Cthulhu : Origines, le passage de témoin

Revenir aux sources de l’œuvre de Lovecraft semble être dans l’ère du temps. Après, Horrifique, c’est au tour de Black Book Editions d’adapter son système maison – Chroniques Oubliées – pour proposer une toute nouvelle gamme baptisée Cthulhu : Origines. Curieux et intéressés que nous sommes, nous avons été poser quelques questions à Alicia et Raphaël, les deux auteurs du jeu. Et la souscription, en cours sur Game On Tabletop, nous fait dire que nous ne sommes pas les seuls curieux et intéressés, puisque 342 rôlistes ont déjà souscrit, atteignant ainsi plus de 530% de la somme demandée. Voyons ensemble comment ce nouveau mythe s’écrit.

Le Fix : Bonjour, Raphaël, bonjour Alicia. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Alicia (A) : Je m’appelle Alicia. À bientôt 36 ans, je suis maman d’un petit garçon de 5 ans.

Je n’aime pas trop me définir, car j’estime que je suis en perpétuelle évolution. Dans mon profil, j’ai les caractéristiques suivantes à mon actif : geek, ésotériste, énergéticienne, philosophe, épicurienne…

Je suis passionnée par les cultures, les légendes, l’histoire, les sciences. Je dirais que mon but dans l’existence est de sortir de la caverne de Platon.

Raphaël (R) : Moi c’est Raphaël. Je vais bientôt avoir 40 ans. Depuis que j’ai rencontré Alicia, le JdR et Lovecraft sont entrés dans ma vie. J’ai eu la joie d’être initié au JdR par ma femme. Au départ je ne savais pas ce que c’était. Le JdR m’a permis de me découvrir tel que je suis. Bref ça a été une vraie thérapie de sortir de ma coquille et d’assumer mon côté geek que j’avais mis de côté. J’ai pu contribuer depuis une dizaine d’années à la vie associative ludique dans la région PACA, puis participer à de nombreux projets concernant L’Appel de Cthulhu, Cthulhu Hack et Cthulhu no Kami. Depuis 2020, je travaille sur Cthulhu – Origines en tant que co-auteur et co-directeur de collection avec Alicia pour Black Book Éditions.

Le Fix : Hé, mais oui, je me souviens de toi Raphaël ! Je t’avais interviewé pour Cthulhu No Kami. Alors comme ça on reste fidèle au Grand Ancien ?

A : Ah je vois ! Tu ne te souviens donc que de Raphaël ! (lol)

Dans notre parcours d’écriture, nous avons commencé par participer à la création de plusieurs jeux en tant que bénévoles. Sur ces projets nous n’avons donc pas forcément été crédités. C’est avec les éditions Sans-Détour que nous avons pris notre envol en participant au supplément sur les Contrées du rêve. Malgré les polémiques qu’il y a eu à leur sujet, je leur témoigne aujourd’hui un sincère remerciement pour nous avoir donné cette opportunité de déployer toutes nos compétences dans la relecture technique et de contexte et l’écriture. Nous sommes des travailleurs consciencieux et méticuleux, et nous avons épluché tous les livres de Lovecraft pour en devenir des référents. C’est ce qui nous a amenés à œuvrer sur plusieurs projets basés sur l’univers lovecraftien, comme Cthulhu no Kami, Cthulhu Hack et maintenant Cthulhu – Origines. Ce dernier nous rend très enthousiastes, car nous avons eu la possibilité, avec lui, de revenir aux codes primordiaux de l’horreur lovecraftienne. Nous avons à cœur de développer cette gamme et de la voir grandir. C’est prenant !

Pour autant, nous rêvons aussi d’autres horizons et travaillons en parallèle sur un projet de jeu qui pourrait, par exemple, être publié dans Casus Belli.

: C’est vrai qu’on avait conversé autour de Cthulhu no Kami ! Ceci-dit, ta première question me fait réaliser qu’on fait un ménage à trois, avec Cthulhu. Il ne nous lâche plus. Même notre fils connaît une partie du bestiaire, alors qu’il n’a que 5 ans.

