Pour 25 balles, t’as Hypertelluriens [chronique]

Ce n’est plus si fréquent, les jeux courts et pas chers. Je veux dire : si, on peut en dénicher des dizaines en PDF ou même en POD (tous ceux de chez Chibi en forment un bon exemple) mais des livres de JdR de ce format-là publiés par une maison d’édition et distribués en boutiques, c’est franchement rare. C’est pourtant le pari que s’est lancé un audacieux jeune éditeur – Pattern Recog Editions – en sortant cette VF d’un obscur jeu, Hypertelluriens.

Le jeu est un curieux attelage de proposition de jeu façon OSR (rapide et accessible) et d’univers de SF vintage façon Barbarella.

Enfin, je crois…

Ce qui surprend en effet instantanément à la lecture de Hypertelluriens, c’est que la proposition de jeu n’est pas explicitée. Alors, OK, je comprends bien l’idée d’un jeu court dans le trip OSR : du jeu, des règles, pas de blabla à la Multisim ou à la Monde des Ténèbres. OK. Mais quand même il y a des limites. Là, il n’y a même pas une petite intro sur « voici ce que nous allons jouer dans Hypertelluriens ». Non, là, le jeu débute directement par la création mécanique des PJ. Chaud.

Cette ouverture in media res peut se justifier aisément pour un jeu qui s’inscrit dans un univers ultra balisé comme un dungeonverse mais, là, la proposition s’inscrit dans quelque chose qui se veut original, lorgnant du côté d’une SF psychédélique avec une grosse dose de sword & sorcery. Et sans doute l’abus de drogues dures aussi. Pas évident de s’y retrouver quand, si on en croit les archétypes proposés, vous allez devoir gérer les aventures d’un groupe constitué, par exemple, d’un prométhéen, d’un génie sans lampe, d’un golem de chair poète et de madame gnoll. Tel que. Bref, on aurait apprécié quelques guides pour savoir comment on allait se dépatouiller avec la ménagerie.

On pourrait croire que nous allons pouvoir nous raccrocher aux branches de la direction artistique, vantée comme un des atouts du jeu et, plus largement, des choix éditoriaux faits par Pattern Recog. C’est hélas seulement partiellement vrai. La couverture est parfaite et nous laisse supposer que le « science-fantasy dans le futur d’autrefois » du sous-titre va être en effet une sorte de rencontre au sommet entre la SF de Barbarella, la blaxploitation des années 70 et… euh… les Maîtres de l’univers de Musclor et Skeletor. Voilà en effet un imaginaire riche et fécond et, surtout, relativement peu exploité encore en JdR. D’autres magnifiques illustrations – notamment les têtes de chapitre – sont issues des comics colorés des années 50 et, bien que plus classiques, vont dans la même direction d’une SF surannée où des extra-terrestres visqueux menacent des héros bodybuildés en slip et épée ou des héroïnes pulpeuses dotées de curieux pistolasers. Sympathique.

Hélas, le reste des illustrations est très varié, sans doute trop (on y trouve des chevaliers en armure ou des nains avec barbe et hache…) pour permettre de définir une véritable identité d’univers au fil des pages. J’ajoute que, d’un strict point de vue personnel (les goûts, les couleurs, tout ça…), j’en trouve certaines très laides (celles de la création de PJ en particulier). Je ne dois pas être assez OSR dans ma tête, je suppose.

Pour le reste de la forme, le bouquin surprend par sa petite taille mais c’est un ouvrage très solide, bien relié, avec un marque-page en tissu bien pratique et un papier de qualité, entièrement imprimé en couleur (parfois même trop en couleur : cf. ci-dessus 😉 ). Un bon point rassurant pour ce qui est, finalement, la première réalisation physique de ce nouvel éditeur. Le tout, rappelons-le, pour un prix vraiment serré pour un ouvrage, certes de 150 pages et quelques, mais vraiment bien produit. Une entrée de gamme peu fréquente en boutiques désormais, rappelons-le là aussi.

L’entrée dans le jeu se fait donc par la création de PJ. Elle est très simple… une fois surmonté le choc du côté parachutage dans l’univers déjà évoqué, bien sûr. Elle s’articule autour du choix d’un archétype dont on a pu apprécier la richesse et l’originalité à l’occasion des quelques exemples cités plus haut. Chaque archétype donne accès à une sorte de playbook dans lequel on choisira des pouvoirs spécifiques. Bon, ben sûr, il aurait été utile d’avoir cela sous forme de livrets à s’approprier mais il n’y a pas tant de choix à faire et cela ne devrait donc pas trop rallonger le temps nécessaire à cette phase de création.

De façon plus générique, chaque PJ doit aussi être doté d’une motivation choisie dans une liste assez serrée qui, en quelque sorte, sert de résumé de la proposition de jeu (exploration, savoirs secrets, etc.) en complément, bien sûr, de la liste de pouvoirs tous plus funky les uns que les autres (Manifestation kantienne, Toucher terrible de Midas, Vox Furore Dei, etc.). Vous y ajoutez une faiblesse et ajustez quelques variables mineures et hop, c’est noté sur la très psychédélique feuille de PJ.

