Un peu plus profond dans l’occulte [chronique – LexOccultum, les scénarios]

Un. Sur. Deux. On avait convenu de faire deux articles pour couvrir la gamme LexOccultum. Et, du coup, on avait aussi convenu de n’être vulgaire qu’à 50 %. Bah, voilà, c’est fait.

Alors, si vous avez lu l’article précédent (ah ? Vraiment, vous auriez dû…), vous savez déjà qu’il vous a fallu investir dans deux épais livres de base pour vous lancer, voire dans un écran du MJ et, pourtant, vous n’avez toujours pas l’ombre (ni la lumière, du coup) d’un scénario pour jouer. Heureusement, comme on va le voir, le reste de la gamme éditée en VF chez Arkhane Asylum y pourvoie.

Ne tournons pas autour du pot. Même si, on le verra, le petit scénario Le mystère Übel Staal, a finalement bien des atouts, LexOccultum est un peu un « jeu-campagne », c’est-à-dire une gamme qui gravite autour d’une grosse campagne prête-à-jouer qui sera, finalement, la principale approche du jeu par 90 % des joueurs. Cette campagne porte le joli nom de Roi-de-rats et est présentée dans un épais volume de la taille et de la forme du livre de base. Voyons voir sans tarder ce qu’elle a dans le ventre.

Comme pour le reste de la gamme, le défi imposé à ses auteurs suédois par le contexte franco-français de la campagne est relevé. On est bien en France et le décor ne se limite pas du tout à un arrière-plan exotique en carton-pâte. Oh, bien sûr, si vous jouez d’habitude avec Stéphane Bern et Lorant Deutsch à votre table (bah quoi ?), ils lèveront plus d’une fois les yeux au ciel mais rien de fâcheux pour 99 % des joueurs francophones. Surtout si cela ne les dérange pas plus que cela que l’on égratigne un peu les mœurs de la monarchie de l’époque. En effet, celle-ci ne sort pas grandie de cette intrigue qui force un peu son rapport au secret (c’est clairement un jeu complotiste) et les libertés qu’elle pouvait se permettre de prendre réellement vis à vis de la loi commune (ou coutume). Ainsi, si chez vous, Da Vinci Code ou Le Bazar de la charité passent crème sans arracher des hurlements de désespoir, ni à vous, ni à vos amis, il n’y a aucun risque de rencontrer des difficultés avec cette campagne.

La campagne est présentée dans un superbe livre aux standards de la gamme : couverture rigide, nombreuses illustrations au trait inspirantes, papier glacé, etc. Les PNJ, notamment, ont droit à un luxe de détails avec pour presque chacun d’entre eux une pleine page illustrée par un beau portrait. C’est toutefois là où on se rend compte que le système de jeu de LexOccultum prend un peu de place, notamment pour les caractéristiques de ces PNJ qui, finalement… bah bouffent l’essentiel de la place laissée par le portrait sur la pleine page. Dommage. D’autant plus que d’autres aides de jeu utiles comme les plans et cartes auraient pu bénéficier d’un peu plus de place pour être vraiment utilisables. Mais, le plus flagrant, c’est la façon dont sont expédiés les (nombreux !) textes pouvant être trouvés par les PJ lors de leurs investigations. Toutes ces lettres, notes, placards, etc. sont donnés en texte brut quand on aurait aimé avoir quelques fac simile à photocopier et à distribuer aux joueurs.

En ce qui concerne le gameplay, un avertissement essentiel s’impose avant de savoir si vous devez craquer ou non pour cette imposante campagne et, il faut bien le dire, pour le jeu entier dont, pour l’instant, elle constitue l’essentiel de la gamme. Comme pour le reste, et notamment le système de jeu, LexOccultum s’inscrit dans un style vintage qui rappelle les années 1990 (disons les années Multisim chez nous pour faire simple). En plus clair : l’intrigue est vraiment très linéaire. Ce n’est peut-être pas un défaut pour vous et vos joueurs, beaucoup y trouvent en effet leur compte. Mais vous êtes peut-être au contraire de ceux que cela hérisse au plus haut point alors il est important de savoir où vous allez mettre les pieds si vous vous lancez dans cet investissement conséquent.

Parfois, les PJ doivent véritablement « faire ceci » ou « ne pas faire cela » pour que l’histoire n’ait ne serait-ce qu’une chance de continuer normalement. Et la nuance ne semble alors exister que dans l’esprit des auteurs. Ainsi, lors de l’agression d’un PNJ par des spadassins plus nombreux, les PJ sont supposés ne pas lever le petit doigt… sous peine d’empêcher un rebondissement décisif. Ils sont là totalement spectateurs. Quelques temps plus tard, une scène quasiment équivalente est, elle, sensée aboutir à un combat épique. Il faudrait savoir ! Dans tous les cas, c’est sûr que si vous avez été biberonné au « Propulsé par l’Apocalypse », cela ne va pas vous convenir…

L’essentiel de l’intrigue repose sur le principe du jeu de piste qui conduit les PJ de témoin crucial en indice-clef. C’est de bon aloi et le risque de monotonie est bien rompu par la variété des ambiances et des paysages puisque l’intrigue, qui débute à Paris, alterne d’abord entre les bas-fonds de la capitale et les salons aristocratiques à la mode avant de nous envoyer dans plusieurs coins de France.

