It came from Beyond ! [chronique Beyond the wall]

Waaah, un titre qui fait peur !

Mais rassurez-vous : ça va bien se passer, en fait. On va lus modestement faire un tour d’horizon du début de gamme Beyond the wall en VF produite par Shakos.

Pour rappel, le jeu bénéficie d’un très bon bouche à oreille en s’appuyant sur plusieurs éléments identitaires forts : un feeling OSR, une proposition de jeu simple et claire (de jeunes aventuriers prometteurs franchissent pour la première fois les murs de leur communauté) et une promesse alléchante de jeu plug & play, quasi sans préparation.

C’est l’alliage de tout cela qui a attiré sur les terres du jeu de rôles cet éditeur plutôt spécialisé jusqu’ici dans le wargame et les livres-jeux. Shakos avait organisé un foulancement sur GoT fin 2022 avec un succès très honorable (350 %). Les livres arrivent déjà en physique, pile à la date prévue et ça, c’est bien pour un nouvel acteur sur le marché dont on espère qu’il va persister dans notre loisir.

Le début de gamme VF est constitué d’un livre de base pas si épais que ça (150 pages environ, c’est sacrément rare), d’un premier supplément de taille quasi équivalente et d’un écran du MJ. Les playbooks en version imprimée étaient aussi proposés pendant le CF mais nous ne savons pas s’il sera possible de les commander par la suite.

D’un point de vue matériel, je suis assez moyennement convaincu par les livres. Oh, attention, entendons-nous bien : il s’agit de beaux et solides livres, bien reliés et tout. De ce point de vue, le travail de l’éditeur semble sans faille. Il n’empêche que quand on feuillette ces deux livres à couverture rigide et papier glacé couleurs, on se prend à se dire « tout ça pour ça… ».

Premièrement, il y a de mon point de vue une inadéquation entre le feeling OSR et ce type d’ouvrages bien léchés. Les illustrations, notamment, ne sont pas folichonnes, en tout cas bien éloignées des standards redéfinis par des projets suédois ou italiens (notamment) de ces dernières années et on ne peut s’empêcher de penser que des petits livres agrafés noir et blanc auraient permis d’aller au bout de la démarche tout en faisant baisser significativement le coût d’un livre de base assez dissuasif quand on le rapporte à la page. Ce livre est en effet au moins deux fois plus léger que la plupart de ses concurrents (et ça, cela attire plutôt ma sympathie) mais son prix, lui, est très loin de l’être.

A cela s’ajoute l’impasse d’un livre papier glacé pour un jeu dont le principal atout – on y reviendra largement une fois les questions qui fâchent évacuées – est sa jouabilité express qui implique forcément d’avoir les playbooks et, surtout, les livrets de scénario et la carte du village imprimés sur du papier standard sur lequel il va falloir griffonner fréquemment. Une boîte avec des livrets aurait été un rêve (sans doute inaccessible d’un point de vue budget) et, à défaut, se contenter de la version PDF des livres et faire marcher son imprimante est sûrement la meilleure solution possible.

Deuxième petite déception, le livre de base de Beyond the wall est avant tout un livre de règles. On s’attendait à avoir surtout des considérations, conseils et outils pour jouer « à la Beyond the wall » et, finalement, la quasi-totalité de la place de ce modeste livre de base est occupée par un énième système de jeu OSR. Caracs habituelles, classes habituelles, niveaux, alignements, D20… tous les classiques sont là et, s’ils ne prennent pas une place folle, ils retardent tout de même de façon pas toujours bien passionnante la découverte des véritables atouts du jeu.

Je l’avoue modestement : je ne suis pas grand spécialiste ni grand amateur de ce type de système de jeu. Peut-être que le moteur tourne tout particulièrement bien en jeu mais, à la lecture, cela semble si classique qu’on peine à voir en quoi ces règles sont spécialement adaptées aux ambitions du jeu, en particulier le fait d’incarner des héros émergents jeunes mais qui ne demandent qu’à apprendre. Là, vous vous retrouvez avec des classes rigides (a-t-on déjà une « classe » quand on sort à peine de l’adolescence ?), des alignements (comment peut-on savoir d’avance comment on va se comporter en cours d’aventure quand on n’y est jamais allé ?), un système de progression classique de chez Mémé avec XP en abattant des monstres, etc. Bof. A ce titre, le fait que le supplément contienne de (bonnes) idées pour améliorer tout ça résonne un peu comme un aveu.

