Un impérieux besoin d’Imperium

Ils n’y tenaient plus. Quand des rôlistes vétérans comme Frédéric Weil (Mnémos), Fabrice Lamidey (idem) ou Jean Balczesak ont constaté que le JdR allait fêter ses 50 ans et que l’un des plus anciens et mythiques JdR, Traveller, n’avait toujours pas réussi à s’imposer dans le domaine francophone, ils se sont dits ni une ni deux : allez, on tente notre chance. Les précédentes tentatives ont été des échecs. Qu’est-ce qui rend ces fi-fous si sûrs d’eux cette fois-ci ? Hmmm, peut-être le fait que le foulancement en cours ait déjà atteint les 550 % alors qu’il reste encore plus de 15 jours ? On a donc eu envie d’aller leur demander quel était leur secret pour enfin porter Traveller VF sur les fonds baptismaux.

 

  1. Ah vous ne saviez pas ? En fait, vous auriez du me demander je vous l’aurais dit : en fait, le JdR de SF, en France, ça marche pas. Dommage, hein ?

Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis comme le dit si bien la sagesse populaire, n’est-ce pas 😉

J’ai comme l’impression qu’il y a de la SF dans l’air en ce moment dans le JdR français… Je ne sais pas pourquoi et ça fait plaisir à voir.

Au moins avec Traveller, ça change de la 42e campagne de dark (très dark, affreusement dark violacée, sans espoir, le monde il est pourri et Satan, il est partout) fantasy compatible (plus ou moins) avec la 5e édition du plus célèbre jeu de rôle dont il ne faut pas prononcer le nom sous peine de grosses emmerdes.

En tout cas la SF, ça a été toujours notre dada comme disait l’autre et on est très heureux que Traveller soit aussi bien accueilli et soutenu par les rôlistes, sans pour autant, naturellement se prévaloir du résultat final.

Tiens, on a l’impression qu’il y a comme un début de preuve concrète qui dément les préjugés conservateurs, non ? Ah, oui, rappelez-nous, on fait un métier d’édition et de création, c’est ça ? On n’est pas censé proposer des choses, risquer, innover, c’est ça, non ? Pas juste regarder ce que fait machin et truc et CC en espérant avoir des miettes…

  1. Mouais. Toujours est-il que Traveller en VF, ça a déjà existé par le passé et cela n’a pas beaucoup marqué le paysage ludique francophone. Qu’est-ce que vous dîtes de ça ?

Disons qu’il y a eu une tentative d’incursion menée directement depuis le territoire grandbreton, et que ça s’est mal passé et le pied a été vite retiré… Peu de chances de laisser une trace dans ces conditions, hein ?

Nous, on croit dur comme fer à la deuxième chance, alors on lui a donné cette deuxième chance à ce monument du jeu de rôle mondial, monument mais pas statufié tant sa vigueur et son dynamisme sont remarquables et ceci grâce au travail de son éditeur Mongoose comme celui de son créateur original Mark Miller et surtout de sa communauté de fans. Le Wiki Traveller est absolument incroyable. L’extraordinaire politique éditoriale de Mongoose a d’ailleurs constitué le principal moteur pour nous donner envie de proposer Traveller en VF.

  1. Alors pourquoi cette version-là de Traveller, ce serait la bonne ?

PARRRCEEE QUE !

Et bien, Mongoose a réussi pour nous le sans faute en éditant cette version de Traveller : en tout premier lieu une démarche pédagogique : celle de présenter le jeu et son développement dans un esprit d’accessibilité, comme si les joueurs et les joueuses ne connaissaient pas Traveller. Puis, malgré plus de 40 d’histoire éditoriale du jeu (plutôt mouvementée et multiple), Mongoose a réussi à simplifier les règles et les rendre très fluides et robustes. Alors oui, ce n’est un système innovant (en fait, il était largement en avance sur son temps, disruptif par plusieurs aspects et a inspiré de très nombreux game designer, c’est donc pour cela qu’il paraît classique) mais il fait parfaitement le taf, on le comprend vite et surtout on s’amuse beaucoup avec lui. Si l’on veut pointer l’une des originalités des règles, on peut mentionner la création de personnage qui donne par son système de carrière et d’accidents de vie une épaisseur inégalée à votre Voyageur. Il y aussi le fait que c’est l’un des systèmes de règles gérant le mieux les enjeux ludiques liés à la SF comme le voyage et les combats spatiaux, le commerce intersidéral, les différences de niveau technologique, les vaisseaux spatiaux, etc.

