Ich bin ein Berliner [Berlin la Dépravée – chronique]

Eh, les gens, encore un nouveau contributeur pour les chroniques du Fix ! On est contents. Comme pour tout projet entièrement bénévole et collaboratif, le Fix a besoin de forces vives pour renouveler l’équipe de vieux croutons, pour élargir son horizon ou diversifier ses points de vue. Potentiellement, le Fix parle de tout ce qui est le JdR. A vous de le définir. A bon entendeur…

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Après le lancement de la version PDF début novembre 2020, Edge propose un mois plus tard la version papier du supplément sur Berlin qui vient étoffer sa gamme Cthulhu V7. Timing parfait pour retrouver cet ouvrage sous un tannenbaum. Le 4ème ouvrage en français de la gamme Chaosium V7, si l’on ne compte pas la boite de corn flakes… euh… pardon d’initiation, nous promet une plongée en 272 pages dans le Berlin de l’entre-deux guerre, ville de tous les excès si l’on en croit le titre : Berlin la dépravée.

Dépravée jusqu’où?

Les différents communiqués publiés par Edge afin de lancer l’ouvrage ont pu aborder ce mélange de culture, de liberté, de décadence et d’affaires douteuses, ainsi que cette atmosphère teintée de violence sur fond de montée de nationalisme et de crimes politiques. Ainsi l’ouvrage s’ouvre sur un avertissement afin de prévenir le lecteur que le contenu, qui va parler de drogue, de racisme et de sexe, est réservé à un public adulte. Cet avertissement est accompagné d’une note concernant la version française à propos du traitement des genres, avec un équilibre proposé entre le gardien, les investigateurs et les joueuses et l’utilisation de l’écriture inclusive lorsque nécessaire. Effort notable, cela reste indéniable, même si le masculin reste de fait plus représenté. L’écriture inclusive est très discrète (25 points médians sur 764409 signes en 272p) voire quasi absente selon les sections, ce qui plaira aux allergiques. A noter que cette approche est désormais la norme pour toutes les publications de la gamme. L’illustration de couverture signée Loïc Muzy n’est pas racoleuse comme le titre de l’ouvrage aurait pu le laisser présager, et elle est simplement magnifique, surclassant largement les couvertures des autres ouvrages proposés en français par Edge pour cette V7.

Ein, zwei, drei

Les trois premiers chapitres permettent d’avoir un panorama assez complet de ce que la ville peut offrir en terme de terrain de jeux pour les gardiens et investigateurs.

Le premier chapitre propose des pistes pour expliquer la présence des investigateurs à Berlin, qu’ils soient expatriés, immigrés ou autochtones, quelques bagages d’expérience sont proposés ainsi que les organisations ou associations auxquelles être affilié permet aux investigateurs de se faire une place dans la ville. Pour chaque organisation, vous pourrez trouver sa raison d’être, un petit historique ainsi que les ressources dont elle dispose suivi de quelques suggestions d’occupations qui seraient compatibles pour en faire partie. Ces organisations peuvent être aussi utiles pour un coup de pouce lors d’une enquête, ou pour trouver des contacts si vos joueurs ne sont que de passage.

Pour celles ou ceux qui voudraient jouer un·e Berlinois·e, un générateur de nom est fourni et si vous avez choisi l’allemand en LV37 au collège, inutile de se plonger dans l’intégrale de Stalag13/Papa Schultz, un petit tableau sur la prononciation permettra d’essayer de paraître, avec plus ou moins de succès, moins ridicule.

Certain·e·s pourraient trouver qu’il est délicat de parfois bien saisir les nuances entre certains mouvements et autres organisations sans avoir un tableau d’ensemble du climat social et politique. C’est ce qui est ensuite proposé. L’avoir placé avant aurait permis d’avoir une vision plus globale de la situation, d’autant plus qu’il y a une partie « cultiver son réseau » qui aurait pu accueillir ces divers groupes plus loin dans l’ouvrage. Volonté de vouloir tout de suite proposer quelque chose à se mettre sous la dent pour le gardien ou l’investigateur pressé ? Chacun·e se fera son avis. Quoi qu’il en soit, vous pourrez aussi trouver deux pages sur l’histoire de Berlin suivie d’une description des zones (ensembles de quartiers) de la ville avec pour chacune un encadré, plutôt utile, récapitulant les éléments qui pourraient être pertinents pour le gardien pressé.

