Les Ombres d’Esteren : De…aaaargh !

Donc, voilà, c’est arrivé : l’ambitieux foulancement proposé par Agate pour la VF de Vampire le Requiem n’a pas réussi à atteindre ses objectifs. Or, il y a quelques temps, le Fix s’était fait sibylle en pointant du doigt l’abus de crowdfunding de certains éditeurs. Et on incriminait alors notamment Agate, éditeur des Ombres d’Esteren, coupables de laisser leurs souscripteurs dans le flou à propos d’un projet non intégralement livré (Dearg) alors qu’ils retournaient à la levée de fonds pour un nouveau projet (Lune Noire et Occultisme). C’est l’occasion de causer un peu Esteren et, plus largement, crowdfunding avec Nelyhann, grand manitou des Ombres.

Nelyhann, fin janvier, l’équipe des Ombres d’Esteren a réussi une levée de fonds pour les suppléments Occultisme et Lune noire. Dix semaines plus tard, peux-tu nous en dire où en est ce projet ?

Lune noire est fini et Occultisme est dans l’étape finale de maquette. Ces deux livres sont principalement l’œuvre d’Iris, celle qui produit avec moi la majorité des textes pour Esteren aujourd’hui. Elle m’a envoyé la première version d’Occultisme à l’été 2012. Du temps est passé et ses textes ont beaucoup évolué. Son scénario «Une Chambre bien rangée» est un petit bijou ! L’album RISE est lui aussi terminé : Marc Gueroult a bouclé le mastering. Il nous reste la jaquette à faire… il y a aussi d’autres projets annexes liés à cette campagne, comme la recette proposée par l’auteur de Gastronogeek, Thibaud Villanova. En attendant la sortie du livre des Secrets, nos lecteurs pourront se faire un petit gigot des Mor Roimh !

Tout allait bien mais nous venons d’essuyer un revers problématique puisque notre imprimeur historique, avec qui nous travaillons depuis 2010, a fermé les portes. C’est une vraie tuile car ça décale notre calendrier. Les choses devraient rentrer dans l’ordre prochainement.

La campagne de financement a eu un peu plus de mal à aboutir que les précédentes (atteignant tout de même 159 % de l’objectif). Et finalement, c’est juste après que le Fix en ait parlé qu’il y a eu un sprint final victorieux. Eh, si ça se trouve, c’est grâce à nous, non ?

Va savoir ! Le monde rôliste est plein de paradoxes.

Plus sérieusement, à quoi attribues-tu les (relatives) difficultés rencontrées au début par ce crowdfunding ?

C’est une question de point de vue. Bien sûr, si on regarde les chiffres, là où Dearg a fait 60.000 € et Voyages 35.000 €, Occultisme et Lune noire n’ont fait que 30.000 €. On s’habitue vite aux bonnes choses ! Mais 30.000 € de financement pour du supplément, c’est une grosse réussite déjà. D’autant que la version anglaise, financée en même temps sur Kickstarter, a récolté 130.000 dollars. Le fait que ce score sur Ulule soit inférieur aux précédents peut s’expliquer de plusieurs manières : tout d’abord, la mécanique classique de déperdition du lectorat au fil de la publication des suppléments d’une gamme. Sur un autre registre, je pense que le retard sur Dearg énerve une partie de notre communauté et la tient éloignée de nos nouvelles productions. Nous nous en sommes plusieurs fois expliqués et il y a une double peine pour nous : ce retard sur Dearg ralentit notre évolution tout en pénalisant les nouvelles sorties. Mais les effets collatéraux sont là et je ne peux que les constater. C’est comme ça, d’autant que je comprends certains des reproches formulés. C’est à nous d’apprendre de cette erreur pour nous améliorer.

