Un livre pour les amener tous, et dans les ténèbres les guider [chronique L’Ascension des drows]

Vous le savez peut-être si vous avez l’habitude de lire mes modestes contributions, mais votre serviteur est extrêmement sensible à ce point d’équilibre fragile entre richesse, beauté et accessibilité dans les livres de jeu de rôle.

J’aime que l’on m’en donne pour mon argent, avoir beaucoup de matière ludique sur laquelle je vais pouvoir m’appuyer pour construire mes aventures … et avec une mise en forme qui soit à la hauteur de l’imagination qu’elle doit porter. Mais pour autant je suis tout aussi exigeant sur la manière dont tout ce contenu va m’être amené, et surtout rendu utilisable confortablement autour d’une table de jeu de rôle.

Si je vous parle de cela maintenant, c’est que l’ouvrage qui va nous occuper dans cet article est un très bel exemple de tentative de réponse à ces injonctions contradictoires.

Au-delà de ces notions très pragmatiques, je dois bien admettre aussi que le thème qui est mobilisé dans notre sujet d’aujourd’hui fait partie de ces points de fascination qui me ramènent quelques décennies en arrière … époque où j’étais fréquemment joueur ou meneur à D&D. Il y a dans l’imaginaire d’heroic-fantasy des figures majeures qui portent avec elles des symboliques et des esthétiques riches et passionnantes, du genre de celles qui vous donnent une folle envie de vivre (ou faire vivre) de grandes aventures. C’est à une de ces figures que nous allons nous frotter dans cet ouvrage.

Ceux qui me connaissent pourraient penser que je fais encore part de ma fascination pour la figure majeure du Dragon, mais cette fois ci il n’en est rien car le livre qui nous occupe aujourd’hui porte toute sa promesse dans son nom : L’Ascension des drows.

Il est donc grand temps de plonger dans les noirceurs des profondeurs et de réfréner votre arachnophobie, car c’est un long chemin que nous allons à présent parcourir.

Histoire éditoriale et mise en forme

L’Ascension des drows est une campagne et un cadre de jeu compatible avec la 5ème édition, traduit en français sous la houlette de Black Book Editions après un financement réussi sur Game On tabletop en 2022.

Mais pour bien comprendre la forme que prend l’ouvrage qui nous occupe aujourd’hui, il faut s’arrêter d’abord un moment sur la nature de sa version originale américaine (Rise of the drows) et de son éditeur AAW Games. Ce dernier est en effet la résultante directe d’un site ayant proposé depuis 2010 énormément de scénarios pour Pathfinder ou D&D, avec comme caractéristique notable une volonté très précoce de proposer des contenus structurés pour les plateformes de jeu en ligne comme Roll20.

A son origine en 2014, Rise of the drows est une campagne pour Pathfinder. Puis son contenu va évoluer vers une version collector compatible 5° édition et plus riche dont nous étudions la VF aujourd’hui.

L’Ascension des drows se présente sous la forme d’un imposant volumes de 544 pages, avec une solide couverture rigide dotée d’une magnifique illustration et deux rubans marque page (fait assez rare mais loin d’être inutile ici).

Côté mise en page, cet ouvrage est extrêmement intéressant par l’aspect très didactique de l’organisation de ses textes. Nous avons l’impression au premier coup d’œil d’être face à une structure plutôt classique en deux colonnes, mais en fait il n’en est rien car les très larges marges font clairement office de troisième colonne au rôle bien spécifique.

En effet, L’Ascension des drows utilise une formule connue des œuvres littéraires commentées et mobilise ses marges pour apporter des éclaircissements et des aides de lecture. Rappel de pages où trouver les plans des lieux et les stats blocks de créatures ou encadrés sur des points d’attention particuliers, cette marge est intelligemment utilisée comme un outil d’aide au lecteur.

Mais le soutien au lecteur ne s’arrête pas là, car le livre prend la peine de varier la mise en forme de ses textes pour mettre en avant leurs différents rôles. Par exemple, le corps du texte principal est très classique (noir sur fond blanc), mais par contre toutes les descriptions pouvant être lues aux joueurs sont en italique et de couleur bleue.

A cela s’ajoutent des encadrés utilisant différentes couleurs de fond, permettant de distinguer là aussi plusieurs types de contenus. Le bémol à tout cela est que toutes ces hiérarchisations cumulées représentent beaucoup d’informations à trier à chaque page, ce qui pourrait dérouter parfois les lecteurs, surtout que la fonction précise de chaque type de paragraphe n’est pas explicite.

Dernier point à aborder sur ce vaste sujet de la mise en forme : la mise en image. Sur ce point L’Ascension des drows propose une imposante galerie d’illustrations explorant des styles assez différents, et qualitativement le tout est de très bonne qualité malgré un côté obligatoirement un peu inégal. Mention spéciale à certaines illustrations du bestiaire particulièrement inspirantes.

