Donjons & Draguons

Attirer de nouveaux pratiquants reste un défi pour le jeu de rôle sur table. Cela fait maintenant quasiment 50 ans que ce loisir existe et il reste souvent opaque ou rebutant pour les néophytes. Moins que dans les années 1980, OK. Mais plus que, mettons, Mario Kart et les Pokémons. Aussi, toute nouvelle tentative pour séduire les potentiels rôlistes est la bienvenue et nous n’avons de cesse ici chez le Fix de les encourager.

C’est pour cela que nous nous réjouissons de l’apparent succès et, en tout cas, de la hardiesse de l’éditeur de jeux de plateau, Gigamic, qui continue de soutenir son projet Critical, à savoir des boîtes se présentant comme de véritables JdR, oui, mais avec l’accessibilité de n’importe quel jeu de société courant : peu de préparation, des parties courtes (on nous promet du 30 mn ici) et des tonnes de matos attractif à manipuler.

Le premier essai, il y a quelques mois, avait été Fondation, une mini-campagne dans un univers d’anticipation légèrement cyberpunké. On attendait la suite de ce qui était présenté comme une saison 1 et, en effet, elle devrait arriver bientôt. Mais, en attendant, Gigamic vient arpenter le territoire déjà bien encombré du medfan façon dungeonverse à Papa avec Critical – Sanctuaire (là aussi : saison 1), c’est-à-dire exactement le même principe que la boîte précédente mais cette fois-ci dans le cadre d’un univers beaucoup plus référencé avec moult elfes, dragons, magiciens, etc.

La boîte est très exactement comme sa grande sœur bourrée de matériel ras la gueule. S’il y a sans doute eu quelques adaptations à la marge (des règles de progression des PJ, notamment), c’est vraiment le même jeu et on retrouve donc un matériel quasiment identique dans le principe. Question ambiance, bien sûr, cela change du tout au tout : exit les tons bleutés et néons de Fondation et bonjour aux tons verts et roche naturelle pour toute cette symphonie de cartes et de jetons. Niveau illustration, on reste sur du très haut niveau puisque, après Pascal Quidault, on a confié ici les pinceaux à Vincent Dutrait qu’on ne présente plus. De fait, et sans surprise : c’est magnifique et cela donne immédiatement envie de jouer rien que pour le plaisir de manipuler les cartes.

Visiblement, outre la durée des parties, écourtée grâce à un fractionnement minutieux de la mini-campagne en 9 épisodes courts, les auteurs ont bien identifié comme repoussoir le gros livre de règles velues. Ici, il est remplacé par un mince livret très similaire à toutes les règles de jeu d’un boardgame classique. Le reste se trouve sur les cartes, sur les fiches de scénario, etc. On notera quand même que les faits restent têtus et que le JdR ne s’explique pas si facilement que les petits chevaux. A titre personnel, je trouve ce livret de règles pas si clair qu’il le devrait pour un jeu d’initiation voire d’auto-initiation et que, notamment, il manque d’exemples. Cela reste heureusement du très simple avec un D12, des difficultés, des bonus à ajouter, des jetons à mettre en jeu au bon moment, etc.

En fait, le truc, c’est qu’il faut bien remarquer que le D12 fourni n’est pas un D12 conventionnel. Du tout même ! Il n’est numéroté qu’avec des 0, des 1, des 2 et des 3 ! Or, ceci n’est pas précisé dans le livret de règles. Donc, tant que tu ne te lances pas au moins dans des tests, tu ne comprends pas trop les règles. Une fois le dé en main, cela devient (à peu  près) limpide. Le dé est aussi spécial car il possède un X pour les échecs critiques. Ce sont donc au sens strict des dés spéciaux indispensables. Il y en a un pour chaque joueur dans la boîte : grand luxe.

A noter qu’il est possible en dépensant un jeton d’héroïsme d’y ajouter un D8 (classique, lui) qui peut donc apporter beaucoup de points au jet. Quand on fait le double de la difficulté, cela devient une réussite critique. Le système de jeu gagne un peu en ludique grâce à ces choix à opérer au moment judicieux au plus grand suspens du double lancer de dés. C’est bien car c’est souvent là un point faible des systèmes simplifiés : ils en perdent tout intérêt ludique et finissent par ennuyer.

La vilaine fiche de personnage pleine de cases façon déclaration des impôts a, elle aussi, fait les frais de l’opération dépoussiérage. Elle est remplacée par un dispositif à base de cartes : des grandes pour les persos prétirés et des petites pour les customisations à leur ajouter sur ses côtés (capacités, états…). Il y en a aussi pour gérer l’inventaire.

On notera les petites ardoises à feutre effaçable pour noter le nom de son PJ comme à l’école. Il y a aussi des enveloppes personnalisées très classes qui permettent de « sauvegarder » son PJ au bout de la séance : on fourre ses cartes et ses marqueurs d’état dedans et hop, on ressort le tout lors de la séance suivante. Simple et de bon goût.