Au FIJ 2020, Damien Coltice nous a mis en contact avec Thomas Berjoan pour évoquer d’autres projets. Finalement, Thomas nous a proposé d’écrire Cthulhu – Origines et de devenir directeurs de gamme chez Black Book. On ne pouvait pas rêver mieux que de travailler sur Lovecraft et son univers avec en plus l’éditeur dont les ouvrages remplissent notre bibliothèque. Quand les étoiles s’alignent, il me semble que c’est un signe… des Anciens sans doute ;).

Le Fix : Commençons par la question que tout le monde se pose : après toutes ces années, que peut-on encore écrire d’original autour de Cthulhu ?

A : En lisant cette question, j’ai envie de vous en poser une autre en retour : la créativité est-elle infinie ? Et l’univers ?

Aucun théoricien, même Albert Einstein ou Stephen Hawkins, n’a pu résoudre cette question.

Je dirais que si l’univers est en extension, la créativité et la découverte le sont aussi. Il y aura toujours une possibilité d’innover et de conter de nouvelles légendes tant que l’humain ouvrira son esprit au possible. Il suffit de ne pas s’enclaver dans un stéréotype connu.

R : C’est une excellente question. Je vous en retourne une, moi aussi : est-ce qu’on peut encore travailler sur Le Seigneur des Anneaux après toutes ces années et adaptations ludiques, au cinéma ou en série, etc. ?

J’entends souvent qu’on ne peut plus vraiment créer d’univers originaux, car tout a été déjà vu.

Pour revenir à Cthulhu, il faut distinguer le cœur de l’œuvre de Lovecraft qui, pour les puristes, est constitué de La Couleur tombée du ciel, L’Abomination de Dunwich et L’Appel de Cthulhu, du fameux Mythe de Cthulhu qui n’est pas une création du Maître (il a d’ailleurs récusé ce terme) mais une invention d’August Derleth.

Pour Cthulhu – Origines, nous avons choisi une approche différente de celle des autres jeux, en nous basant uniquement sur les écrits de Lovecraft. C’est un vrai défi d’apporter un autre angle de jeu sur Cthulhu et son folklore. C’est intellectuellement stimulant, car il faut prendre un nouveau paradigme, et revisiter et réinventer l’horreur de manière ludique en sortant des codes classiques. L’idée n’est pas de suivre une gamme célèbre qui s’appuie sur le Mythe de Cthulhu, mais d’avoir une création française basée sur le folklore des Collines initié par Lovecraft lui-même – une gamme qui a sa propre identité.

Le Fix : La proposition ludique de Cthulhu – Origines me paraît très ciblée. Est-ce que le livre de base contiendra des conseils pour jouer à Cthulhu différemment, voire casser les bonnes vieilles habitudes ?

R : Cthulhu – Origines est motorisé par Chroniques Oubliées. Dans le livre de base, vous aurez des alternatives de jeu qui permettront aux possesseurs de la boîte d’initiation CO Cthulhu et de son extension, Quintessence, de migrer vers Cthulhu : Origines et inversement, de pouvoir utiliser les scénarios des boîtes pour les jouer avec des Témoins (nom donné aux PJ dans Cthulhu – Origines).

Dans le Livre de l’Archiviste, nous expliquons des notions évoquées par Lovecraft pour que les MJ puissent mieux comprendre son travail et surtout sa conception de l’horreur et de l’occulte. Comme me l’a signifié Christophe Rosati, qui a écrit un scénario dans les Contes extravagants des collines et d’ailleurs, dans Cthulhu – Origines, on est plus sur un ressenti « viscéral », quelque chose tourné vers l’intériorité.

Je ne dirais pas que le jeu est « très ciblé ». Il aborde un autre angle de vue pour faire une proposition ludique sur un univers qu’on pense tous connaître. Souvent, je comprends au fil des discussions que les personnes font un amalgame entre L’Appel et l’œuvre littéraire de Lovecraft. Là, on retourne aux fondamentaux.