Ce travail de polissage et de présentation pédagogique a été aussi fait par Mongoose sur l’univers de Traveller. Élaboré par étape, d’abord par une seule personne puis par une foule d’auteurs et de fans, cet univers appelé L’Espace Reconnu aurait pu rapidement ressembler à une énorme pièce montée indigeste ou un grand fourre-tout informe… Bouhh, c’est moche… Eh bien on vous rassure, il n’en est rien. C’est même tout le contraire ! Non seulement, Mongoose a réussi à préserver ses originalités SF très fortes mais à rendre de la meilleure manière qui soit « l’esprit » Traveller, ce mix entre une SF sense of wonder/space opera et la dérive, souvent dans les marges, de personnages très compétents, œuvrant pour des commanditaires chelous, un peu roublards/débrouillards mais aussi chevaliers au grand cœur des causes perdus, ayant un véritable passé et répondant à l’appel des étoiles et de l’aventure stellaire, un peu comme dans Firefly ou bien comme Han Solo, par exemple.

Enfin, Mongoose a cassé un tabou en offrant à Traveller une vision forte d’un point de vue graphique très inspirante.

Ce n’est pas compliqué, on apprend beaucoup en travaillant à partir de ce que cet éditeur a magnifiquement réussi avec Traveller !

  1. Ôtez-moi d’un doute : est-ce que le jeu ne serait tout simplement pas trop vieux, dépassé par la concurrence sortie depuis ces 40 dernières années ? C’est une hypothèse en tout cas, non ?

En fait, y a-t-il actuellement des jeux directement concurrents ? On ne dit pas ça pour fanfaronner, hein. Mais les jeux de SF qui fonctionnent en ce moment proposent souvent qu’une partie de l’expérience de la science-fiction (le cyberpunk, la dystopie, la rébellion contre l’empire sale et méchant, le post-cyber-nano-biopunk, le space op à la dimension de notre système solaire, la SF horrifique, la science-fantasy, la sf poétique, etc.). Au contraire, Traveller permet de pouvoir embrasser presque tous les types et les sous-genres de la SF, sans pour autant perdre son âme et devenir incohérent. Et ça c’est vraiment l’un des atouts de ce jeu. Il est la SF, il peut incarner de manière ludique une grande partie des idées et des merveilles et des cauchemars du genre.

Comment cela ?
Avec 2 idées fortes (comme quoi, il n’y a pas besoin d’écrire des milliers de pages de BG et de règles…) :

  1. Les niveaux technologiques. Dans l’univers de Traveller, chaque monde a un niveau technologique (NT) et peut y rester (pour n’importe quelle raison : pas envie de progresser, ban technologique, interdiction impériale, isolement et différentiel de développement, préservation d’un état « naturel » et culturel, etc.). C’est d’ailleurs une source importante de scénarios (contrebande de technos inconnues, exploitation de populations avec un NT inférieur au sien et inversement, etc.) On peut imaginer une planète au NT de type cyberpunk et se faire ainsi une aventure cyber ou un autre monde ayant gardé une société de type médiévale et donc avoir une touche science-fantasy.
  2. Les règles de voyage supraluminiques imposent une navigation entre les étoiles similaire à celle des voiliers du 17 ou du 18e siècle. On peut voyager d’un monde à un autre mais ça prend du temps 1 semaine par saut supraluminique plus une semaine ensuite, une fois dans le système atteint pour rejoindre à une vitesse subluminique votre destination. La puissance de votre propulsion augmentant le nombre de parsecs franchis en une semaine. Conséquemment, il y a des différentiels entre les mondes dus à ces temps longs. Il n’y a pas non plus d’instantanéité de la transmission de l’information. Ce sont des courriers qui transportent les news et les monnaies d’un monde A à un monde B. Tout cela créé de véritables différentiels et empêchent l’établissement universel et somme tout quelque peu ennuyeux d’une même grande culture spatiale.

  1. Par exemple, niveau règles, 2D6 contre une Difficulté de 8, ça ne casse pas trois pattes à un canard galactique, si ?

Ça permet surtout au canard de bien avancer, de nager, de voler et d’être compris par tout le monde quel que soit son niveau de pratique du jeu de rôle ! Toujours le même mantra : simplicité, robustesse et jouabilité.

Après, si on prend le temps d’étudier et de tester les règles, on voit vite qu’elles ont été élaborées par des game designers de grand talent. Il y a de nombreux et logiques sous-systèmes qui permettent de simuler un à un les principales situations que la SF propose, sans pour autant transformer la partie en un gros et gras tableau Excel ou une console de vaisseau vulcain !

