Garde ton argent pour Argyropée

Chez le Fix, on aime bien donner la parole aux créateurs de jeu en train de concevoir leur futur (qui est parfois aussi leur premier) bébé ludique. Il y a quelques temps, on passait la parole à l’expérimenté Arnaud Cuidet pour évoquer son nouveau Avalon. Cette fois-ci, c’est le rookie Frédéric Marin qui va nous parler en détails de son premier jeu, à venir, l’intrigant Argyropée. Le jeu sera prochainement en foulancement. Pour savoir si vous devez garder votre argent pour lui, nous avons soumis Frédéric à une épreuve terrible : un entretien avec notre fameux intervieweur maison !

 

1. Avoue, tu étais parti pour faire un jeu medfan urbain et, au dernier moment, tu t’es dit qu’un environnement Renaissance, cela ferait plus original, pas vrai, hein ?

Le Med-Fan est mon premier amour. D&D, édition 3.5, a accompagné mon adolescence et ma jeune vie d’adulte. Malgré ses défauts et son omniprésence, ce serait malhonnête de ma part de cracher sur ce genre que je porte chèrement en mon cœur. Néanmoins, en ce qui concerne Argyropée, l’intention n’était pas de « faire-pareil-mais-un-peu-différent » J’ai vu beaucoup de JdR estampillés Renaissance-Fantasy/Steampunk/… qui n’intégraient pas la révolution humaniste dans le terme Renaissance ». Avoir de la poudre, des canons, des dirigeables et des hauts-fourneaux n’est pas « Renaissance ». Au contraire, cette période se caractérise surtout par une évolution de la société : arts, sciences, politique, philosophie, religion, morale… Les armes sont la pensée, la critique, l’ingéniosité, l’invention. Voilà un cadre que j’avais envie d’explorer. Un univers optimiste où les intrigues ne seraient pas destinées à toujours se régler par le fer et le feu, une ville qui serait guidée par les progrès sociaux et scientifiques. Voici comment est née Argyropée.

2. Bon, OK mais : pourquoi se limiter à une seule ville. Ça va faire une campagne un peu claustro, non ?

Excellente question. Pour de multiples raisons, j’ai décidé de restreindre l’univers de jeu à une seule cité et à son domaine agricole attenant, car je souhaitais faire du JdR urbain. Mes décennies de jeu m’ont montrées que je préférais cet environnement aux explorations de donjons et aux balades en nature. Et quitte à écrire un JdR, autant qu’il me plaise non ? J’aurais pu créer des continents, des trouzaines de villes et plein de lieux naturels, mais ça n’aurait que dilué l’action. Je voulais une unité de lieu, que je pourrais développer comme bon me semble. Car Argyropée ne va pas se contenter de décrire une simple ville, non. Argyropée est une cité gigantesque, bâtie sur et dans une colline argentifère, où l’urbanisme a étendu ses bras dans toutes les directions.La cité est décrite dans ses moindres détails (le livre d’univers détaillera chacun des presque cent quartiers), tentaculaire, aussi bien à l’air libre que souterrain. Oui claustrophobie il y aura dans les strates, mais ce n’est que l’une des nombreuses facettes de la cité.

Du coup, on peut légitimement se demander en quoi Argyropée est-elle si différente d’autres villes de JdR comme Laelith. Outre son immensité et ses très nombreux districts ayant chacun leur tonalité, Argyropée souhaite apporter son lot de choses inédites. Certaines spécificités marquent la cité. Le Châtiment vermeil, par exemple, est une sorte d’affliction dont les origines sont mal connues et qui frappe les assassins. Chaque personne qui commet un meurtre, sciemment ou non, voit ses iris se colorer graduellement de rouge. De fait, les meurtriers sont facilement appréhendés par la Garde, ce qui a complètement changé la face de la pègre locale. Cette « malédiction » vient d’une volonté de re-dramatiser le fait de tuer en JdR. On dézingue d’autres humains/races à tour de bras dans les JdR habituels. Ici, tuer a un impact direct sur le personnage joueur, et donc un impact direct sur le gameplay et sur le roleplay. Quand je disais que la lame n’est pas la solution dans Argyropée. Il existe d’autres particularités, comme le fait que les armes soient interdites en ville ou l’étrange Mélancolie qui étreint les habitants lorsqu’ils tentent de quitter le domaine. Argyropée est un jeu à mystères, mais pas du genre qui saute aux yeux. Si les joueurs veulent vivre des aventures urbaines, ils seront libres de le faire sans se soucier du reste. Pour ceux qui voudraient gratter le vernis citadin, la ville comporte son lot d’hermétisme et de secrets profondément enfouis.