La campagne (disons, le gros scénario) est découpé en nombreuses (neuf en tout) scènes courtes d’environ 30 mn, ce qui, finalement, n’est pas très différent de la façon de faire de la plupart des campagnes vendues dans le commerce. Pour chaque scène, vous avez une fiche sous la forme d’un petit livret de 4 pages. Comme on le devine ci-dessus avec les icônes et les codes couleurs, le but est de rendre l’accès aux informations essentielles très codifié et donc très aisé, y compris en cours de jeu.

Même si ce n’est pas recommandé par les auteurs, on peut espérer que le jeu soit accessible sans véritable préparation. Un MJ un peu expérimenté pourra juste jeter un œil à la fiche pendant que les autres débarrassent la table et zou, on est parti.

On le voit : tout cela n’a pour le moment rien de révolutionnaire : un système simple et classique, un gros scénario habilement découpé en épisodes… Mouaif.

Heureusement, la puissance du côté « jeu de plateau » de Critical se révèle dans les autres cartes à jouer. Non, pas les multiples cartes d’état et de santé mais les cartes grand format toutes magnifiquement illustrées par Vincent Dutrait. Il y en a 42 et elles servent à illustrer… bah… tout, en fait : les PNJ, les monstres, les décors, des énigmes, etc. Au moment opportun, vous les montrez aux joueurs et ça fait son petit effet.

Gadget supplémentaire, vous pouvez même les glisser habilement dans un espace prévu à cet effet en haut de l’écran du MJ. (…) De quoi ? (…) Ah oui, j’avais oublié de vous le dire : il y a aussi un écran du MJ. Et oui, c’est un 4 volets rigides.

On l’aura compris : c’est l’autre miracle opéré par Critical. S’il n’est en rien révolutionnaire, le jeu a pour lui de présenter un matériel assez hallucinant  à ce prix. La boîte est vendue à peine plus de 30 euros (et donc sans effet de l’inflation par rapport à la boîte précédente : c’est à noter) et pour ce prix là vous avez des règles efficentes, un gros scénario bien présenté, un écran du MJ rigide, une carte à déplier, des jetons, 114 cartes à jouer, des dés spéciaux, etc. Un vrai tour de force.

Alors, que vous soyez dans le cœur de cible ou simple amateur de beau matériel de JdR, pourquoi se priver, hein ?

4 pensées sur “Donjons & Draguons

  • 14 avril 2023 à 13:17
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    A noter que les impôts, pour plaire au grand nombre également, a sorti sa déclaration pré-remplie depuis 2006. Des visionnaires avant l’heure au Trésor Public !
    Signé un contrôleur des impôts cocu

  • 14 avril 2023 à 17:10
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    Sincèrement je ne comprends pas votre froideur vis à vis de cet excellent produit d’initiation, mais clairement pas que.
    Il serait produit par BBE que vous ne sauriez trop vous pâmer et vous perdre en superlatifs flagorneurs.
    Vanter son indépendance de ton est une chose, la démontrer au quotidien par les faits en est une autre.
    D’un côté la boîte Légendaires qui est encensée au delà du raisonnable et de l’autre celle-ci qui ne semble pas « avoir la carte », et c’est bien dommage.
    Jouer aux faux méchants en étant plutôt bienveillants même des productions bien fades pourquoi mais tailler un éditeur qui veut et réussi à faire évoluer le hobby c’est vraiment dommage

    • 14 avril 2023 à 21:48
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      Je n’ai pas trouvé cette critique négative, moi : on y comprend que cette boîte offre beaucoup de matériel de qualité et qu’elle est calibrée pour tenir sa promesse d’un JdR aisé à prendre en main et jouable en moins de 30mn avec des novices. 🤷‍♂️ En revanche, j’aurais aimé un avis un peu plus détaillé sur le scénario/campagne !

    • 15 avril 2023 à 09:40
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      Pareil, je ne mets pas cette critique en balance avec le Gantelet de Ligamore qui est un super produit, aidé aussi par la licence des Légendaires.

      Je serai moins sévère sur la conception du scénario qui bénéficie vraiment d’un découpage idéal dans Critical avec les épisodes qui garantissent des parties écourtées, et une grille de lecture qui permet vraiment de le préparer à la volée (ce qui est moins le cas pour le Gantelet de Ligamore qui est pour le coup plus tradi et moins innovant dans son écriture, et qui manque d’une synthèse résumée pour bien comprendre les tenants et aboutissants de l’intrigue).

      La contrepartie dans Critical est ensuite que ce qu’on gagne en temps de préparation de scénario, on le perd en partie sur l’organisation de la session : ne pas minimiser le temps de mise en place de la profusion des différentes aides de jeu !!

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