On n’est pas sortis du sable ! [chronique Dune]

Cela n’aura pas été long. Quelques mois à peine après la sortie conjointe de la VO de chez Modiphius puis de la sortie au ciné du film de Villeneuve, Arkhane Asylum proposait déjà la VF du jeu de rôle officiel Dune. Et ce, sans foulancement ni rien. Ah, il n’y a pas à dire, cela aura été plus vite que pour Maléfices !

Pour le moment, la gamme se compose essentiellement d’un gros livre de base grand luxe. Ne vous laissez pas berner, il existe des couvertures collectors alternatives : elles sont, il est vrai, plutôt très belles, certes, mais le contenu, lui, n’offre aucune différence avec l’édition standard. Un écran du MJ accompagné de son livret est également disponible. On ne négligera pas le kit de découverte au format PDF gratuit. Le suivi ne va guère attendre non plus puisque l’éditeur annonce pour début 2022 Sable et Poussière. C’est tout simplement le sourcebook sur Arrakis et toutes ses merveilles (environ 156 pages). Il comportera aussi un scénario complet. Bref, comme on le voit, non : on n’est pas encore sortis du sable.

Clairement, le parti-pris du livre de base de Dune a été de le bi-classer beau livre de référence / livre de règles de JdR. Ainsi, toute la première partie de l’ouvrage ne contient pas une seule référence au jeu. Pas simplement en termes de règles, hein ? Pas non plus une seule référence à la proposition de jeu : qu’est-ce qu’on joue ? Comment ? Quand ? (…) Pas plus d’idée de scénario. Non, blam, 80 pages d’infodump sur l’univers de Dune.

Pour tout vous dire, d’habitude, c’est pour moi rédhibitoire. Je lis un jeu, pas une encyclopédie et détacher règles, conseils de jeu et présentation de l’univers m’a toujours semblé être une aberration totale. Cela dit, sur ce coup là, j’aurais tendance à être indulgent. D’une part, Dune est un univers foisonnant dont on ne connaît bien souvent que le ou maintenant les films. Personnellement, malgré une certaine fascination pour cet univers, le tome 1 du cycle m’est toujours tombé des mains bien avant la dernière page et j’ai raté ainsi des masses d’informations indispensables à la mise en jeu de cet univers. Or, ici, c’est à la fois très bien écrit, assez bien équilibré (ni trop, ni trop peu) et sacrément joliment mis en beauté. Après, quelqu’un connaissant mieux l’univers que moi n’aurait sans doute pas le même jugement et pourrait trouver que cela n’est que du remplissage bien loin des préoccupations d’un futur MJ. De même, 80 pages, c’est un poil long pour que les joueurs s’infusent ce vade mecum avant la partie. Bref, c’est une grosse partie du livre qui risque bien de ne servir qu’une fois.

On sauvera toutefois quelques parties de cet imposant infodump qui pourraient être plus aisément récupérables en cours de campagne comme, par exemple, les fiches illustrées consacrées à quelques planètes importantes de l’Imperium.

La suite nous fait au contraire entrer de plain pied dans la proposition de jeu et ce de manière affirmée puisqu’on ne commence la partie « jeu » non pas par les bases du système ou par la création des PJ mais par celle de la Maison à laquelle tous es PJ vont appartenir. On n’en attendait pas moins d’un jeu Dune mais, tout de même, cela fait du bien de voir que cette logique est respectée. On a connu des adaptations de licences qui ne s’embarrassaient pas d’autant de précautions : un système lambda, un infodump sur l’univers et hop, c’est plié. Meuh non, je ne vise personne. Pas même d’autres jeux de cet éditeur…

Le dispositif prévu pour créer la Maison commune est assez simple. IL repose sur une série de questions auxquelles les joueurs sont amenés à apporter leur réponse collective afin de définir progressivement le profil de la Maison qu’ils semblent défendre ensemble. Si, d’un côté, on est soulagés de ne pas voir une section très technique avec des points à répartir dans des machins, on reste tout de même un peu inquiet devant le flou artistique de cette procédure de création. Il y a à chaque question assez peu d’exemples et de suggestions de réponses suggérées et certaines ne reposent que sur la seule imagination des joueurs. Or, pour alimenter cette imagination dans le cadre précis de l’univers de Dune… il faut déjà connaître l’univers de Dune. Cela risque de bloquer pas mal de groupes qui, justement, aimeraient découvrir le célèbre univers à travers ce JdR. On aurait aimé de vastes tables aléatoires remplies de réponses potentielles ou, au moins, des Maisons « prétirées » dans lesquelles les PJ puissent se glisser comme dans des charentaises. Là, si le groupe est peu inspiré ou faiblement connaisseur des spécificités de l’univers, on court quand même le risque d’avoir une Maison peu intéressante à jouer… or, c’est quand même le personnage principal de la future campagne.