3. J’ai de la culture, moi… je sens qu’on va parler alchimie, pas vrai ? (…) (bon, OK, en fait, je viens de regarder dans Wikipedia…)

Oui… et non. L’argyropée est un terme utilisé en alchimie pour décrire les processus de transmutation du minerai d’argent. Ce nom a été choisi pour diverses raisons, expliquées en détails dans le livre « Univers & Secrets », mais la principale est que l’argent (le métal) est la source du pouvoir d’Argyropée. Bâtie sur de profondes et riches mines d’argent, la cité a acheté son statut de ville franche et a développé les sciences, l’art et le social grâce à cette manne financière. C’est la cité la plus puissante du continent, la plus évoluée, la plus en avance sur tous les plans humains. L’argent, extrait depuis des générations, s’est même déposé en fines paillettes entre les pavés de la rue, donnant son surnom de Sentiers d’Argent à la ville. La ville est clinquante, dans tous les sens du terme. Les sciences, comme l’astronomie ou l’alchimie, sont donc portées aux nues et ont un poids important dans la vie citadine.

4. Tu n’as pas remarqué qu’en ce moment, c’ était la mode de la 5E ? Pourquoi tu ne fais pas comme tout le monde en motorisant ton jeu avec la 5E ?

C’est tout à fait vrai, mais les règles de D&D 5 sont à l’opposé de ce que je souhaite pour Argyropée. Premièrement parce qu’il n’y a que des humains dans ce jeu. Pas d’elfes, de nains, d’orques ou que sait-je. Deuxièmement parce que les joueurs vont incarner des gens du commun, pas des archétypes avec des classes et des niveaux. Certes ils vont pouvoir évoluer, apprendre des métiers, augmenter leurs compétences, mais au bout de 100 heures de jeu, un tir d’arquebuse dans la tête restera tout aussi mortel qu’à la première heure. Ce que D&D 5 ne permet pas. Troisièmement, la magie n’est pas du tout la même. Imaginez une ville riche et flamboyante où tout le monde (oui, tout le monde) a un accès inné à la magie. Il y aurait des explosions tout le temps, des arrêts du temps, des portails démoniaques partout. Argyropée serait en flamme en une poignée d’heure. Ici la magie est personnelle, intime. Les sorts ne peuvent être lancés que sur soi ou sur des objets, jamais sur d’autres personnes. La magie ne peut pas être stockée, donc pas d’objets magiques farfelus. La magie est douce, feutrée, là où la magie de D&D 5 s’apparente plutôt à un gros coup de pied dans les roubignoles. Nous sommes dans de la low-fantasy.

5. Bon, bon, bon… Mais, pfff, je sens que je vais avoir la flemme d’apprendre un nouveau système. Pas trop compliqué au moins ?

Non. J’ai voulu que le moteur de jeu soit simple et qu’il permette de faire des actions rapidement afin de favoriser l’histoire plutôt que les combats. Ainsi, un avatar n’est défini que par ses compétences et son métier, qui ont un lien de synergie, et pour réaliser quelque chose (aptitude, combat, magie…) il n’y à qu’à tirer un d10, ajouter ses bonus associés et comparer le résultat à une table de réussite. On y trouve tout un nuancier de résultats : échec critique, échec, succès partiel, succès et succès critique. Ainsi pas besoin de s’en référer au Conteur (le maître de jeu), la réussite est immédiatement déterminée et l’on peut avancer. Bien entendu il existe des règles plus techniques pour gérer certains points particuliers, mais ce ne sont que des règles optionnelles pour celles et ceux qui voudraient exploiter à fond le moteur d’Argyropée. Oh et peut-être devrais-je mentionner l’une des mécaniques phares du système, le Panache ? Ce sont des points journaliers qui permettent, sous réserve de faire une description enflammée de l’action, d’augmenter la valeur du d10 pour potentiellement atteindre le succès. Cela privilégie donc la narration à la simulation. Et le Panache permet aussi diverses choses fort amusantes décrites dans le second livre « Règles & Bestiaire ».

6. J’ai l’impression que tu accordes pas mal d’importance aux scénarios, non ?

C’est on ne peut plus vrai. J’ai toujours été extrêmement frustré des scénarios du commerce. Ils sont souvent basiques, orientés vers le combat et/ou linéaires. Bien entendu il existe certains scénarios qui ne sont pas ainsi, mais ma longue expérience et mes très nombreuses lectures (voir mon compte Instagram @chroniques_de_jdrs) m’ont montré qu’ils n’étaient pas la norme. Alors j’ai écrit, écrit, écrit, puis un univers s’est cristallisé autour de mes envies. Le lancement de la gamme Argyropée n’est que le premier pas. Je compte publier au fil des ans des scénarios complexes, longs et riches de couleurs émotionnelles. Deux scénarios (un très court pour donner la saveur du jeu et un relativement long pour débuter dans Argyropée) seront publiés avec la gamme de base, mais ce ne sera qu’un prélude.