: Cthulhu – Origines veille à permettre à tout un chacun de trouver son bonheur dans l’univers lovecraftien. Je pense que Raphaël a répondu en détail à cette question avec pertinence. J’ajouterais qu’il est bon d’avoir un esprit critique de ce que nous connaissons déjà des jeux proposés sur cet univers, de s’ouvrir. Avoir un nouveau regard peut amener d’autres expériences ludiques. Multiplier les collaborations lovecraftiennes chez divers éditeurs m’a permis de voyager sous divers aspects, et nous vous invitons aujourd’hui à faire la même démarche. Alors, prêts pour une nouvelle expérience ?

Le Fix : Toujours dans les différences, le jeu sera motorisé par une version adaptée des Chroniques Oubliées Cthulhu. Pouvez-vous nous en dire plus ?

: La partie technique n’est pas mon domaine, je laisse donc Raphaël y répondre.

: Comme le dit Alicia, le système, c’est moi qui m’y colle. Heureusement que mon ami Guillaume est là, car nous échangeons beaucoup et testons les ajustements apportés. Le système de Chroniques Oubliées, la motorisation maison de Black Book Éditions, a fait ses preuves. Il permet d’initier facilement de nouveaux joueurs, mais aussi de réconcilier les plus aguerris avec un système de jeu simple et rapide.

Pour Cthulhu – Origines, nous avons renforcé la base du système avec une partie dédiée à la gestion de l’équilibre mental des PJ. Les points de psyché permettent de simuler la dégradation de l’état mental jusqu’à l’arrivée de la folie, qui va avoir des répercussions sur le groupe lui-même. Bien sûr, il est possible d’accéder à des traitements psychiatriques et physiques pour essayer de retrouver un équilibre mental digne de ce nom.

Nous avons aussi développé de nombreuses Voies pour créer des PJ ancrés dans l’époque et l’univers de Lovecraft, ainsi que des Voies de magie qui couvrent une grande partie des arts occultes. Nous avons apporté un soin particulier au développement de la partie du jeu dédiée à l’ésotérisme, que ce soit par les Voies ou l’utilisation de rituels ou de sortilèges.

Le Fix : Mais un jeu motorisé en Chroniques Oubliées sans Laurent Bernasconi, est-ce vraiment un jeu Chroniques Oubliées ?

A : Un jeu ne se résume pas à son système, tout comme un univers peut vivre sans son auteur. Laurent Bernasconi a créé un système qui fonctionne, fluide et optimal. Il s’adapte avec aisance à des ambiances et styles différents.

Nous avons testé de nombreuses mécaniques de jeu au cours de notre parcours de rôliste, et peu peuvent prétendre, comme Chroniques Oubliées, être aussi équilibrées. « Bidouiller » des systèmes va complexifier et dénaturer parfois le « lore » et alourdir les parties. Il faut savoir faire confiance aux systèmes qui fonctionnent. Ce que j’ai appris en passant de la position du joueur de jeu de rôle au monde professionnel, c’est que l’on est souvent très critique lorsque l’on est consommateur. On ne se rend pas compte du travail et de l’investissement nécessaires aux créateurs de jeu pour parvenir à un ensemble règles/lore homogène. Je suis donc devenue plus indulgente en voyant l’envers du décor.

R : Pour rebondir sur ce qu’a exprimé Alicia, Laurent a en effet effectué un travail remarquable sur Chroniques oubliées, mais un jeu ne se définit pas que par son système. Son univers compte tout autant. CO est facilement adaptable et peut être mis au service de divers lores et ambiances. Il a été utilisé aussi bien sur Batman (Monolith), Cthulhu no Kami (Studio Deadcrows) et Bitume (Raise Dead), que sur des jeux de BBE ne portant pas son nom : Monstres, Les Terres dArran, et… Cthulhu – Origines.

C’est formidable de pouvoir apporter sa pierre à l’édifice conçu par Laurent, avec des modulations qui permettent d’émuler l’univers du jeu sur lequel on travaille. On a ainsi pu créer des Voies originales, ainsi que le système de gestion de la psyché. Une grande partie de la création des nouvelles règles est dédiée bien sûr à l’ésotérisme avec des effets simples.