Vient ensuite la création des personnages eux-mêmes. Il a été fait le choix raisonnable d’en faire des PJ de niveau intermédiaires : ni chefs de la Maison qui restent toujours en arrière, ni sous-fifres qui n’ont aucune influence sur son devenir. Non, les joueurs vont incarner l’élite opérationnelle de la Maison, ceux sur lesquels on compte pour agir dès que cela devient un peu tendu. Parfois, ils agiront en personne pour tenter une négociation serrée ou libérer des otages, d’autres fois ils dirigeront une escouade de gardes privés ou un convoi de marchandises précieuses. C’est l’équilibre idéal pour vivre un grand panel d’aventures dans Dune.

Deux systèmes de création cohabitent dans le livre de base : une procédure complète et classique et – c’est à la mode désormais – un système plus libre qui implique des choix minimalistes avant de jouer puis qui autorise à compléter et/ou modifier ces choix au fur et à mesure des premières séances de jeu. Ce deuxième système n’est pas très original et ressemble plutôt à une version inachevée du précédent mais il a le mérite d’exister et de permettre ainsi à des joueurs faiblement connaisseurs de l’univers à s’habituer à lui avant de faire des choix définitifs. On revient sans cesse à cette difficulté des jeux adaptant un univers foisonnant.

Le système complet repose essentiellement sur le choix d’un archétype à customiser ensuite. Classique et de bon aloi : les PJ vont devoir former une petite équipe de spécialistes au cœur des enjeux de la Maison, il serait donc préférable qu’ils aient un panel varié de compétences et donc qu’ils ne se ressemblent pas tous. Comme dans bien des propositions de jeu (dungeonverse, cyberpunk, équipage de vaisseau…), les bons vieux archétypes font sens.

Ici, la procédure est toutefois rendue un poil confuse par un curieux système de… euh… pré-archétype ? En effet, le choix initial de game design de faire des PJ les agents d’une Maison les empêche de fait d’endosser des rôles hors-Maison. Or, il se trouve que ces rôles sont souvent plus « sexy » que ceux d’intendant ou de secrétaire des intérêts commerciaux d’une Maison. Pire, même, ce sont eux qui apparaissent iconiques de l’univers ; on parle là des membres du Bene Gesserit, des Mentats, des Fremen, des pilotes de vaisseaux spatiaux… autant de rôles qui, normalement, devraient être exclus du choix des PJ. Pour tenter de résoudre la quadrature du cercle, le jeu propose donc de choisir d’abord un tel profil qui devient la faction d’origine du PJ avant de le faire rejoindre la Maison commune des PJ à laquelle il est donc affilié secondairement. Cela me semble bien risqué. Je ne vois pas quel joueur ne voudrait pas utiliser cette possibilité donnée tant les profils en question sont favorables (ce sont tous à leur façon des êtres d’exception aux capacités rares et, littéralement, surhumaines). Le risque est donc élevé de se retrouver avec un groupe entièrement composé de ces double profils dont la cohésion et la fidélité vis à vis de la Maison deviennent bien douteuses. Il faudrait au contraire limiter ces double profils à une ou deux exceptions mais comment interdire cela à certains joueurs qui veulent juste avoir un perso sympa à jouer ? Délicat.

Qu’il soit fait avec un archétype ou un double profil, qu’il soit fait en une seule fois ou progressivement, dans tous les cas, un PJ de Dune possédera un nombre conséquent de variables. C’est un des traits récurrents des jeux motorisés avec le 2D20 de Modiphius. On peut apprécier le fait que cela remplisse les feuilles de perso avec des choses tangibles sur lesquelles s’appuyer ou s’autoriser à se sentir légèrement perdu. UN PJ possède en effet des compétences, des spécialisations, des traits, des valeurs morales, des maximes, des atouts, une jauge de points de détermination… Tout ceci n’est pas toujours intuitif et, par exemple, contrairement à la plupart des jeux, ce qui fonctionne comme des caractéristiques (constitutives des PJ, récurrentes dans tous les jets…) est appelé compétences. Celles-ci, comme les principes moraux d’ailleurs, sont répartis sur une échelle assez curieuse et plutôt étroite de 4 à 8. Cela s’explique par un fonctionnement très simple des tests de base (on associe deux de ces valeurs pour donc un score compris entre 8 et 16) mais cela n’aide pas à se rendre compte des véritables points forts et points faibles du PJ.