7. Tu as l’air d’être parti vers l’aventure du foulancement tout seul comme un grand. Pourquoi ne pas passer par les services d’un éditeur ? Tu as été refusé partout, c’est ça ? Moche.

Si j’avais contacté des éditeurs, oui je pense que j’aurais été refoulé de partout. Ne nous mentons pas, je ne compte pas révolutionner le JdR ni n’ai l’ambition de détrôner les rois. Je ne suis personne dans le milieu. Mon univers est certes inhabituel mais est-ce qu’il se détache vraiment du reste de la production ? D’autres JdR absolument fantastiques existent, tant sur le plan de la Renaissance (Warhammer, Guildes, Flashing Blades…) que sur le plan de la cité où tout se passe (Nightprowler, Laelith…). Alors j’ai décidé de chevaucher une vielle rosse appelée Indépendance et de partir, bon gré mal gré, vers des pâturages inconnus. Cette indépendance me permet de faire le JdR que je veux vraiment, avec autant de descriptions que je le souhaite. Agyropée sera véritablement décrite de long en large. J’ai mon style d’écriture, à la Marcel Proust. Qu’importe, je me fais plaisir ! Je gère aussi les aspects création graphique avec mes maigres moyens personnels et j’ai appris tout seul à maîtriser des logiciels comme GIMP pour les maquettes de couverture ou Scribus pour la publication assistée par ordinateur. Des logiciels libres, en accord avec ma philosophie. Et au bout de la ligne droite, le financement participatif. C’est effrayant, j’ai terriblement peur de n’intéresser personne, mais j’irai jusqu’au bout.

8. Attends, je viens de tilter pour le nom chelou : en fait, tu espères que ce foulancement va te permettre de transmuter ton jeu en argent, c’est bien ça ?!

Erf… Déjà, si j’arrive à me rembourser les frais de création graphique je serais enchanté. Si en plus le financement participatif arrive à rembourser aussi les frais de production et que j’arrive à un solde nul, je serais aux anges. Mais de là à penser que je puisse me faire de l’argent avec ce JdR, c’est déraisonnable. Mon but n’est ni l’argent ni la notoriété, je veux juste publier le JdR qui me plaît pour pouvoir ensuite proposer des histories fortes aux joueurs.

9. Bon, soit. Mais alors, il y aura quoi dans ce foulancement ?

La gamme Argyropée qui sera proposée en financement participatif au printemps 2023 contiendra:

– le premier livre de base « Univers & Secrets » (A4, ~250 pages), qui présentera l’univers de jeu (la cité d’Argyropée et sa plaine agricole attenante) dans un grand luxe de détails ainsi que tous les secrets de la ville dans une section spéciale, afin de ne rien cacher aux Conteurs;

– le second livre de base « Règles & Bestiaire » (A4, ~220 pages), afin de proposer un moteur de jeu calibré pour Argyropée, avec tout ce qu’il faut pour créer, incarner et faire évoluer des personnages variés, plus une partie secrète avec tout le bestiaire propre à l’univers;

– l’écran du Conteur (3 volets A4, format paysage) accompagné du supplément « Anarchitectures » (A4, ~40 pages), une courte aventure afin de goûter du bout des lèvres les épices qui font Argyropée;

– le scénario « Premiers pas » (A4, ~80 pages), une aventure de longue haleine afin de se familiariser progressivement avec l’univers et les règles;

– et, selon le succès du financement, les participants pourront déjà débloquer le prochain scénario « Clair de lune » (A4, ~100 pages), une vaste aventure dans les domaines de l’art et de la science.

10. T’en es où du projet exactement ? Tu sais que j’ai une rubrique du lundi à remplir avec du gratuit. Tu aurais pas quelque chose pour moi ?

À ce jour, toute la partie rédactionnelle est terminée depuis belle lurette. Tout le texte a été relu et corrigé par des personnes incroyablement compétentes. Il ne manque qu’une poignée d’illustrations qui seront livrées en octobre. Le maquettage a bien avancé et je termine l’écran et le livre 1, le reste étant déjà fini. Mon objectif est d’avoir une gamme entièrement achevée pour fin décembre. Entre le jour de l’an et mars 2023 je m’occuperai de la partie marketing, puis en mars 2023 je lancerai la campagne de financement. Sur quelle plate-forme ? Je ne sais pas encore. Mais le Fix sera averti en temps et en heure. C’est d’ailleurs avant le lancement de la campagne de financement participatif que je ferai circuler gratuitement le dossier de presse du jeu. Le Fix aura son fix.

https://m.facebook.com/ArgyropeeJDR

Une pensée sur “Garde ton argent pour Argyropée

  • 22 novembre 2022 à 09:25
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    Chouette interview ! Je souhaite beaucoup de bonheur et de succès à ce projet.

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