Dans ces règles, il faut ben entendu considérer à part celles de création de personnage. En effet, même si un système tradi est expédié en quelques pages, le vrai esprit du jeu repose presque entièrement dans les playbooks fournis à la fin du livre ou, mieux, imprimés à part. Le principe n’est guère novateur désormais mais il n’est finalement pas si souvent que cela appliqué aux jeux type dungeonverse (depuis Dungeon World) et, surtout, s’avère toujours aussi convaincant. C’est une opinion personnelle, oui. Mais c’est aussi un fait objectif : difficile de ne pas voir dans cette pratique un véritable progrès dans la pratique du JdR.

Les playbooks de ce type, c’est d’abord l’efficience. On pose les livrets au centre de la table, les joueurs choisissent ensemble en discutant, en négociant et, en quelque sorte, en faisant groupe d’ores et déjà. Dans le même ordre d’idée, les doublons sont évités. Ensuite, on remplit ça aisément, sans avoir à se passer de main en main l’unique exemplaire du livre de base ni en ayant des listes à éplucher ou des pouvoirs à recopier à la virgule près : ça coche, ça barre et hop, c’est prêt.

Surtout, cela permet d’individualiser la création de PJ en faisant en sorte que chaque joueur explore un chemin propre au personnage choisi. Ici, dans Beyond the wall, cela se traduit par de nombreuses tables aléatoires uniques à chaque livret qui, petit à petit, permettent de lier le personnage émergent à son environnement. N’oublions pas les moments où, là aussi, le groupe prend corps en liant les personnages les uns aux autres, certains événements aléatoires impactant le voisin de gauche ou de droite. Il est alors, on l’aura compris, indispensable de créer les PJ ensemble.

Même chose pour l’autre étape importante de la session zéro : la création du village des PJ. Elle se fait sous la forme de l’élaboration collective d’une carte sur laquelle des lieux et/ou des PNJ seront placés alternativement par les uns et par les autres au gré des tirages effectués sur leur propre playbook (les événements qui donnent lieu à un ajout sur la carte sont signalés par des icônes).

Après cette paire d’heures (maximum) consacrées à cette création partagée, il est indiscutable que la tablée est pourvue d’un groupe de PJ cohérent et d’un village que les PJ auront à la fois hâte de quitter mais qu’ils auront aussi à cœur de regagner couronnés de succès ou dans le but d’y défendre des êtres chers.

Outre le fait de devoir être imprimés depuis le livre de base, la principale limite des livrets de PJ de BTW est le carcan des trois seules classes de PJ du système OSR : guerrier, roublard, magicien. Le livre de base propose deux variantes pour chaque avec un total, donc, de six playybooks. Cela fait le job mais disons que le choix sera parfois difficile si vous jouez à 4 ou 5 joueurs. En VO, il existe une gamme très étoffée avec des suppléments papiers mais aussi des PDF à télécharger, le plus souvent gratuitement. C’est un atout très important du jeu en VO et on espère que Shakos pourra laisser la VF dans ce sillon. Ce n’est pas le cas à l’instant T.

Le reste du livre est occupé par la présentation des principes du livret de scénario. Le livre de base en contient également deux, en annexes. Même remarque que ci-dessus : cela fait pâle figure par rapport à l’offre pléthorique en VO et, au final, cela ne permet pas d’aller très loin dans la démarche plug & play spécifique au jeu. Espérons que cette limite soit très vite solutionnée pour révéler le véritable potentiel du jeu.

Le principe des livrets de scénario est assez simple mais finalement rarement formalisé dans des gammes commerciales. Dérivé des playbooks, il en vise la même efficience : le MJ se saisit de son livret de scénario, même éventuellement au dernier moment (quand les joueurs arrivent…) et se sert de cette base fournie clef en mains pour lancer la partie du vendredi soir. Oh, bien sûr, il ne faut pas s’attendre à des intrigues à tiroir ou à des scènes d’un romantisme déchirant. On est là dans le dungeonverse aussi classique que modeste : des gobelins, des nécromanciens, des donjons à nettoyer… ce genre de choses.