On appréciera toutefois la richesse des personnages ainsi construits, en particulier le développement de leur profil moral qui n’est pas sans rappeler des jeux comme Pendragon. Le PJ possède des scores dans des valeurs morales comme la foi, le sens du devoir ou le goût de la vérité. Les scores les plus élevés doivent s’accompagner de la rédaction d’une maxime appropriée (des exemples sont fournis, rassurez-vous) qui donne encore plus de sens à la manière d’agir habituelle du personnage. Tout ceci n’est pas un gadget et se retrouve au cœur du moindre jet mais aussi de l’obtention de points de Détermination qui sert en quelque sorte de carburant aux exploits futurs du PJ. Là, on est vraiment dans le « system does matter » et il type fortement la façon de vivre des aventures du JdR Dune en mettant les PJ devant des dilemmes ou des sacrifices.

Ce qui est certain, c’est que le système 2D20 a peu de chances de laisser indifférent. Il n’est pas très novateur, empruntant la plupart de ses concepts à FATE et consorts. Mais il le fait de façon très affirmée, pas juste en saupoudrage pour faire genre « nous aussi on est modernes ». Il en ressort un système très présent, un peu procédurier, qui peut séduire ou repousser. Disons qu’on est exactement à l’opposé d’un système OSR, par exemple. Pour s’y sentir à l’aise, il faudra faire un petit effort et se débarrasser de quelques vieux réflexes. Par exemple, dans un duel, vous devez penser à faire une Manœuvre pour déplacer votre Atout « poignard » dans la Zone de défense de votre adversaire quand, d’habitude, vous vous en sortiez bien avec un « je lui meule sa gueule avec mon arme ». Moins stylé, OK, mais plus explicite, pas vrai ? De même, il existe une jauge de Menace qui est alimentée par les tensions générées par les actions des PJ et dans laquelle le MJ peut puiser un certain nombre de points pour créer des périls ou des complications. Si vous êtes habitué en tant que MJ à gérer ça au fil de l’eau et au doigt mouillé, vous allez souffrir.

Le point très positif ici est sans doute que ce système de jeu supporte très bien la notion d’emboîtement d’échelles. Grâce à son approche un peu abstraite, le jeu identifie par exemple un ensemble de moyens à disposition des PJ et ses moyens peuvent être aussi différents que, par exemple une dague, un paquet de pognon, une escouade de soldats ou un appareil volant de soutien aérien. Dans tous les cas, on considère l’aide que le moyen en question peut apporter au PJ et, ainsi, les procédures pour régler une scène d’intrusion, de corruption, de négociation serrée ou un combat de masse seront identiques avec donc exactement les mêmes règles à connaître et à appliquer. Rassurant quand on connaît le défi qu’offrent tous les jeux de SF qui s’aventurent aussi sur le terrain de la fantasy avec leur lot de technologies improbables, aliens redoutables, pouvoirs PSI, etc.

Encore plus, ici, on parle de Dune. Les PJ sont des aventuriers de haut niveau qui peuvent tout aussi bien se trouver au cœur de l’action qu’au commandement d’une petite troupe. Là, c’est nickel : on n’a pas besoin de passer d’un sous-système à l’autre. En revanche, je me répète, quand il s’agit de gérer des scènes plus courantes à hauteur d’hommes, on pourra se demander si tout cela est bien nécessaire et on aimerait bien, parfois, pouvoir juste lancer 1D6+3 ou un simple D20 contre une difficulté…

L’adéquation du système aux ambitions de la proposition de jeu est bien incarnée par un enthousiasmant chapitre abordant dans un désordre stimulant les Atouts à disposition des PJ. Attendez-vous ainsi à voir abords ici aussi bien de l’artillerie lourde, des armes personnelles, des escouades d’élite, des contacts précieux chez l’ennemi, des renseignements confidentiels sur lui, ou, par exemple, des otages. Ce chapitre, que l’on imaginait d’abord être le sempiternel catalogue de matos, est un de ceux qui permet le plus aisément d’imaginer les richesses de vos futures aventures dans l’Imperium.

