C’est dans la tête, Docteur !

Les Encagés, 7 Sorcières, Limbes, Héritage et plus tard MAGNA. Ce qui est certain, c’est que l’occulte contemporain voire l’horreur contemporaine est un genre pour le moins prisé par les XII Singes. Ce qui est prisé également de l’hyperactif éditeur, c’est la création francophone. De fait, tout cela se retrouve dans Égrégore, un jeu longuement annoncé dans le planning du Fix et finalement désormais en foulancement. Le jeu est entièrement l’œuvre de son créateur unique, Stéphane Sokol, à la fois auteur des textes et directeur artistique de la gamme. Pour en apprendre plus sur cet intrigant projet, il nous fallait donc nous tourner vers lui mais également vers son éditeur, représenté ici par Sébastien Célerin.

1. Égrégore tente le mariage de la carpe et du lapin en associant les open space des multinationales et l’ésotérisme. Où se positionne le curseur du jeu entre réalisme moderne et fantastique ?

Stéphane Sokol (auteur) : Le curseur se déplace d’un réalisme pur et dur vers un fantastique poisseux. Le fantastique dans Égrégore est celui que l’on peut retrouver dans nos cauchemars. À mesure que les personnages recouvrent leur mémoire, le fantastique gagne en épaisseur. Il est là comme un marqueur de l’avancée des personnages sur le chemin de leur identité perdue. En fait, un changement de paradigme a lieu dans le tumulte d’un voyage vers un ailleurs au cours duquel nos héros doivent surnager.

2. Égrégore sera-t-il un jeu complet formant une gamme indépendante ou bien est-ce essentiellement une campagne au même titre que Pax Elfica, par exemple ?

Sébastien Célerin (éditeur) : Égrégore est un micro-univers, en ce qu’il est une machination et une lutte, ainsi qu’une campagne. Cette dernière est prête à jouer, mais il est possible de proposer des aventures avant son déroulement aux personnages de la campagne, voire à d’autres, afin de rendre le cadre initiale, la multinationale OTK. vivante, crédible. Et puis… les personnages seront emmenés dans une intrigue où ils douteront de leur identité… à raison.

3. Dans le dernier JDR Mag, il est dit, en parlant du jeu, « qu’on aura souvent l’impression d’être perdu ». Le jeu ne risque pas d’être trop « linéaire » ?

Stéphane : La campagne donne les points-clés de l’évolution des personnages. La proposition de jeu idéale est d’intercaler des scénarios entre les épisodes de la campagne, ce qu’offre le recueil de synopsis Amnésie Ontologique. Le Narrateur se voit remettre les clés de l’univers d’Égrégore ; libre à lui de « perdre » un peu ses joueurs pour renforcer leur immersion, la perception des difficultés de leur alter ego.

4. On peut dire qu’Égrégore est un « jeu d’auteur ». Comment sera accompagné le MJ pour retranscrire au mieux cette vision et cette descente vers la folie ?

Stéphane : Oui, dans le sens où il est le jeu d’un auteur. Cela étant, chaque Narrateur (le MJ) s’appropriera l’univers en lui donnant des teintes allant du délire conspirationniste à une épopée fantastique dans les coulisses de la seconde moitié du XXe siècle. Le premier livre expose le pourquoi et le comment de ce « microcosme ». Des options y sont proposées. Le Narrateur peut décider d’en mettre certaines de côté. La campagne mise à part, on peut sans doute voir Égrégore comme un bac à sable, où la vision du Narrateur prime afin d’amener les personnages, et les joueurs, vers une certaine compréhension de la « folie ».

5. Justement, en parlant de folie, en quoi l’expérience de jeu change de ce qu’on connaît dans un Appel de Cthulhu ou d’un Kult ?

Stéphane : Dans l’Appel de Cthulhu, la folie est liée à la découverte du Mythe. Dans Kult, c’est grâce à elle que les personnages découvrent la vérité, par-delà le voile de la réalité. Ces propositions ont en commun l’horreur. Dans Égrégore, l’expérience de la folie serait (je le mets au conditionnel pour éviter la prétention d’être un auteur un brin mégalo) plutôt métaphysique. La campagne mène les personnages à des révélations sur les choix qu’ils ont pu faire par le passé, un passé dont ils ont tout oublié. In fine, elle propose une expérience de la folie plus proche de Kult sans pour autant la singer.