Enfin, côté images il faut aussi parler des très nombreux plans proposés dans le supplément. Là encore les styles varient, mais globalement ils sont aussi agréables à la vue que pratiques à l’usage … ce qui est essentiel vu leur nombre dans le livre et leur importance dans l’offre ludique de cette campagne (mais ça nous allons y revenir).

Organisation du livre et contenu

La mise en page et l’organisation d’un ouvrage sont deux sujets totalement différents, et cela est particulièrement flagrant dans le cas de L’Ascension des drows. En effet, si je loue globalement la direction artistique du livre, je suis un peu plus sévère sur la structure des grandes parties du supplément … sur la capacité à rendre cette dernière claire au lecteur en particulier.

En effet, il va falloir que le lecteur rentre bien dans l’ouvrage avant de correctement cerner l’organisation entre la campagne elle-même et les sections de présentation du cadre de jeu. Rien de catastrophique en soit, on s’y retrouve assez vite une fois plongé dans le livre, mais vu le soin apporté à la structure des informations sur chaque page on aurait pu s’attendre à la même clarté dans la présentation de la structure des chapitres.

Il est d’ailleurs probable que cette différence de traitement soit liée au positionnement instinctif de l’éditeur de cette campagne vers le dématérialisé, car le focus sur la structure de chaque scène de l’histoire est une caractéristique évidente du jeu en ligne.

La structure tripartite de l’Ascension des drows

L’Ascension des drows se présente avec une organisation directement héritée du fait qu’à l’origine ses différentes parties étaient aussi des livres physiques séparés. L’ouvrage rassemblé aujourd’hui annonce dans son Index une mise en place en 4 Livres, ce qui n’est pas tout à fait exact car nous sommes plus précisément face à une structure en 5 Livres … et pour bien comprendre cette dernière, l’idéal est en fait de regrouper tout cela en 3 grandes parties ! (vous voyez un peu ici les raisons de mon propos d’introduction de cette partie de l’article …).

Étant de nature magnanime, je vais vous mettre à plat comment il faut lire l’organisation de L’Ascension des drows, cela vous évitera peut être tout doute avant de rentrer dans cet ouvrage généreux :

  • 1ere partie : La campagne en elle même (170 pages)

Le Livre I (Les ombres venues de Souterre) et le Livre II (L’Ascension des drows) forment la campagne à jouer en elle-même. Cette grande aventure propose aux joueurs d’aller du niveau 1 jusqu’au niveau 15 sur une échelle de temps peu définie mais à l’évidence plutôt courte. Un véritable périple au pas de course sur lequel nous reviendrons plus tard …

  • 2ème partie : Présentation du cadre de jeu (162 pages)

Le Livre III (Les territoires civilisés) et le Livre IV (Le Souterre) forment la partie background de cet ouvrage, une section clairement séparée en deux parties différentes.

Le premier livre se concentre sur le contexte lié directement à la campagne. Un village humain, deux cités naines, une cité drow et sa famille majeure y sont décrits de façon pragmatique et synthétique dans cette partie.

Le deuxième livre de son côté ouvre plus largement le background sur ce monde souterrain. Il propose la description de nombreux lieux et personnages pouvant permettre d’étoffer le contenu de ces territoires sombres, mais aussi quelques points de règles spécifiques à utiliser dans ce contexte.

  • 3ème partie : Le bestiaire (210 pages), le livre V qui ne dit pas son nom

La dernière section du livre, et la plus gourmande en nombre de pages, est un énorme bestiaire de presque 200 créatures. Cette énorme partie ne porte donc pas l’appellation “Livre”, mais dans les faits c’est clairement un Livre V qu’il faudrait placer dans la 2ème partie dédiée à la description de l’univers de jeu.

Le contenu de l’Ascension des drows : accrochez vos ceintures ça va aller vite !

  • La campagne en elle même :

Je ne vais bien sûr pas trop détailler le contenu de la campagne, pour éviter de divulgâcher cette histoire à un joueur imprudent venant lire cette critique. Mais je peux tout de même vous faire ce petit résumé très général : cette histoire invite vos joueurs dans un petit village plutôt isolé nommé Rybalka qui va subir une attaque fomentée par des drows. Ces derniers s’emparent alors d’un objet important, et les joueurs vont poursuivre les assaillants à travers la nature, puis à travers les royaumes souterrains de la Souterre jusqu’au cœur du monde drow.

Instinctivement, j’ai envie de vous présenter tout cela comme une grande course poursuite, car le rythme des rencontres et des affrontements est extrêmement soutenu dans cette histoire. Après tout, sur une échelle de temps assez peu claire mais semblant assez courte, les héros vont monter en flèche du niveau 1 au niveau 15 !

Le plus important à savoir concernant cette campagne, selon moi, est qu’elle propose un rythme très soutenu d’enchaînements de rencontres durant tout son déroulement. L’influence du support de jeu en ligne Roll20 sur l’éditeur se sent d’ailleurs sur ce sujet par le soin apporté aux plus de 40 battlemaps que contient L’Ascension des drows.

