50 nuances de Greyshore

Les foulancements semblent gagnés depuis peu par un régime d’austérité. On voit ainsi apparaître à nouveau, comme à l’origine du principe, des petits porteurs de projets qui viennent réclamer une somme des plus modestes pour donner vie à une création qu’ils pensent pouvoir être utiles à la communauté. C’était le cas des modules 5E de l’association Fondu au Noir. C’est aussi le cas pour le scénario Le Silence de Greyshore, défendu par sa jeune autrice, Louise Chamagne. Pour le descendant bâtard d’un magazine de JdR qui avait été le premier à expérimenter le recours au crowdfunding pour pouvoir faire imprimer ses deux premiers numéros, le Fix ne pouvait qu’avoir envie d’en savoir un peu plus sur cette démarche.

*voix jouant très mal l’enthousiasme sincère* Ooooh, bah dîtes donc, encore un nouveau scénario medfan avec les règles de la 5E, chouette.
 
Alors, ça n’est pas une question… Je réponds du coup ? Non, ça n’a pas de sens ! Je vais accoler cette affirmation à la question 2 pour que nous y voyions plus clair.
 
2 Bon, je veux dire : des scénarios medfan avec des kobbolds, des pelles à tarte +2 et des boules de feu, j’en ai toute une pelletée. Et pas mal de gratuits dans le lot, même. Pourquoi voudrais-je payer pour en avoir un de plus ?
 
Alors dune part, je tiens à faire remarquer que tu nes pas du tout obligé de le payer, tu peux tout-à-fait attendre que le PDF soit piraté et diffusé en masse sur les internets mondiaux à mon insu, je ne men offusquerai pas. Et puis contrairement à WotC, je nai pas derrière moi une armée de juristes (il ny a que moi, comme juriste) pour aller vous rattraper bande de vilains pillards.
 
Dautre part et plus sérieusement, bien sûr que non comme vous vous en doutez, il ne sagira pas daller casser du kobold avec des pelles à tarte +2 quallez-vous imaginer ! Déjà car je déteste les kobolds et puis parce que les pelles à tarte sont complètement dépassées. Non. Il sagira d’aller dégommer du gobelin avec des machettes et ce sans bonus ajouté merci, comme des gens civilisés.
 
Les règles de la 5e ont été employées à l’écriture de ce scénario pour la bonne raison que ce sont les règles avec lesquelles mes joueurs et moi sommes le plus à l’aise. Et puis parce que nous affectionnons tous la medfan. Mais ce sont les règles qui servent le scénario, et non l’inverse. Spoiler alert, à part la référence aux donjons et aux dragons dans la promotion, il n’y a plus grand chose de la medfan dans le scénario en lui-même. Il y aura des combats, certes (que le MJ peut décider de supprimer ou de faire jouer à la manière purement narrative pour sa table), mais il y aura avant-tout un village et une forêt, les deux perdus dans un paysage nordique, et des événements étranges et un mystère à élucider. Alors après, si vous préférez que cela ait lieu dans une atmosphère contemporaine et réaliste ou encore cyberpunk, faites-vous plaisir ! Le drame à l’origine des événements restera le même et l’ambiance également.
 
Et puis c’est vrai, pourquoi payer ? Pour les illustrations déjà, car Delphine fait un travail super, et puis parce que quand nous travaillons, et ce pendant longtemps, sur l’écriture, l’illustration, l’ambiance, les musiques et la mise en page, il est normal de demander en échange une petite contribution. Ce que je dis, ce n’est pas que ce scénario est mieux que ce que l’on trouve en ligne. On trouve des merveilles accessibles en ligne gratuitement. Mais la plupart du temps, je ne pense pas (du moins j’espère) que les auteurs engagent des illustrateurs qu’ils ne paient ensuite qu’en visibilité. Un illustrateur ça se paye en pièces d’or et puis c’est tout !
 
Mais au-delà de l’objet, qui je l’espère sera à la hauteur des attentes des personnes qui l’ont précommandé, j’ai évidemment tenté d’écrire quelque chose qui était différent des scénarii de medfan classiques justement. En attendant de voir quels seront les retours…
 
3 J’ai cru comprendre que les illustrations, justement, et même leurs couleurs allaient jouer un rôle important dans le scénario. C’est chelou. Tu peux nous en dire plus ?
 
Tu as en effet bien compris. Enfin tu as surtout bien lu. Oui je comprends que ça puisse paraître chelou et je vais tenter d’éclaircir ici sans trop divulgâcher l’aventure. J’invite d’ailleurs celles et ceux qui ne voudraient absolument rien savoir de ne pas lire ce qui va suivre. Les couleurs, et donc les illustrations de Delphine, vont venir illustrer des lieux, qui reflètent des sensations, des émotions, directement liées à la clé du mystère. Les illustrations reflèteront ce que les joueurs vont devoir affronter, les interactions qu’ils auront avec leur environnement, et leur permettront de tenter de comprendre les événements passés.
 
4 En fait, ton projet rappelle un peu le principe des vieux modules pour « tout jeu médiéval fantastique » dans années 80. Laisse-moi deviner : tu es nostalgique de tes jeunes années de joueuse, pas vrai ?
 
