute aux yeux au vu du pitch de ce setting qu’il est la raison pour laquelle Mythic Battles : Pantheon m’a été confié.

J’ai conscience que c’est un gros projet : il y a un partenariat avec Monolithe / Mythic Games, la levée de fond pour le jeu de figurines s’est terminée sur la rondelette somme de plus de deux millions et demi d’€uros, les illustrations tuent absolument tout… À moi de me montrer à la hauteur (et pour le moment, je suis plutôt fier de ce que j’ai produit).

3. Des jeux auxquels tu as participé comme Luchadores, Devâstra et désormais Capharnaüm connaissent des deuxièmes éditions. Ça te file un coup de vieux, hein ?

Ah ! Ne t’en fais pas, pour le coup de vieux j’ai déjà mes difficultés érectiles qui sont un bien meilleur moyen mnémotechnique.

D’autant que là, il n’y a que pour Capharnaüm que l’on peut parler d’une vraie nouvelle édition – dix ans après, ça valait la peine de revenir sur Jazirât. Par contre, tant pour Luchadores que pour Devâstra, il s’agissait avant tout de redonner leur chance à des jeux n’ayant pas pu vraiment rencontrer leur public.

Devâstra avait été volontairement saboté par le 7ème Cercle – je ne sais d’ailleurs toujours pas si c’était par méchanceté ou incompétence, voire une habile combinaison de ces deux raisons. Un format peu adapté, une mise en page à la ramasse, des illustrations certes réussies (Jérôme Huguenin oblige) mais absolument pas dans le ton du jeu, une sortie en catimini sans aucune promotion… Au final, tu te retrouves avec un éditeur qui t’accuse d’avoir écrit un mauvais jeu car il ne se vend pas. What the fuck, quoi. Grâce à Pulp Fever, Devâstra a pu bénéficier d’une forme bien plus en adéquation avec l’esprit manga voulu par Laurent Devernay et moi – maquette, illustrations, format… Hélas, le jeu n’a été tiré qu’à environ deux cents exemplaires – autant dire qu’il était mort-né. De mon côté, j’ai lâché l’idée de le faire se réincarner une fois de plus mais Laurent Devernay semble vouloir garder l’idée au chaud. Qui vivra verra…

Même souci pour Luchadores : une forme parfaite chez Pulp Fever – Laurent Rambour a mis les moyens et toute l’équipe lui en est reconnaissante pour ça, car il a permis au jeu d’exister et de se tailler sa petite réputation-culte – mais là encore un tirage très bas (deux cent cinquante exemplaires) qui n’a pas permis à tous les intéressés de se le procurer. OVNI a donc repris le chantier de façon ambitieuse : avec un nouveau livre de base, un écran dur et déjà un recueil de scénarios. Je me suis même laissé dire que l’un des rédacteurs de Di6dent planchait actuellement sur une campagne pour Luchadores !

Enfin pour en revenir à ta question : ça va, ce ne sont pas ces nouvelles éditions qui me font me sentir vieux. Les cheveux blancs et l’impuissance chronique, par contre…

4. Tu écris la majeure partie de la gamme Hexagon Universe (XII Singes) avec ton co-auteur Laurent Devernay. Or, on en est déjà à huit ouvrages en moins de trois ans. C’est quoi le secret ? La coke ? L’appât du gain ? Des « nègres » enchaînés dans ta cave ?

Tu n’as jamais écrit de jeu de rôle, jeune innocent – ça se voit. De la coke ? À peine du Lidl Coke, ouais. L’appât du gain ? La grosse Lulu se fait plus que moi en trois passes. Quant aux nègres dans ma cave, j’ai trop peur d’être condamné pour aide aux migrants.

Non comme d’habitude, c’est la passion… Réponse langue de bois, j’imagine – mais pourtant vraie. J’adore le jeu de rôle, j’adore les super-héros – et là je peux faire les deux à la fois ! J’ai la confiance de Jean-Marc Lofficier et Sébastien Célerin, du coup ça reste un travail très agréable d’œuvrer sur cette gamme.

Mais comme je le disais, Hexagon Universe est un peu en pause. Pas par manque d’envie ou d’idées, plutôt parce que d’autres plus gros projets sont montés dans l’échelle des priorités – ce que l’éditeur comprend d’ailleurs parfaitement. Je t’ai cependant déjà teasé : un supplément atypique pourrait bien voir le jour prochainement. Et j’ai encore de quoi développer cet univers sur plusieurs suppléments. Idéalement, j’aimerais m’arrêter au Livre 10 – les chiffres ronds, c’est cool. On verra bien ce qu’il en est.

Instant pub : que les fans d’Hexagon Universe n’oublient pas que Rivière blanche publie des comics, romans et recueils de nouvelles ! La saison 4 des Strangers bat d’ailleurs son plein actuellement.

5. Tu publies également pas mal de settings ou de jeux complets (comme le dernier Magistrats & Manigances) en feuilleton (sur trois numéros) dans les pages de Casus Belli. C’est ça l’avenir de l’édition du JdR selon toi ?

Drôle de question. Non, je n’ai pas de pensée ou prévision si profonde. Tout est une question d’opportunités.

Pour New York Gigant, j’ai déjà raconté l’histoire : la rédaction de Casus Belli me demande si je n’aurais pas un décor de jeu à leur proposer pour varier les plaisirs autour des Chroniques oubliées. Je réfléchis quelques heures et hop, je leur propose cette idée. Puis Vigilante City prend forme dans ma tête et ils disent encore banco.