Le propos de BTW n’est en effet pas de réécrire Tolkien touts ensemble autour de la table mais d’éprouver le frisson de l’aventure, le vertige de la liberté d’agir et l’angoisse des choix douloureux à effectuer.

Pour ce faire, chaque livret de scénario propose un court prétexte suivi de nombreuses tables permettant de customiser l’intrigue, en particulier en la liant réellement aux PJ et à leur village. Pour ce faire, les livrets possèdent des tables aléatoires… en blanc ou, en tout cas, avec des blancs à compléter par les noms des PJ, PNJ, lieux du village… On retrouve là l’impasse des livrets imprimés sur papier glacé : il va falloir écrire dessus, en effet.  Sur les 8 pages d’un livret de scénario, la majorité est occupée par ces tables aléatoires qui permettent de générer des événements annonciateurs ou des indices liés à l’intrigue, des événements au cours de celle-ci, des récompenses en cas de victoire, des idées pour continuer la campagne après la fin du scénario, etc. Tout ceci offre donc une impressionnante re-jouabilité et, avec des jets très différents, un même scénario peut probablement être joué plusieurs fois. Bon, évidemment, à moins d’avoir des joueurs vraiment bon public, l’astuce, avec seulement deux livrets de scénario, risque de se voir quand même rapidement…

Le livret comporte aussi le bestiaire de l’aventure avec toutes les stats qui vont bien. En revanche, il n’y a pas de plan ou ce genre de choses, ce qui peut vite devenir stressant pour le MJ en cas, par exemple, de donjon. Il est certain qu’il va falloir que le MJ, très guidé par le livret dans le déclenchement de l’aventure, improvise ensuite pour que le groupe puisse aller véritablement au bout des promesses entrevues dans une amorce qui devrait les séduire puisque, contrairement à bien des scénarios ou campagnes scriptées, ils auront l’impression d’être au cœur des événements et des enjeux énoncés. Il semble donc prudent de compléter BTW par d’autres outils d’improvisation dans un environnement dungeonverse. Cela tombe bien : ça ne manque pas (à titre personnel, je vous conseille déjà de craquer pour tous les compagnons de Cœurs Vaillants chez Chibi) !

Au bilan, le livre de base de Beyond the wall est en effet plein de promesses sur une façon de jouer rafraichissante et qui veut aller au bout de la démarche OSR. Cela dit, le livre qui nous aguichait avec son nombre de pages raisonnable, s’avère bel et bien un peu court, ne permettant que d’entrevoir sur deux courts scénarios les possibilités de son dispositif.

Heureusement, en attendant les éventuelles ressources à télécharger, il existe un premier supplément intitulé Toujours plus loin qui, sur une centaine de pages, complète fortement ce livre de base atrophié. Si complètement que cela en est d’ailleurs un peu troublant…

Au format similaire au livre de base, Toujours plus loin est conçu comme un « compagnon » un peu fourre-tout enchaînant les sujets dans de courts chapitres, sans trop de cohérence. En revanche, il est d’une rare densité en termes d’informations utiles par page et, sur ce point, fait incontestablement mieux que son grand frère.

Le propos principal de TPL est d’introduire la notion de « bac à sable partagé ». On connaît la notion de bac à sable : il n’y a pas de campagne scriptée, seulement des opportunités d’aventure disséminées sur une carte et les joueurs sot absolument libres d’aller où ils veulent faire faire à leur personnage ce qu’ils veulent. BTW y ajoute une notion de création partagée de la carte en question sur la base d’outils et de conseils assez similaires à ceux déjà à l’œuvre pour le groupe et le village.

Là aussi, cela se fait à l’aide de tables mais aussi et surtout de choix lors de plusieurs tours de table où chaque joueur place sur une carte des lieux dont son PJ a entendu parler ou qu’il a visité lui-même. Pour ménager l’intérêt d’aller les explorer, un système de « brouillard de guerre » est prévu : des jets sont réalisés en secret pour que le MJ détermine si les renseignements inventés par les joueurs sont réels ou de simples rumeurs infondées… ou très, très déformées !