Exactement. Je suis très très nostalgique de toutes ces années que je n’ai pas connues. Je suis arrivée juste à la fin, en 1990, donc je n’ai non en effet je n’ai jamais connu ça.
 
5 La structuration du projet ressemble un peu également à celui de L’arbre-coeur et Le vent sur la frontière. Tu copies, en fait ?
 
Bin ouais que veux-tu, en medfan on n’a plus rien inventé. Non, la seule chose que j’ai copié à ce cher Emeric, c’est le modèle économique. D’ailleurs, ce n’est même pas mon idée. Quand j’ai écrit Greyshore, ma seule intention était de le faire jouer. C’est un ami qui m’a dit « mais pourquoi ne fais-tu pas comme ces Nantais qui ont publié grâce à Ulule un super one-shot sur les règles de la 5e ? ». Ma réaction a été « hein ? De quoi tu parles et pourquoi je ferais une chose pareille ? ». Et puis me voilà 5 mois plus tard à apprendre à faire de la communication sur les réseaux sociaux.
 
Emeric Cloche, avec L’arbre-coeur, a ouvert une grande porte avec fracas et je n’ai fait que m’engouffrer dans le couloir derrière lui. Pour en revenir à toutes les merveilles que l’on trouve sur internet, il y a de nombreuses personnes qui écrivent et font jouer de super scenarii et n’en demande aucune gratification, et on ne trouve dans la majorité des boutiques spécialisées que des campagnes de WotC et les autres pontes du domaine. Et c’est dommage. La scène du JdR indé a, je l’espère, de beaux jours devant elle. Il faut encourager les autrices et auteurs de JdR à accepter de se faire rétribuer, et à rétribuer des illustrateurs.
 
Pour en revenir à Emeric et à ses deux aventures, je crois que nous avons quand même des styles très différents. Donc pas de panique là-dessus, il y en aura pour tous les goûts. Et plus nous serons nombreuses et nombreux à le faire, plus il y en aura pour tous les goûts, c’est d’une logique imparable.
 
6. Au moins, comme pour eux, est-ce que tu envisages de renouveler l’opération avec de nouveaux scénarios si celui-ci trouve son public ?
 
Je lenvisage en effet. Mais jenvisage de le faire en étant bien mieux préparée. Mais jai aussi envie de dire, attendons de voir ! Déjà, que jen finisse avec Greyshore, car on nest pas sorti des ronces. Et surtout, comme tu dis, attendons de voir sil trouvera son public. Mais bien sûr nous y pensons. Je ne suis d’ailleurs pas la seule. Mon bon ami et mentor Eric (Drazah pour les intimes) a lui aussi des scenars dans son sac qu’il aimerait dégainer sur Ulule et nous allons aussi l‘aider avec ça ! Comme il m’a beaucoup aidé sur Greyshore d’ailleurs. Notamment dans le casse-tête qu’a été le système de jeu.
 
7 Tiens, tant que tu es là, tu ne vas pas y couper : tu représentes environ 2 % des personnes interviewées sur le Fix depuis sa création. C’est-à-dire une fille. Comment vis-tu, toi, personnellement, le fait qu’il y ait si peu d’autrices de JdR quand il y a en même temps tant de joueuses et de meneuses ?
 
Bin comment dire, je le vis. La grande majorité de mes joueurs sont des hommes bien que j’ai eu le bonheur de faire jouer des amiEs. Actuellement sur mes trois tables je ne fais jouer qu’une femme de manière régulière. Mais je sens que c’est en train d’évoluer. Je rencontre de plus en plus de femmes autour de moi intéressées, ou du moins intriguées par le JdR. Et puis il faut le dire, depuis le début de la campagne de Greyshore j’ai eu l’immense plaisir de rencontrer, virtuellement ou IRL, des femmes et des personnes non binaires. La communauté du JdR s’élargit et devient de plus en plus inclusive et c’est un vrai bonheur.
 
8 Tu es par ailleurs la fondatrice d’une association qui se donne pour vocation, je cite, de « faire découvrir le jeu le rôle dans le respect et l’inclusion ». C’est ton expérience personnelle qui t’a donné cette motivation-là ?
 
Pas tant une expérience personnelle que des retours dautres personnes qui mont beaucoup attristée. De mon côté jai la chance de ne pas avoir vécu de mauvaise expérience, justement. Et cela devrait être comme ça pour chacune et chacun. De pouvoir jouer dans le respect et le consentement. Certaines personnes autour de moi mont racontée des expériences horribles, surtout pour des femmes, dans des contextes absolument odieux où des meneurs de jeu se permettaient des horreurs. Le jeu de rôle peut être une expérience merveilleuse dimmersion et de voyage, les possibilités daventures et d’interactions sont infinies. Mais il ne doit pas être un énième vecteur pour des flots de haine et de frustration à lencontre de personnes qui déjà en souffrent dans leur quotidien.
 
Donc oui, bien évidemment, nous allons créer une énième association autour du jeu de rôle, mais linclusion en est une valeur centrale. C’était important pour moi en tant que femme et personne LGBTQ+, bien sûr, mais aussi pour mes chers camarades. Le jeu de rôle nous a, à tous, beaucoup apporté, et nous voulons le lui rendre aussi. Permettre de créer et de le faire découvrir.

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