Quand je constate que le D3 de Cédric Ferrand paraît aussi dans le magazine – en plusieurs parties –, je me dis qu’il y a matière à réfléchir à ce format. Et je ne vais pas chercher bien loin : Magistrats & Manigances aurait dû être le décor de jeu soumis à Cédric quand il avait pour projet de créer un système générique de polar à paraître chez John Doe, avec des settings variés. Ça ne s’est pas fait (j’ignore pourquoi même si j’ai ma petite idée) mais vu que D3 avait pu trouver refuge dans les pages de Casus Belli, pourquoi Magistrats & Manigances ne le pourrait-il pas ? Une fois Benjamin Kouppi (tiens, encore un membre de Di6dent ! Quel vivier de talents que ce mook…) embarqué, ça s’est concrétisé vite grâce à son incroyable vitesse de réflexion et d’écriture. Il a d’ailleurs porté le jeu bien plus que moi.

Je pense que ce type de parution a le grand avantage de se « débarrasser » d’idées qui tourbillonnent dans l’inconscient mais dont on en sait guère que faire. À la base de New York Gigant, il y avait notamment la volonté d’écrire un Scion réussi – mais le nullissime mastodonte de White Wolf occupait trop le créneau. Vigilante City, c’était une envie d’explorer une facette du genre super-héros mais j’estimais qu’entre la Brigade chimérique et Hexagon Universe, ça faisait déjà beaucoup. Pour Magistrats & Manigances, l’idée traîne depuis mon article dans Jouer avec l’Histoire. C’est donc assez libérateur de concrétiser ces projets dans Casus Belli – où ils sont appréciés et touchent un large lectorat. D’autant que les moyens sont mis sur les illustrations : quel plaisir de travailler avec Christophe Ouvrard ou Monsieur le Chien !

6. Tu as d’autres projets en cours chez le confrère ?

Non, pas précisément. À part continuer à tenir la rubrique le Coin des Comics, bien sûr (je dois d’ailleurs remercier Laurent Devernay de me l’avoir léguée).

Disons que j’ai la tête dans mes deux gros projets de l’année et que j’évite de prévoir d’autres choses sur mon planning. Mais souvent, ça vient sur un coup de tête, une opportunité – Vigilante City, je l’ai proposé un lundi et je l’ai écrit entièrement le mardi et le mercredi. Il suffit d’avoir l’inspiration car ces contextes pour Chroniques oubliées s’écrivent vite (dès lors qu’on a l’idée) et sont toujours bien accueillis par la rédaction.

Pour des jeux en trois parties, c’est pareil : il faut avoir l’idée qui corresponde à ce mode de publication et que le planning de Casus Belli le permette. Et qui sait si ces jeux ne pourront pas connaître une réincarnation sous une forme complète par la suite ? Les portes sont ouvertes…

7. On a la sensation que tu te tiens soigneusement à l’écart de la POD, des Patreon/Tipeee voire du crowdfunding et, plus généralement, de tous ces avatars de l’édition post-moderne. C’est ton côté « vieux con » ou bien ?

Vieux con, assurément je le suis ! Mais non, rien à voir avec tout ça.

En fait, tout ce qui est POD ou Tipeee, ça fonctionne bien quand on est ce que je pourrais appeler un « auteur total » : c’est-à-dire qu’on écrit le texte, qu’on l’illustre et qu’on le met en page. Comme Yno ou Le Grümph : eux peuvent produire du contenu complet par eux-même. Moi, je ne sais qu’écrire – du coup, c’est trop pauvre pour mériter d’être édité sous une forme spartiate. Il faudrait m’entourer d’artistes pour combler mes lacunes et au final, ça me reviendrait bien plus cher que ça ne me rapporterait. Des limites de mes talents… C’est frustrant, je l’avoue volontiers.

Cela dit, je réfléchis très fort à un Tipeee où je proposerais chaque mois du contenu comme une nouvelle inédite ou des aides de jeu… Ça resterait brut de décoffrage car je ne peux guère offrir plus. Mais j’ai aussi un peu peur que mon ego couine de souffrance en voyant le peu que je récolterais par cette voie… Enfin je vais tenter sous peu, on verra ce que ça donne – je suis même ouvert aux suggestions et collaborations.

Enfin sur le crowdfunding, d’une certaine façon il y a eu Mythic Battles : Pantheon – même si la levée de fond ne concernait pas directement le JdR. J’ai aussi un peu participé à Héros & Dragons. Comme toujours, c’est une question d’opportunité. Si un éditeur me propose un projet en crowdfunding, pourquoi pas ! Mais j’aurais une paire d’exigences non-négociables : comme améliorer la rémunération des créateurs en fonction des paliers, car ça me semble normal que les producteurs de contenu soient payés d’autant plus que les sommes engrangées sont importantes. BBE l’a fait pour Héros & Dragons et Mythic Battles : Pantheon, Lapin Marteau sur sa collection Sortir de l’Auberge – et c’est admirable.

(à suivre)

D’ici là, vous pouvez suivre Romain sur son blog où dernièrement il parle notamment en toute transparence des revenus qu’il tire de son activité d’écriture : http://rom51.blogspot.fr/

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