Cette campagne est un roller coaster qui va entraîner vos joueurs dans un tourbillon de défis de plus en plus corsés, dans la plus pure tradition du zéro to hero de D&D, mais je vais vous soumettre ici un petit conseil qui me semble important : L’Ascension des drows propose aussi tout un cadre de jeu et de nombreuses descriptions qui méritent mieux que d’être à peine aperçues comme le paysage qu’on voit défiler derrière la vitre d’un TGV. J’encourage vivement les meneurs à construire des moments de pause dans ce récit, en particulier en utilisant les séquences ou les personnages vont découvrir et pouvoir visiter les diverses cités proposées dans cette histoire. Prenez le temps de la description, et suivez le conseil inscrit dans le texte de la campagne qui consiste à venir ajouter des éléments du contexte de votre choix dans le récit.

Le rythme effréné de l’action dans cette aventure mérite bien quelques moments de prise de recul, le temps de valoriser tout le cadre de jeu proposé dans les textes.

En termes de pur contenu ludique, les amateurs des tropes de D&D ne seront pas déçus. Infiltration de forteresse, exploration de temples, embuscades, pièges et diversités des affrontements sont clairement au rendez vous dans cette histoire. Le thème principal reste cependant le voyage et l’exploration le long d’une route assez clairement tracée, même s’ il faut noter que le récit laisse quand même ponctuellement une liberté proche du bac à sable aux joueurs.

Je conclurai cette partie sur la campagne elle-même avec un petit avertissement : comme je l’ai déjà évoqué rapidement la chronologie des évènements et les temps de voyage ne sont pas clairement indiqués dans le livre. De la même manière, il n’y a pas de chapitre dédié à des conseils aux meneurs pour mener cette campagne. Les auteurs donnent bien sûr des indications dans les textes des scénarios, mais de façon évidente il va falloir un peu de travail préparatoire aux meneurs pour s’extraire un point global et une vision générale de la campagne et de ses rouages.

  • Le cadre de jeu :

Comme je le disais précédemment, L’Ascension des drows se veut être un ouvrage généreux en informations de contexte (plus de 160 pages !). J’ai été marqué cependant par une approche spécifique de présentation de tout ce contexte : une mécanique de description très pragmatique lieu par lieu. Je veux dire par là que les informations de contexte sont apportées autant par les descriptions enchaînées de chaque endroit (comme les pièces d’un donjon) que par le biais de textes généraux permettant de cerner l’ambiance générale d’un contexte.

Par exemple, si vous voulez en savoir plus sur les us et coutumes dans la cité de Holoth, vous trouverez beaucoup de ces informations éparpillées dans les descriptifs des différents bâtiments de la ville. Il y a bien des paragraphes dans les marges explorant le fonctionnement de la société des drows, mais il vous faudra tout autant creuser dans les descriptions des bâtiments du texte principal que dans ces paragraphes thématiques des marges pour vous faire une idée claire de l’ambiance des lieux.

Pour conclure sur cette partie de contexte, je vais revenir sur un conseil important : il y a beaucoup de matériel dans ce cadre qui peut être ajouté aux scénarios, les meneurs ont tout intérêt à venir y prendre des choses pour donner du corps autour du déroulement des évènements de la campagne.

D’ailleurs, l’énorme bestiaire proposé dans le livre est à lui seul une boîte à outils très riche pour habiller des temps d’arrêt où vous pourrez proposer à vos joueurs de déambuler dans des lieux bien décrits en proposant des rebondissements pas directement liés à l’histoire principale.

Conclusion

L’Ascension des drows laisse des impressions contradictoires à la lecture. D’un côté on voit immédiatement la générosité de ses descriptions, particulièrement concernant des lieux iconiques des mondes souterrains, mais d’un autre côté on sent clairement le rythme effréné de l’enchaînement des rencontres et des montées de niveau qui va absorber l’attention des joueurs autour de la table.

Le risque donc selon moi serait de trop se laisser entraîner dans ce tourbillon d’affrontements, et de sauter d’une battlemap à l’autre sans prendre le temps d’utiliser le cadre de qualité proposé par les auteurs. Les scénarios de L’Ascension des drows proposent tout l’arsenal des péripéties que l’on s’attend à affronter dans une aventure de D&D, mais la générosité et la densité de ces rencontres pourrait mettre l’univers décrit sur plus 160 pages trop de côté dans le vécu de ce récit autour des tables de jeu.

Le monde souterrain de la Souterre mérite je pense bien mieux que cela, et c’est aussi le cas de la région en surface avec son passé riche en possibilités.

L’Ascension des drows méritera donc selon moi une préparation spécifique, où chaque meneur doit construire ses propres aires de repos autour de l’autoroute des scénarios, pour que ses joueurs puissent prendre le temps de s’immerger dans l’ambiance et les descriptions très intéressantes proposées par l’ouvrage.

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