Encore mieux, le supplément y ajoute la notion de Menace et lui dédie des livrets spécifiques en annexes. L’idée est de doter la carte du bac à sable, par nature un peu figée tant que les PJ ne l’explorent pas, d’intrigues en mouvement qui finiront par rejoindre les préoccupations des PJ même s’ils ne le savent pas encore. Cela peut être un putride nécromancien qui s’agite dans les ombres ou bien une cité impérialiste qui veut placer le village des PJ sous sa coupe totalitaire, etc. Comme on le voit, l’intrigue existe en l’absence des PJ mais finira tôt ou tard par les concerner, donnant une profondeur bienvenue à des bacs à sable parfois plan-plan.

Les livrets de Menace sont un peu plus bavards que les livrets de scénario, développant l’intrigue, les PNJ, les lieux, etc. mais de façon très succincte pour permettre une adaptation à l’existant. Les tables aléatoires sont donc plus rares, concernant surtout la façon dont les PJ vont être liés à l’intrigue et surtout les les actions de la Menace au fur et à mesure de la progression de son score d’Imminence (elle se rapproche !!). Une fiche très pratique regroupe ces tables, les stats des monstres ou PNJ ou encore une liste à cocher d’indices que le MJ devra veiller à distiller sur la Menace. Impeccable.

 

Il est curieux de constater que le supplément contient pas moins de quatre de ces livrets de Menace. C’est très appréciable mais on se retrouve donc au final avec ce début de gamme avec quatre Menaces pour seulement… deux scénarios. Bizarre.

Derrière ces deux poids lourds, indissociables de la façon de jouer « à la BTW », on trouve d’autres bonnes petites choses dans ce supplément, notamment les vraies règles d’expérience (qui remplacent donc celles du livre de base) qui proposent plusieurs options dont le fait de mesurer les XP aux trésors dépensés par les PJ, soit façon bling-bling (faire dorer son armure…) ou de façon désintéressée (sauver le village de la famine). Tellement plus simple et convaincant que le coup des sacs à XP qu’on doit abattre aventure après aventure…

Encore plus surprenant de trouver ça dans le supplément, ion découvre les règles de voyage et d’exploration de la carte (on se demande bien comment on pourrait jouer sans…), des tables aléatoires pour générer des trésors, des tables de rencontres par types de région… autant d’outils plus qu’indispensables pour jouer en bac à sable.

Au bilan, il n’y a finalement pas beaucoup de choses qui relèvent vraiment du « compagnon » dans ce très dense TPL : quelques sorts en plus, une poignée d’objets magiques, des petites options de règles… tout le reste est absolument constitutif de la proposition de jeu initiale : sans les environnements d’aventure façon bac à sable, sans règles de déplacement, sans le principe des Menaces, sans une progression des PJ adaptée… et bien, Beyond the wall n’est pas vraiment Beyond the wall ou, en tout cas, ne remplit pas sa mission auto-stipulée. En d’autres termes, les 100 pages (ou, disons, au moins 80 d’entre elles) de Toujours plus loin sont les pages manquantes au livre de base. Pour jouer à Beyond the wall, il vous faut les deux livres dès le début. Et là, OK, il y a de quoi s’amuser (même s’il ne reste toujours que deux livrets de scénario mais bref…).

C’est là le principal défaut du jeu. Beyond the wall est vraiment un très chouette jeu pour joueur différemment dans une ambiance dungeonverse mais son set de base est un peu prohibitif  au regard des standards pratiqués habituellement : environ 80 euros pour les deux livres de base qui, finalement, ne totalisent qu’à peine 250 pages. Gloups.

Cela dit, si Shakos parvient à mettre en ligne, gratuitement, les nombreux PDF librement téléchargeables en VO (ou, mieux, si vous êtes bilingue !), là, ça devient au contraire une très belle affaire et une des meilleures options pour avoir la sensation de partir à l’aventure dans un environnement medfan en VF.

Une pensée sur “It came from Beyond ! [chronique Beyond the wall]

  • 20 juin 2023 à 14:46
    Permalink

    BTW me semble avoir beaucoup de points communs avec Forbidden Lands (bac à sable, création d’un village ou d’un château, le thème de la découverte du monde extérieur, …)

    L’article me donne envie, mais n’y a t’il pas redondance quand on a déjà Forbidden Lands ?
    Qu’apporte BTW par rapport à FL ?

    Merci par avance 🙂

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