La suite du livre de base est classiquement consacrée aux conseils au MJ (et aux joueurs). Ceux-ci brassent large au point d’en être un peu confus. On y trouve quelques recommandations générales désormais courantes sur les questions de consentement ou de respect des différences culturelles mais aussi des choses très spécifiques comme la gestion des « stars » de la saga ou encore les problèmes que peuvent faire peser sur l’intrigue du MJ les PJ dotés de talents de prescience.

On aborde ensuite un copieux chapitre consacré aux PNJ. Certains célèbres, d’autres génériques (exemple « un marchand »). On est un peu surpris par la place que tout cela prend puisque chaque PNJ est décrit sur une pleine page. Fort heureusement, il ne s’agit pas de seulement offrir un profil technique réutilisable mais aussi d’envisager chaque PNJ comme source d’intrigues en donnant pour chacun d’entre eux trois exemples individualisés du même archétype puis au moins une accroche scénaristique pour le profil.

Le livre de base s’achève bien entendu par un scénario prêt-à-jouer. Ce n’est pourtant pas si évident compte tenu de la proposition de jeu qui devrait plutôt faire la part belle aux campagnes « PJ orientées » et à la semi-improvisation du MJ. M’enfin, un exemple de ce à quoi pourrait ressembler une aventure-type de Dune semble quand même le bienvenu. Le scénario en question est des plus classiques puisqu’il réunit tout le fan service que l’on peut imaginer à base de Arrakis, épice, Fremen et vers des sables. Il n’en est pas moins fonctionnel et assez agréable à faire jouer (mais très linéaire). On peut le prendre comme une mise en bouche afin de faire découvrir le jeu avant de se lancer dans la vraie campagne.

L’écran du MJ a donc été également édité en même temps. C’est un 4 volets en carton fort comme on les fait dorénavant. Il est au format portrait. L’idée de placer une carte de la planète Arrakis semblait assez bonne a priori mais le rendu est un peu décevant, je trouve. En tout cas, en retrait du superbe livre de base, à mon humble avis.

Cela dit, pas de panique. L’écran a l’excellent bon goût de venir avec son petit livret souple de 36 pages qui, lui, est la bonne surprise. Loin du remplissage habituel, il propose un chapitre quasi indispensable à ajouter au livre de base contenant un matériel très dense à l’usage exclusif du MJ.

On commence classiquement par une présentation des différents thèmes de scénarios que l’on peut espérer faire jouer avec Dune.

On enchaîne avec un plus étonnant générateur d’aventure quia  l’air copieux et bien fichu. Cela semble en effet mieux convenir que des scénarios scriptés pour un jeu qui se base pas mal sur – si j’ose dire… – le bac à sable.

On finit par des synopsis d’aventures à adapter à la Maison de vos PJ et à la situation exacte de votre campagne. Beaucoup, beaucoup, donc, de choses utiles. Et ce pour tous les MJ.

Comme on le voit, et même si on peut compter sur celui du kit de découverte PDF gratuit, la gamme Dune est pour le moment réservée à ceux qui veulent se lancer dans une campagne maison basée sur les actions et les intérêts de la Maison des PJ et pas sur ceux qui veulent faire une visite guidée de l’Imperium. Dans ce cadre, le début de gamme offre de bons outils pour tous les MJ qui auront le courage de se lancer.

5 pensées sur “On n’est pas sortis du sable ! [chronique Dune]

  • 3 mars 2022 à 09:09
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    La VO est chez modiphius. Pas Free League 😉

    • 3 mars 2022 à 10:07
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      Oups, merci, c’est corrigé 🙂

      • 6 mars 2022 à 18:17
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        Très bien cette critique, merci 🙂

  • 6 mars 2022 à 09:53
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    Bac à sable, bravo, il fallait effectivement la placer !

    Le matériel a l’air en tout cas d’être superbe. Mais l’univers est de Dune est tellement figé (pas seulement à cause des Atréides, mais aussi parce que le cycle n’est finalement centré que sur Arrakis) que je me demande à quel point on n’est pas plus dans le beau livre, que le jeu de rôle.

    • 6 mars 2022 à 18:17
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      C’est forcément la question quand on joue dans un univers adapté de romans. Mais perso je pense que dans ce cas-ci, l’univers reste malgré tout très facile à adapter : pas besoin de respecter complètement la timeline des bouquins, et peut-être aussi qu’avant les Atréides, d’autres familles se sont coltinées des tâches toxiques sur Arakis. A voir ce que les joueurs pourraient accepter.

      Dans les préquelles à Dune, d’ailleurs, le monde central n’est pas toujours Arakis, un pan important de l’intrigue se passe sur Ix.

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