Une campagne en pièces détachées [chronique – Le Kit de la meneuse pour RQ]

Je vais essayer d’épargner ceux qui ont déjà lu mes deux précédentes chroniques sur la nouvelle gamme Runequest distribuée en VF par Studio Deadcrows : promis, je vais essayer de ne pas trop revenir sur mon (peu) glorieux passé de vétéran du RQ époque Oriflam… mais quand même ! J’invoque votre indulgence : il nous faut tout de même apprécier les qualités de la présente gamme au regard des défauts, assez rédhibitoires pour l’implantation de RQ dans nos contrées francophones, de la précédente politique éditoriale.

Entre autres défauts, la traduction menée à l’époque par Oriflam avait le tort de privilégier à l’excès les suppléments généralistes comme Les Dieux de Glorantha, Genertela, plus tard Les Secrets Oubliés. Ceux-ci formaient, mis bout à bout, une formidable encyclopédie permettant d’apprécier les charmes de l’univers de fiction complexe qu’est Glorantha mais, en matière de JdR, c’était plutôt secos, laissant le Béotien se débrouiller avec… euh… pas grand chose. Heureusement qu’il y avait les articles des Tatou, la revue spécialisée de Oriflam, pour apporter de temps en temps une petite touche de concret et d’accessible à toute cette littérature finalement assez éloignée des préoccupations d’un MJ lambda voulant juste préparer son scénario pour vendredi soir.

Conscients visiblement de tout ça, les éditeurs (VO et donc VF) de ce nouveau RQ nous proposent donc, en même temps que le livre de base, ce Kit de la Meneuse. Comme le nom le laisse supposer, il s’adresse justement au MJ en quête d’aide pour préparer sa prochaine partie et, clairement, il va en trouver dans ce supplément. L’idée principale est en effet de changer d’échelle et de ne se consacrer dans l’épais livret de ce kit que sur un territoire donné avec sa tribu, ses clans et, bien sûr, les aventures pouvant s’y dérouler.

Cela dit, avant d’entrer dans le vif du sujet qui est donc ce livret à couverture souple, évacuons plus rapidement le côté « kit » puisque celui-ci contient, en outre, le traditionnel écran du MJ ainsi que diverses aides de jeu qui relèvent pour l’essentiel du « tiré à part » afin d’éviter de maltraiter vos beaux ouvrages estampillés Studio Deadcrows.

L’écran, tout d’abord, est très solide et bien conçu. Comme déjà évoqué précédemment (dans notre premier article de la série consacrée à RQ), l’illustration est magnifique et témoigne d’un choix très affirmé (cela ne peut pas illustrer autre chose que RQ Glorantha !). Ce n’est quand même pas forcément très évident de se projeter dans l’ambiance quand on part de loin en ce qui concerne Glorantha. Une scène plus quotidienne (comme la couverture du livret du kit justement) aurait peut-être été finalement plus utile.

Le gros pack d’aides de jeu sous forme de feuilles volantes ou agrafées contient un livret de référence de 20 pages regroupant les tables les plus importantes, un calendrier gloranthien, des cartes de la Passe du Dragon, du sud de Péloria, des terres tribales des Colymar, de Fort Vinclair et du Sentier de la Pomme tirées à part du livret du kit, des fiches de PJ pré-tirés ou encore des feuilles de personnage étendues à photocopier. Tout cela n’est donc pas à proprement parler de la nouveauté mais leur présence sous cette forme est indéniablement utile et justifie bien la dénomination de Kit de la Meneuse pour l’ensemble du supplément.

La nouveauté, bien sûr, on l’attend dans les quand même 140 (!) pages de ce qu’on ne peut plus décemment appelé « le petit livret qui accompagne l’écran ». Ici, très clairement, c’est l’écran qui accompagne cet épais supplément sous couverture souple. C’est là où nous allons trouver le « prêt-à-jouer », c’est-à-dire tous les détails nécessaires à la mise en œuvre d’une région donnée, avec notamment les aventures qui s’y déroulent.

Alors, nouveauté… un petit bémol, d’emblée. Une partie du texte est composée de la description du hameau du Sentier de la Pomme qui est déjà l’épicentre de divers anciens suppléments Apple Lane depuis… 1980 ! Personnellement, je ne vois pas trop l’intérêt de ce flashback nostalgique envers un hameau qui ne m’a jamais semblé passionnant et envers des suppléments assez médiocres au demeurant. Disons que cela doit être le fan service gloranthien…

Heureusement, il n’y a pas que ça dans cet épais livret qui est composé comme un oignon avec des couches successives qui forment un emboîtement d’échelle. On commence par l’échelle de la tribu (ici, celle des Colymars) avec ses mythes fondateurs, son histoire réelle, ses lieux importants, ses différents clans, etc. Cette section comprend aussi la description de sa capitale, Fort Vinclair, avec une superbe illustration de ce bourg fortifié. Comme dans tout le reste du livret, une place (dans tous les sens du terme) très conséquente est donnée aux PNJ avec une belle illu pour chacun d’eux mais aussi des stats blocks qui, à RQ, prennent quand même vraiment beaucoup de place pour une utilité douteuse (à moins que les PJ aient l’intention de se fritter avec les archi-prêtres et seigneurs runiques de la tribu?!).

Logiquement, on passe ensuite à l’échelle inférieure, c’est-à-dire un des clans de cette tribu, en l’occurrence celui des Ernaldori puis à celle du hameau, le fameux Sentier de la Pomme, donc. Là encore, les PNJ sont vraiment très nombreux et bien détaillés (et illustrés). Les angles morts des terres de la tribu sont également abordés avec une liste de lieux d’aventures potentilles, des rumeurs, des rencontres plus ou moins dangereuses à y faire, etc.