Afin de finir de planter le décor, l’atmosphère de la ville est présentée, suivie d’un topo sur la criminalité et les forces de l’ordre, sans oublier les deux encarts sur la consommation d’alcools et de stupéfiants ainsi que leurs effets dans le jeu.

À noter que c’est dans cet encart stupéfiant que se trouve l’un des errata les plus flagrant de l’ouvrage (le trouverez-vous?). Il y en a quelques autres mais cela reste largement en dessous des seuils souvent constatés. De plus ceux qui ont été remontés ne relèvent à chaque fois que du domaine du détail ou de questions de mise en page et ne changent rien à la compréhension globale. On peut souligner ici la réactivité de l’équipe Edge qui, en la personne de la responsable de gamme Elodie Nelow, a passé deux heures à discuter et intégrer en direct ces errata (pour les plus litigieux) lors de la mise en place du salon idoine sur discord.

Le second chapitre « Berlin démasquée » fait plus guide du routard de Berlin dans les années 20. Avec un descriptif des différents lieux, sites et institutions à connaître et qui permettent d’ancrer vos scénarios dans la ville. Du musée au cimetière, en passant par le cabaret transgenre à la mode, tout y passe. Vous trouverez d’ailleurs des conseils si un investigateur veut gérer un cabaret ou un club ainsi que des tables permettant d’en générer. Y figurent aussi les encarts permettant de jouer un·e investigateur·rice LGBTQI et la liste des différentes catégories de prostitué·e·s que l’on peut trouver selon les quartiers et leurs caractéristiques. Les perfectionnistes ou curieux, pourront regretter l’absence de tarification de leurs services, mais le tableau indiquant la fluctuation de la valeur de change du mark, que l’on peut aussi trouver un peu plus loin, suggère que ce genre de détail serait totalement inutile. Des tables sont aussi proposées afin de s’approprier l’argot de la ville et de générer de façon aléatoire des commerces et détails architecturaux pouvant agrémenter la description des quartiers lors des déambulations de vos investigateurs. Bref de nombreux éléments qui permettent de s’approprier la ville pour améliorer l’immersion.

Berlin ne serait pas ce qu’elle est non plus sans ses habitant·e·s, et on pourra ici trouver quelques portraits de personnalités du spectacle, du cinéma, de la politique ou des sciences, de passage ou originaires de la ville, qui ont marqué l’histoire. De Bertolt Brecht à Kurt Weil, le gardien peut piocher dans ce chapitre pour agrémenter ses scénarios. Certain·e·s pourrait regretter le déséquilibre en faveur des hommes car sur 30 portraits, 21 sont masculins pour 9 féminins. Au-delà de Berlin nous pouvons constater une fois de plus que l’Histoire est aussi genrée. Celles ou ceux qui sont moins sensibles à ces problématiques pourraient regretter de ne pas avoir une galerie de personnalités de « second rang », avec moins de visibilité mais tout autant emblématiques des différents quartiers de la ville et qui seraient plus facilement exploitables pour le meneur peut-être.

Et le Mythe

Il est bien évident qu’un tel décor est un terreau fertile pour y déployer les tentacules du Mythe et le quatrième chapitre nous permet de plonger un peu plus dans la sombre Berlin. Après une présentation de quelques sectes, vous pouvez trouver 11 accroches de scénarios qui permettent d’exploiter les particularités des différents quartiers, populations ou lieux emblématiques de la ville. Le spectre est assez large et devrait permettre à chacun de trouver de quoi broder et se lancer dans la création d’intrigues. Certain·e·s pourraient rester sur leur faim mais le reste de l’ouvrage propose tout de même un décor ouvrant la porte à toutes les extravagances et folies tentaculaires.