Le Fix : Est-ce que cela signe l’arrêt de la gamme CO Cthulhu ?

R et A : D’abord, dans cette préco participative, Cthulhu Origines, on poursuit aussi la gamme CO Cthulhu d’une certaine manière, puisque BBE propose de superbes figurines des personnages et monstres contenus dans les boites ! Ces dernières sont à la base une porte d’entrée pour initier de nouveaux joueurs avec un univers connu. Ce qui est pertinent dans la boîte d’initiation est le fait qu’elle peut être autonome et permet de vivre de belles aventures qui se poursuivent avec Quintessence, dans le même esprit que les deux boites de Chroniques oubliées Fantasy. Mais pour une gamme complète « Cthulhu », on assume le ton plus dark. On a plein de projets pour Cthulhu – Origines si la PP est un succès, et on envisage déjà la suite avec d’autres collaborateurs.

Le Fix : Des auteurs français, un système de jeu français : le setting du jeu sera forcément la France ! J’ai bon ?

A : La France, c’est donc la baguette le béret et la tour Eiffel ? N’est-ce pas un peu stéréotypé pour cette époque qui se veut ouverte ?

Je plaisante ! Le setting de base de Cthulhu – Origines est constitué des lieux évoqués par Lovecraft dans ses écrits. Mais si l’avenir est radieux, il pourra s’étendre sous d’autres horizons. Peut-être jusqu’à la France, sous le soleil où chantent les cigales…

: humm… non. Il me semble, par exemple, que dans Vers le Ragnarök, qui a été écrit par des Italiens, il n’y a aucune allusion à la Rome antique… Ou à des pizzas (rire) !

On va dans un premier temps débuter par le commencement. Le point de départ est la Nouvelle-Angleterre. Le jeu est pensé pour être un univers étendu et cohérent. Toutes les aventures auront des connexions par les lieux, PNJ, secrets, artefacts, etc. Tout ce qui est créé par nos auteurs est par la suite compilé dans un fichier que nous avons créé et qui servira aussi de référence pour les prochains ouvrages. Ainsi, un PNJ créé, par exemple, par Nathalie Zema ou Benjamin Ott, pourrait se retrouver dans un futur livre, tout comme les villes fictives du recueil de scénarios inventées par Willy Dupont, Alexis Flamand ou Sylvain Forge. En tout cas, c’est notre volonté. Lovecraft a bien écrit des récits sur d’autres continents comme l’Angleterre, l’Australie, alors pourquoi pas la France ? Le Sud, pour y vivre, est une région avec plein de mystères, alors pourquoi pas imaginer des aventures en France…

Le Fix : Allez-vous décliner le jeu sur plusieurs époques ou allez-vous vous limiter à un seul setting ?

R et A : Lovecraft ne s’est pas interdit d’évoquer d’autres époques, donc pourquoi pas si les projets sont pertinents. On a eu des propositions ludiques qui pourraient aboutir sur des campagnes inédites, mais pour le moment il est encore un peu tôt pour s’exprimer sur tout ça. Il est important de poser les bases d’un jeu avant de s’envoler plus loin, que ce soit dans le temps ou l’espace. Mais ce n’est pas exclu.

Le Fix : Les illustrations semblent jouer une part importante sur l’ambiance souhaitée. Qui sont les artistes qui matérialiseront nos pires cauchemars ?

R et A : Déjà on voudrait remercier Coline Mergen, qui a effectué un travail remarquable sur le design du jeu, son logo et les couvertures des éditions collector. On a beaucoup échangé, et elle a su transcrire toutes nos attentes.

Nous avons la chance de bénéficier de la participation spectaculaire de Mathieu Lauffray qui nous a fait des couvertures des livres et de l’écran qui donnent parfaitement la tonalité de l’œuvre de Lovecraft.

Les illustrations intérieures ont été réalisées par Xavier Beaudlet avec qui les choses se font naturellement. On lui donne quelques pistes, inspirations et sa créativité fait le reste. On a l’impression qu’il lit nos pensées avant même que les descriptifs lui soient envoyés.

En tout cas c’est un plaisir de travailler en équipe sur ce projet de création !

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