  1. Et, au fait, on peut toujours mourir pendant la création de personnage ou bien ?

Ah la bonne vieille légende, pas complètement fausse d’ailleurs, puisque dans les règles de Traveller Classic (back to the 70’), il y avait cet « accident » possible lorsque l’on déterminait ses carrières avant de devenir un Voyageur, les risques de la vie, en fait. À l’époque, logique d’un point de vue univers mais peu ergonomique d’un point plaisir de jeu. Bon, comme aujourd’hui d’ailleurs, si ça vous dérangeait, y avait juste qu’à ignorer le jet fatal, c’est qu’on faisait dans notre groupe de joueurs…

Dans les règles que nous traduisons, ce n’est plus le cas. Il n’y a plus d’aléas qui vous indique : votre personnage est mort. En revanche, on peut jouer à Traveller des personnages âgés, voire très âgés (cf. les candidats actuels à la présidence américaine !). Eh bien, si vous poussez trop loin cet âge, votre perso augmente ses risques de trépasser (une certaine logique, non, voir un sens commun, nous devons tous accepter d’être mortels) et surtout c’est une façon d’empêcher d’avoir vieillards cacochymes, certes ultra-compétents mais cacochymes autour de la table sauf si vous dépensez une jolie fortune en traitement anti-vieillissement. À tenter car ça peut être un défi marrant de jouer avec un perso, endetté auprès de banques stellaires véreuses, surtout si ce perso a 80 ans, yek !

  1. Les jeux de SF qui me viennent en tête ont une identité propre : Alien, c’est la survie, Fading Suns, c’est la guerre entre les maisons, Star Wars, c’est l’attente de publication pour les nouveaux suppléments. Qu’est-ce qui caractérise l’univers de Traveller, en fait ?

Rzzzz, je suis le robot conversationnel en charge de répondre aux questions impertinentes et toujours pertinentes du trans-média Le Fix d’Obéron-4, système de Deneb. Mes adorables co-détenteurs estiment qu’ils ont déjà apporté une réponse et un degré informationel suffisant à cette magnifique question formulée avec beaucoup de brio. Veuillez consulter leurs réponses aux questions 3 et 4

  1. Traveller a repris des lettres de noblesse aussi depuis qu’on sait que les romans « The Expanse » est une adaptation d’une campagne Traveller jouée par les auteurs. Mais du coup, ça veut dire que c’est un jeu de Hard-SF. Ça fait un peu peur, non ?

Euh, The Expanse de la hard-SF ?? Faut lire Greg Egan ou du Rajaniemi, c’est un autre enjeu ! Pour nous, ce n’est vraiment pas de la hard-SF. On est beaucoup plus dans du space op contemporain, orienté politique.

Donc, là oui, l’inspi se comprend mieux par rapport à Traveller car c’est l’une des grandes thématiques de jeu et d’aventure du jeu avec les campagnes d’exploration spatiale, celles de commerce interstellaire ou encore celles orientés vers la navy et le mili. Comme déjà évoqué, Traveller permet bien d’autres possibilités et de combinaisons. Une campagne typique de Traveller, c’est un mélange des axes évoqués.

  1. J’ai déjà entendu que ça couinait un peu sur les Internets à cause de certains de vos choix de traduction comme l’Espace Reconnu ou les Marches de Spin. Quelle a été votre philosophie pour arbitrer sur les termes retenus que chacun avait traduit dans sa tête depuis longtemps ?

Moins maintenant, il y a un début d’acclimatation à nos choix de traduction peut-être ? En fait, c’est complètement compréhensible car certains jouent depuis plus de 30 ans et ont dû recréer leur propre vocabulaire et donc quand on arrive avec nos choix de traduction, ça peut déranger.

Comment on fait ? Pas compliqué : on a fait une liste de synonymes et on a tiré 1D6, naturellement 

  1. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de ne pas distribuer le jeu en boutiques après la fin du foulancement ? Je croyais que ce que vous vouliez, c’était convertir les foules au bon jeu de SF. Ce n’est pas ça finalement ?

Les voies du Seigneur sont impénétrables mais les chemins sont nombreux  On aime bien celui du financement participatif avec un prix de souscription peu onéreux par rapport à l’offre proposée et ensuite à une présence sur notre boutique en ligne.

11. Et pendant ce temps-là, un jeu francophone inspiré de Traveller mais avec sa propre identité, Empire Galactique, n’est toujours pas réédité. C’est une pitié, non ?

Une honte ! Allez vite au travail !

6 pensées sur “Un impérieux besoin d’Imperium

  • 16 avril 2024 à 07:25
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    Belle interview. Mais c’est marrant comme Mindjammer est un peu vite oublié. Avec Traveller, c’est l’univers le plus ouvert à tous les styles. Un peu plus transhumaniste que traveller et un peu plus space op dans son approche.

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  • 16 avril 2024 à 18:45
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    Ah tu n’as pas pu t’empêcher de citer EG hein ? Sacripan va 🙂

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    • 17 avril 2024 à 06:47
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      Le dernier fidèle de la garde de l’Empereur, Môssieur. 😉

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      • 17 avril 2024 à 16:45
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        Et moi je fais quoi ? Je trie les lentilles ?

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        • 17 avril 2024 à 17:07
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          Pfff, toi, tu joues à Traveller avec les règles de CO Galactiques, ça ne compte pas !

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  • 16 avril 2024 à 21:02
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    Une plus value pour traveller par rapport à eclipse phase en terme de richesse d’univers ?

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