Et pour ceux qui préfèrent se lancer tout de suite, l’ouvrage propose ensuite 3 scénarios complets autour des 50 pages chacun. Les deux premiers se situent dans les années 1920. Le Diable Mange des Mouches mènera les investigateurs dans une enquête autour de la noblesse russe en exil à Berlin sur fond de meurtres inexpliqués. Le Ballet du Vice, de l’Horreur et de l’Extase, porte très bien son nom, ici, les investigateurs vont vivre une expérience étrange qui quelques années plus tard se rappellera à eux alors que la ville sombre dans une folie des plus débridée. Enfin le troisième scénario, Schreckfilm, se déroule dans le milieu de l’occultisme berlinois des années 1930 autour d’une pellicule magique. Les goûts et les couleurs feront que certains seront plus sensibles à l’une ou à l’autre des enquêtes proposées mais il y a le matériel pour pouvoir s’en accommoder via quelques ajustements selon les préférences et sensibilités.

Donc Ich bin ein Berliner ou pas ?

Finalement, Berlin la dépravée vaut le coup ou pas ? Pour ma part, vous avez du vous en rendre compte, je trouve l’ensemble plutôt convaincant. Bien sûr on aurait pu avoir un peu plus de ceci ou de cela, mais au final on a un portrait assez complet d’une ville et d’une période de l’histoire parfois mal connue avec tout ce qu’il faut pour que les joueur·se·s puissent se frotter au Mythe. La mise en page est claire et les illustrations alternent avec les plans et photos de façon harmonieuse, cela se lit tout seul. Un ouvrage qui ne mérite pas de rester sur l’étagère mais qui ne demande qu’à être exploité. Laissez vous tenter par la dépravée…

6 pensées sur “Ich bin ein Berliner [Berlin la Dépravée – chronique]

  • 5 février 2021 à 11:42
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    Bonne critique. Ça donne envie, merci.

  • 17 février 2021 à 17:50
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    Dommage que la critique ne s’attache un peu trop aux problèmes de notre société moderne, celle de 2021 et pour lesquelles je n’ai aucun jugement de valeur, plutôt qu’à une vraie critique de cet ouvrage, au demeurant excellent, qui lui parle d’une toute autre époque et d’un lieu moins connu dans ces fameuses années 20.
    L’écriture inclusive c’est bien jolie mais de fait cela exclu les dyslexiques. L’auteur de la critique y a t-il pensé ?

    Un peu plus de détails sur le contenue et un peu moins de commentaires esthétique aurait été plus appréciable. Même si je la trouve plutôt agréable, l’avis sur la couverture est avant tout une histoire de goût et la comparer aux couvertures des autres ouvrages de la gammes ne fait pas sens à mes yeux.

    Mais ne vous méprenez pas, cette ouvrage mérite que l’on s’y penche. Tout bon Gardien des Arcanes se doit de posséder un tel livre dans sa collection de l’Appel de Cthulhu.

    • 2 mars 2021 à 16:49
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      En ce qui concerne l’écriture inclusive je vous rappelle juste que la FFD (Fédération Française des Dys) ne s’oppose pas à l’écriture inclusive (ah mince cela devient embêtant pour tout ceux qui brandissent cet argument) je cite : « Peut-on conserver une langue qui rend les femmes invisibles et qui est la marque d’une société où elles joueraient un rôle secondaire parce que 5 à 10% de la population est concernée par la dyslexie? » (et je cite ici la Fédération des Dys).
      Je vous rassure cependant le propos n’est pas, bien sûr, d’exclure un groupe au profit d’un autre, il s’agit aussi d’accompagner les Dys dans leurs apprentissages. La FFD rappelle qu’il faut éviter l’écriture inclusive pendant le premier cycle d’apprentissage de la lecture, mais je doute que des élèves de grande section de maternelle-CE1 soient le type de lecteurs à qui confier Berlin la dépravée.

  • 4 avril 2021 à 09:43
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    On voit bien que vous n’êtes pas touché par se problème (ce que je ne vous souhaites d’ailleurs pas)
    C’est cette même fédération qui promeut la synthèse vocale comme moyen de compensation, franchement quel avancée !

    Et Je tiens à rappeler que l’Académie française ne considère pas l’écriture inclusive comme du français.
    Et moi aussi j’y vais de ma petite citation : « Prenant acte de la diffusion d’une « écriture inclusive » qui prétend s’imposer comme norme, l’Académie française élève à l’unanimité une solennelle mise en garde. La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. »

    Il serait préférable de mettre tout votre article au féminin. Cela le rendrait au minimum compréhensible et au pire en langue française.

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