Le système est comme on l’attend d’un jeu OSR : simplissime. Vous lancez un D20 assorti d’un bonus tiré d’une de vos trois caracs et hop, il faut faire plus que la difficulté fixe ou que l’adversaire. De façon désormais quasi universelle, si vous avez un avantage, 2D20 en gardant le meilleur. L’inverse si vous avez un désavantage. Les pouvoirs des PJ peuvent pourvoir à ces situations d’avantages ou fournir des exceptions à la règle. Il n’y a pas tant de pouvoirs par personnage (trois au départ) et cela se gère donc sans difficulté.

Pour rendre tout cela moins routinier, le système de Hypertelluriens propose le dispositif des Merveilles. Cette réserve de groupe est alimentée par les découvertes merveilleuses que les PJ feront lors de leurs explorations. Cela peut être n’importe quoi : une technologie inconnue, uns avoir secret, un nouveau monde… hop, tant de Merveilles dans la musette. Les PJ peuvent ensuite convertir ces points abstraits en Merveilles sonnantes et trébuchantes en achetant des avantages ponctuels qu’ils devront expliciter sous al forme de nouvelles merveilles (magie, technologie, etc.). Pour ce faire, il faudra consensus car la réserve est collective mais les avantages sont, eux, individuels (réussite automatique, coup de chance, etc.).

Après quelques considérations sur le matériel (géré avec des mots-clefs essentiellement), le livre aborde la question des conseils au MJ (et, dans une moindre mesure) aux joueurs, pour réussir à s’approprier cet univers baroque. Le chapitre se révèle un peu confus mélangeant des conseils rebattus (soyez fans de vos joueurs, soyez bienveillants, etc.), des aides de jeu accompagnées d’exemples de sorts et d’objets magiques et les conseils plus spécifiques concernant le jeu et la façon de créer des aventures pour celui-ci. Ou, à défaut, de les adapter. En effet, c’est seulement au détour de ce chapitre de conseils que l’on comprend que Hypertelluriens n’est pas vraiment un jeu de SF rétrofuturiste et psychédélique mais une sorte de multiverse OSR supposé pouvoir accueillir des scénarios de tous types, SF, medfan, pulp, etc. Mouaif. Loin de moi l’idée de juger des goûts, des couleurs et tout mais, disons que, personnellement, je ne vois pas d’emblée l’intérêt de tout ça. En tout cas, les outils fournis qui consistent surtout à des guides pour convertir les règles les plus courantes à la sauce Hypertelluriens me semblent bien légers pour permettre un tel tour de force.

Dans ce cadre, on est surpris de trouver en fin d’ouvrage un gros scénario prêt-à-jouer. Long (il occupe environ 30 % de l’ouvrage !) et très bien présenté avec force plans, listes, tables aléatoires, il est vraiment très riche, à n’en pas douter. Cela dit, ce n’est pas lui qui m’a aidé à me repérer dans la logique de cet univers puisqu’il débute dans une ambiance steampunk spatiale qui n’est pas inintéressante (on voyage dans l’éther dans un vaisseau baroque de type « transatlantique » jusqu’à une lune proche) dont je n’avais pas imaginé un seul instant à la lecture du reste de l’ouvrage qu’elle puisse être incluse dans la vaste proposition de jeu de Hypertelluriens. Ahem.

Faute de gamme, vous devrez vous contenter de cette unique proposition scénaristique : pas l’idéal pour un jeu dont on devine le potentiel foisonnant. Fort heureusement, le livre de base est accompagné (au moins pour les souscripteurs) d’une feuille A4 recto-verso pliée en 3 qui forme un mini-livret contenant un générateur d’aventures à partir d’une situation de départ présentée sous forme de quelques hexagones. Ces 14 hexagones peuvent servir de cheminement potentiel aux joueurs et, chacun d’eux étant numéroté, renvoie vers sa propre table aléatoire permettant de déterminer ce qui s’y passe. Un principe très sympa et ici bien réussi et qui surtout, me semble bien mieux coller à l’esprit du jeu.

Au final, vous l’aurez noté, je ressors de ma découverte de Hypertelluriens un peu perdu, sans savoir ce que l’on joue exactement dans ce jeu. Le reste (règles, scénario…) étant de bonne facture mais pas follement original, je ne suis donc pas très convaincu par cette lecture.

Cela dit, je ne prétends pas avoir le goût universel ni même être dans le cœur de cible du jeu. Je me dois donc de rappeler qu’un des tours de force de Pattern Recog est de proposer ce jeu très bien produit pour une somme ultra-raisonnable et ce directement en boutiques, sans passer par la case POD. Franchement, si vous êtes curieux et que vous sentez que votre sensibilité vous porte plus que moi vers les systèmes OSR ou les jeux un peu déjantés, vous devriez tenter l’aventure : elle ne vous ruinera pas.

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