Revenons sur les témoins à interroger. Que ces gens-là sont bavards, Grands Dieux ! Pratique assez rare dans mes lectures rôlistes personnelles, les auteurs font parler les PNJ de façon extensive. Comprenez que l’on ne nous livre pas une série d’idées ou d’infos à faire passer. Non. On a direct le monologue à la virgule près. Cela revient même très souvent, parfois sur une colonne de texte entière et même pour les PNJ atteints visiblement de diarrhée verbale, cela monte à… une pleine page ! Alors, je suppose que cela dépend pas mal des pratiques de chacun et certains seront sans doute rassurés d’avoir un texte à lire mais, clairement, pour moi, c’est contre-productif et, pour m’approprier de tels discours, il faudra sûrement et paradoxalement, pas mal retravaillé en amont pour en extraire un style, des infos clés à ne pas oublier, etc.

Si vous êtes un peu rebuté par le côté mastodonte hyper-balisé de la campagne, vous pouvez vous tourner vers l’unique autre scénario existant pour le jeu : Le Mystère Übel Staal. Comme on le devine aux sonorités du titre, celui-ci se passe dans le Saint-Empire Romain germanique mais, pas de panique, il se déroule en fait à la frontière française et l’intro se passe même en France alors, hop, ça fait presque combo avec la campagne.

Ce scénario n’échappe en revanche pas à un écueil habituel des jeux historiques : former un groupe cohérent. Le jeu a beau se vouloir ouvert à toutes sortes de profils de PJ, il n’en reste pas moins que le début du scénario pose d’emblée un cadre qui exclut au bas mot 90 % de la population européenne de l’époque. Déjà, chic et distinction au programme, l’aventure débute dans un bordel. Il semble délicat d’y imaginer un groupe mixte. Ou avec une forte présence de religieux/ses. Si on y ajoute qu’il s’agit d’un bordel de luxe, on peut encore enlever la masse des artisans, paysans, soudards, etc. Bref, on joue ce qu’on veut. Mais si votre alter ego est un homme, fortuné et peu porté sur la morale chrétienne, c’est mieux.

Pour le reste, il faut le concéder, le scénario partage un certain nombre de défauts avec sa grande sœur : début très linéaire, PNJ bavards avec texte écrit à la virgule près sur deux colonnes, fiches de PNJ magnifiquement illustrées mais encombrantes, aides de jeu (plans, etc.) qui auraient gagné à être mieux mises en valeur… Mais, pour le reste, ce Mystère Übel Staal apporte un vrai vent de fraîcheur par rapport à une campagne un peu lourde et scriptée : passée l’intro, ce scénario tient presque du bac à sable. Les PJ doivent se rendre dans une petite bourgade pour résoudre un mystère (sans blague ?) et, finalement, ils vont en trouver plusieurs entre-mêlés. Le tout est présenté à partir du plan du bourg : chaque lieu est ensuite décrit avec ce qu’on peut y trouver, ce qui peut s’y passer, etc. Viennent ensuite les PNJ. Un très bon scénario paradoxalement beaucoup plus facile à prendre ne main qu’une campagne qui se veut prête-à-jouer.

Un mot sur la forme. Elle est impeccable, aux standards du reste de la gamme. Le Mystère Übel Staal ressemble donc à une belle et grosse BD de 70 pages sous couverture rigide, papier glacé, tout couleurs… Je sais que je suis vieux mais je me demande quand même : à quoi bon ? De mon temps (nomdidju !), cela s’appelait un module, c’était en noir et blanc, on pouvait surligner ou annoter le papier pour faciliter la prise en main par le MJ, avec une couverture souple, moins onéreuse et encombrante. Comme disait mon ami cuisinier japonais, o tempura, o morues. Un bon point de plus à signaler tout de même : même si la forme s’avère peu pratique, le scénario ne grèvera pas votre budget. Il est vendu à un prix tout à fait raisonnable et, c’est à noter, AAP en a financé l’édition malgré l’échec de l’obtention de ce palier lors du foulancement. Et c’est vrai que cela aurait été bien dommage.

Nous n’avons pas de nouvelles d’un éventuel suivi au suivi en VF par AAP, pas mal occupé par ailleurs avec sa trouzaine de foulancements, en attente de livraison ou seulement annoncés. Il existe pourtant un (timide) suivi en anglais qui pourrait à terme intéresser les joueurs francophones de LexOccultum. Un CF a ainsi été organisé en 2019 par Riotminds pour produire Carta Monstrorum, un bestiaire avec les statistiques et les descriptions détaillées de plus de 30 monstres. Il n’a toutefois pas encore été distribué. On remarquera enfin que ce supplément de contexte contient bel et bien des accroches de scénarios mais ce n’est pas cela qui offrira plus d’aventures prêtes-à-jouer à ceux qui voudraient éviter d’avoir à se lancer dans la campagne Roi-de-rats, pour le moment monument incontournable de la gamme.