Dans l’ensemble, le sentiment qui prédomine est la satisfaction pour tout MJ de se sentir soutenu par ce kit qui propose donc de quoi jouer. Mais, à côté de cela, la sensation de ne pas avoir de quoi jouer « facilement » reste persistante et on peut tout de même se demander si ce supplément, finalement rédigé à l’ancienne, n’aurait pas pu être plus efficace.

Cela concerne d’abord cette partie background. Tout y est très détaillé, en particulier les profils des PNJ qui, background et stats cumulés prennent parfois une pleine page chacun. Il y a les PNJ du clan, ceux de la tribu, ceux du hameau et tout cela finit par faire beaucoup de monde avec des noms chelous. Une liste de profils résumés, une arborescence des relations ou ce genre d’outil aurait tout de même pu être pratique pour rendre cela plus utilisable en jeu.

Surtout, à titre personnel, je suis un peu déçu par la mini-campagne qui, comble de l’absurdité, me semble aller à l’encontre de ce qui est dit plus haut dans la partie background du livret. Oh, bien sûr, tout se déroule dans la région, en particulier autour du Sentier de la Pomme. Mais le premier scénario, et donc l’accroche de l’ensemble de la campagne, est du genre Sept Mercenaires. En clair, on découvre que, en dépit de tout ce qui est dit sur les traditions, la culture, les valeurs des clans de cette contrée, il se trouve des hameaux isolés qui n’ont pas d’autres ressources pour se dépêtrer d’un grave danger que d’engager les premiers PJ venus qui semblent savoir tenir à peu près une épée bâtarde en main. Cela me semble tout de même très douteux et, surtout, vaguement décevant de découvrir que, dans l’absolu, les PJ peuvent tout à fait venir d’une autre région et avoir une autre culture que celles décrites en long, en large et en travers dans le supplément.

Au-delà de cette incohérence, le scénario lui-même n’est vraiment pas fou-fou, se limitant grosso modo à quelques interactions violentes qui, elles non plus, ne rendent pas hommage à la richesse et à la complexité de l’univers de jeu. La suite se poursuit dans la même veine (peut-être même pire…) avec un scénario dont on se dit d’abord que le titre lénifiant – Raid sur le bétail – doit dissimuler quelque surprise de taille… et en fait non : il se résume très exactement à son titre. Passionnant.

Le troisième scénario, plus ambitieux (et le seul que, à titre personnel, je qualifierais de véritable scénario), sauve heureusement l’ensemble. Du mystère, de l’investigation, des dangers vraiment très dangereux, des pérégrinations sur les terres de la tribu, la rencontre de ses PNJ les plus importants… là, OK, on sent le souffle de l’aventure mais aussi l’utilité du reste du supplément. En revanche, on se demande encore si la volonté de coller au plus près des codes du dungeonverse à la D&D (on y trouve de sombres donjons, des elfes sournois et même un dragon !) est une tentative maladroite de montrer que l’on peut jouer à RQ dans ce style ou si c’est un astucieux clin d’œil au Grand Ancien pour montrer comment Glorantha réécrit subtilement les codes de ce médiéval-fantastique à la papa.

Au final, on est quand même un peu déçu par ce livret qui n’est pas si clefs-en-main qu’on l’espérait. Pour autant, il n’est pas non plus inutile et, livré avec l’écran et le pack d’aides de jeu, il reste quasiment incontournable pour vous lancer dans cette nouvelle édition de RQ.

Une pensée sur “Une campagne en pièces détachées [chronique – Le Kit de la meneuse pour RQ]

  • 30 mai 2022 à 15:20
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    Salut,
    un grand merci pour ces trois critiques, très claires et qui m’ont beaucoup parlé… ayant moi-même débuté la meujeutation par Runequest version Oriflam (long time ago… 😉 ), avec le même mélange d’enthousiasme et de frustration que toi. La conclusion pour moi, hélas, est que je ne vais pas acquérir ces 3 ouvrages complémentaires et me lancer dans cette version Studio Deadcrows d’un jeu pourtant pour moi mythique. En effet, je joue désormais avec des joureuses qui n’ont pas le temps de s’investir autant dans un système bien lourd, d’ingérer autant de lore sans facilitation préalable, et la tâche pour simplifier et pré-digérer tout ça me paraît au-dessus de mes forces (et de mon temps disponible, aussi). Les choix malheureux que tu as pointés me paraissent vraiment rédhibitoires, en tout cas plus important que les quelques incontestables réussites de cette nouvelle édition. Dommage, vraiment. Dommage de n’avoir pas pris le temps de refonder vraiment le système de jeu, en gardant le meilleur, en virant les lourdeurs inutiles et en intégrant les innovations intéressantes de l’époque (ex: une petite touche narrativiste). Dommage de ne pas avoir proposé un système de création de personnage prenant en compte les autres origines que « humain sartari ». Dommage, encore ce satané Sentier de la Pomme (qui ne m’a jamais convaincu non plus) et des scénarii si peu inspirés pour commencer dans cet univers. Si d’aventure je me remettais à faire jouer dans Glorantha, je pense que je repartirai du système narrativiste d’Heroquest Glorantha VO… ou de la version Oriflam mais en prenant une version modernisée du BRP (comme OpenQuest). Restera l’épineuse question de la Guerre des Héros, tant attendue et si peu accessible.
    J’espérais tant qu’une nouvelle édition sache donner un second souffle à ce splendide univers… la prochaine, peut-être ? 😉

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