Dans la news du Fix évoquée précédemment, nous émettions l’hypothèse selon laquelle le fait que le précédent CF (Dearg) n’ait pas encore été totalement livré ait joué en votre défaveur. Il m’a semblé comprendre que tu n’étais pas très, très fan de cette explication…

Au contraire, je suis plutôt d’accord avec cette explication. Ce que je n’ai pas apprécié dans ce papier, c’est l’approximation des informations délivrées à vos lecteurs. Vous jouez aux durs chez le Fix et vous vous amusez à flinguer vos petits camarades : au moins, faîtes-le avec talent et n’allez pas pleurnicher quand ça riposte. En l’occurrence, je continue à penser que le papier «Oops, they did it again» était mesquin et mal documenté.

Dearg va donc finalement faire l’objet d’un épisode supplémentaire. Est-ce à dire que le travail d’écriture se fait au fur et à mesure, sans plan très clairement établi ? Tu as besoin de ça pour créer ?

La rédaction de la campagne Dearg a commencé en 2009. Lorsque nous avons lancé la souscription en 2013, nous avions un plan de publication précis en quatre épisodes, tout au long de l’année. Une majorité des textes étaient écrits. Nous avions même fait un catalogue annonçant ces sorties, avec des dates et tout. Las ! Que s’est-il passé ? Je n’avais pas anticipé le nombre de retours que la communauté ferait avec la publication des deux premiers épisodes. Je travaille beaucoup avec les playtests : je me retrouvais tout d’un coup avec plusieurs dizaines de retours différents, que ce soit sur les forums ou en convention, par email ou via la page facebook. Bref, il était impossible pour moi de ne pas pendre en compte tout cela. À tel point que j’ai rajouté des chapitres, modifié des choses pour finalement demander à mon éditeur d’adjoindre un cinquième épisode à Dearg. Tout le monde savait à quoi s’en tenir : un cinquième épisode allait aggraver le retard, faire monter la grogne. Après tout, j’aurais pu m’en tenir au planning initial, qui m’en aurait voulu ? Des 250 pages annoncés, on se dirige vers 350, peut-être 400. C’est une chance et un luxe que de pouvoir ainsi prendre du temps pour améliorer son travail.

En fait, cette démarche n’est pas nouvelle. À l’époque, le Livre 1 – Univers devait sortir en septembre 2009… il est finalement sorti en 2010 car nous avons opéré des changements éditoriaux importants. Aujourd’hui, ce genre de revirement, du fait de la mécanique du financement participatif, n’a pas le mêmes conséquences : nous avons des comptes à rendre. C’est tout à fait normal, il faut l’assumer.

Dans un article sur le blog des Ombres, tu semblais sous-entendre que l’acquisition des droits de Vampire Le Requiem par Agate était surtout un moyen de diversifier les revenus de l’éditeur (qui, de fait, n’édite que Esteren actuellement). Mais est-ce que des habitués de la gamme des Ombres vont aussi intervenir d’une façon ou d’une autre dans ce projet ?

Non, pas du tout. La licence ne nous permet pas de produire de nouveaux contenus. De toutes les façons, Esteren nous prend trop de temps !

Dans le même article, tu semblais un peu désabusé ou lassé et tu évoquais le fait que tu te « réserv[ais] la possibilité de poser les gants » bientôt. Vas-y, profite de cette tribune dans le Fix pour te soulager : qu’est-ce qui t’énerve ?

Je ne me sens pas énervé. J’ai commencé ce projet en 2006 et je commence à fatiguer. J’ai beaucoup donné pour Esteren. Nous arrivons à un moment important de cette grande aventure. Vivre de notre travail, se professionnaliser est un projet que je porte depuis longtemps. C’était un rêve mais aujourd’hui il y a une petite chance que nous puissions y arriver. Cela signifierait la renaissance d’un véritable studio dédié à la création de jeux de rôle, comme à la grande époque. Si ce n’est pas le cas, le projet s’arrêtera sans doute. Esteren est devenu très gourmand et il est de plus en plus compliqué de le concilier avec le boulot de tous les jours, la vie quotidienne. En parallèle, nous avons la chance qu’Esteren ait attiré l’attention de personnes bien au-delà du tout petit milieu du JDR. Il est difficile de dire ce qu’il va ressortir de toutes ces rencontres mais nous pourrions être les premiers surpris par la tournure des événements ! Sur ce, je vais retourner bosser sur Dearg. À la prochaine !