6. Le jeu est motorisé par le système FU modifié. C’est-à-dire ? Comment modifier un système déjà aussi épuré ??

Stéphane : Le jeu a subi plusieurs mutations. Tout d’abord, son univers. Puis différents moteurs de jeu se sont succédés : Gumshoe de Pelgrane Press, DeusEx (moteur de jeu maison), The Window (système narrativiste très souple et intuitif à rapprocher de FU) pour enfin se focaliser sur un des nombreux hack du Free Universal, le FUBAR. Ce hack est une sorte de version 2 du FU, une version qui devrait arriver mais qui tarde un peu. FUBAR (le nom craint un peu, je trouve…) lisse un peu les probabilités notamment au niveau de la gestion des bonus/malus. Mais il reste dans l’esprit de FU.

Sébastien : Au cours des tests des XII Singes, il a encore évolué. On peut dire que notre FUBAR est donc non-officiel.

7. Lancer un jeu dont l’univers gravite autour d’un big pharma aux activités douteuses, c’est un peu gonflé en ce moment, non ?

Stéphane : Je vais anticiper sur la question suivante. Il y a 11 ans, il n’y avait pas la Covid, mais déjà des scandales pharmaceutiques, le Mediator par exemple. Autour de cette nébuleuse de groupes internationaux régnait, et règne encore, une opacité délirante. Ils ont des fonds quasi-illimités, une influence mondiale, des scientifiques zélés et un culte du secret assez prononcé. Qui sait ce qui s’élabore dans les labos aseptisés de telles firmes ? Tout est réuni pour faire d’un tel géant de la santé un antagoniste de taille !

Égrégore n’est pas une critique ou une œuvre contestataire. Il a une… licence narrative à leur endroit. Les Big Pharmas sont simplement un formidable terrain de jeu à exploiter. Alors pourquoi s’en priver ?

8. Vous avez hésité ?

Sébastien : Non, pas à ce sujet. Il y a d’autres aspects de la campagne qui ont davantage préoccupé d’autres Singes. La campagne s’appelle Totenköpfe. Ce n’est pas un hasard. Le passé d’OTK et des personnages est lié aux heures sombre de l’Europe. C’est la raison pour laquelle la précommande participative propose un texte masqué que les Narrateurs peuvent afficher afin d’en apprendre davantage avant de s’engager. Bon nombre d’industrie du XXe siècle se sont développés sur des connaissances réunies par suite d’atrocités mis en œuvre sur l’ordre d’esprits dérangés, cruels et sans aucun respect pour l’humanité. S’il est intéressant de jouer avec l’histoire, il n’en est pas moins vrai qu’on ne le peut sans doute pas avec tout le monde. En outre, nous voulons garder la surprise des moments forts de la campagne sans pour autant prendre les lecteurs en traître.

9. À propos d’hésitation… Cela fait au moins 10 ans que le jeu est annoncé comme imminent. D’abord, sur le site de Stéphane, puis dans le planning des XII Singes. Pourquoi une si longue attente ?

Stéphane : Plusieurs facteurs justifient ce long cheminement. Tout d’abord, je voulais simplement développer une proposition de jeu et la diffuser gratuitement : un chapitre tous les quinze jours. Puis les XII Singes m’ont proposé d’éditer Égrégore. De là a découlé une phase de corrections/relectures. Elle a pris un peu de temps, mais elle a fait mûrir le jeu. Puis est venu la volonté d’avoir une campagne pour accompagner la publication. Là, le processus s’est encore ralenti afin de laisser infuser la campagne. Voyant les délais se rallonger, j’ai moi-même pris du recul pour souffler, me ressourcer après quatre ou cinq ans de gestation et d’errance dans cet univers. Puis, il y a deux ans, le projet a été relancé : objectif 2022 ! Adaptation, réécriture et maquette ont permis de pouvoir lancer un financement participatif. Tout est prêt, il ne manque plus que l’intérêt des internautes pour faire d’Égrégore une réalité.

Sébastien : Stéphane est sympa de ne pas me balancer. Je suis responsable d’une partie du retard. Il y a 5 ans, j’ai rejoint Bragelonne pour y développer des jeux de société, ce qui est devenu Bragelonne Games qui publient notamment For The Story. J’ai tout simplement eu moins de temps qu’au début pour accompagner Stéphane, et récemment (il y a deux ans en fait) Yannick Leclerc avec qui je pilote JdR Mag m’a proposé de prendre le relais car j’étais de moins en moins disponibles. Il sortait d’une des précommandes Nephilim Légende, prenait goût à l’édition de JdR, et l’univers lui a plu. Sans lui, nous n’aurions jamais pu accoucher de la campagne. Il a en outre fait un formidable travail de relecture sur l’ensemble du manuscrit. Je pense qu’Égrégore a bénéficié de ces années d’attente, comme cela a été le cas pour Cthulhu Hack, le Cabinet des murmures, Wastburg… En fait, chez nous, ça sort quand c’est prêt, et on a pas peur de décaler pour avoir le temps de travailler davantage afin de proposer de quoi jouer.

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