Crystal Dark : le verre plus qu’à moitié plein [chronique Dark Crystal]

Quand Black Book Editions a trouvé un bon os à ronger, il ne le lâche pas et continue de la mâchouiller jalousement jusqu’à en extraire la moelle la plus savoureuse. Ainsi, depuis que BBE a noué contact avec l’éditeur River Horse, il a publié en VF le jeu d’aventures Labyrinth (dont on vous avait déjà dit du bien ici : https://lefix.di6dent.fr/archives/12777), le jeu de plateau Labyrinth, le jeu de cartes Labyrinth… et, surtout, bien sur, toute la copieuse et très réussie gamme Tails of Equestria. Bien. Mais si le meilleur était encore à venir ? C’est en tout cas la sensation que nous donne la découverte de cette magnifique édition francophone de ce nouveau »jeu d’aventures », cette fois-ci dédié à l’univers du film phare de Jim Henson (comme Labyrinth mais en mieux, quoi) : Dark Crystal.

Alors, d’emblée, revenons sur l’ambiguïté de cette dénomination un peu floue qui veut se démarquer du traditionnel « jeu de rôle ». Dans l’esprit des créateurs des jeux dérivés des univers de Jim Henson, le « jeu d’aventures » est bel et bien un JdR mais, disons, qu’il se veut plus accessible. Ainsi, tout tient dans un seul livre. Il n’y a pas de gamme, pas de goodies : le livre contient les règles, l’aventure et tout ce qu’il faut. One shot. La structure de l’aventure s’inspire plus ou moins des livres dont vous êtes le héros (mais à jouer à plusieurs) et les règles sont très simples. Voilà pourquoi on peut admettre qu’en effet il y ait une petite différence entre Dark Crystal et, disons… Shadowrun. Vous voyez l’idée ?

Précisons aussi d’emblée que, même si physiquement, ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau (livres épais mais petit format, comme des romans, papier gaufré magnifique, art book avec des photos des films à la fin, nombreux signets en tissu, etc.), Dark Crystal (DC… bah quoi ?) est en fait assez profondément différent de Labyrinth. DC comporte des règles plus étoffées et, pour simplifier, disons que c’est un peu plus un « vrai JdR » qu’un « jeu d’aventures » hybride. On peut vraiment parler ici sans ambiguïté d’un authentique JdR présentant un système de règles simple mais pas simpliste et d’une « aventure » qui se transformera en fait un véritable campagne au long cours qui peut occuper de longues heures de jeu.

 

Le livre – vraiment magnifique, donc – s’ouvre classiquement sur le système de jeu. Celui-ci est d’un classicisme de bon aloi pour qui a suivi l’actualité des JdR durant ces dernières années. Ne refusant pas la modernité, il présente une bonne synthèse des idées fortes ayant émergé ces deux dernières décennies. On retrouve ainsi le grand classique de la lecture des dés selon la situation, favorable (on retient le meilleur dé) ou défavorable (on retient donc le moins bon dé). Le jeu intègre aussi le principe des traits libres, celui des défauts qui rapportent des XP si le joueur choisit de les mettre en scène, des caractéristiques qui sont aussi des réserves et servent donc à matérialiser les handicaps des PJ affaiblis (on jette en général un D6 mais on doit se contenter d’un D4 en cas de blessure ou autre), etc.

A noter que, si, cette fois, il n’y a pas de dé spécial inséré dans le livre (voir Labyrinth, donc), on a quand même un petit zinzin rigolo sous la forme d’un marque-page recto-verso que l’on peut glisser dans une fente du 4ème de couverture et fait office… euh… d’écran ? Enfin, seulement si vous êtes vraiment petit(e). Disons qu’on y trouve un efficace résumé des règles qui évitera de chercher quelque chose dans le livre, déjà fort sollicité par ailleurs comme on va le voir.

DC ne propose pas de prétirés mais une création de PJ ultra-simplifiée qui va à l’essentiel. Tous les PJ sont des Gelflings et doivent donc être choisis dans un des 7 clans de ce peuple. Ce choix donne un trait fixe et permet d’en choisir un deuxième dans une courte liste spécifique. On choisit ensuite deux compétences dans une liste très ramassée (pas de score mais permet d’être avantagé). Un défaut doit également être choisi ainsi qu’une motivation (pour laquelle on peut s’en remettre à une table aléatoire). Et hop, c’est parti pour l’aventure.

Tout ceci est si simple et synthétique que cela n’occupe qu’une infime partie des 290 pages de ce gros livre (le papier est très épais). Les quelques annexes à la fin du livre (on y reviendra) pas beaucoup plus. En fait, la quasi totalité de la pagination est occupée par l’aventure, la campagne, le setting… oh, zut, appelez cela comme vous voulez puisque c’est tout cela à la fois. Comme dans Labyrinth, le format de présentation de l’aventure est essentiellement un découpage en lieux tous présentés sous la forme d’une double page classieuse dans laquelle on trouve, à gauche, un petit plan légendé et, donc sa légende commentée, du site en question puis, à droite, des développements adaptés à la mise en scène de ce lieu,n à savoir des événements, PNJ, tables aléatoires, matériel à récupérer, etc.

Cette présentation systématique, sur des dizaines et des dizaines de pages, peut dérouter mais elle s’avère finement construite. D’une part, les lieux sont imbriqués les uns dans les autres : il y a des pages qui évoquent des régions entières, d’autres des sites particuliers, d’autres enfin des détails à échelle plus réduite de ceux-ci. Le tout est lié à la fois par une carte (habilement dissimulée dans la jaquette : dans la gamme Jim Henson, on ne perd jamais de place !) sur laquelle région et sites connus sont répertoriés mais aussi par une numérotation type LDVELH qui permet des renvois rapides d’un site à l’autre.

Bien sûr, pour que tout ça forme une véritable histoire de JdR, il faut encore ruser. D’une part, on retrouve la tarte à la crème de la quête d’objets, course au Macguffin un peu éculée en mode medfan (« vous devez retrouver les sept fragments perdus de [remplir avec le nom d’un objet magique chelou] ») mais qui, finalement, ici, est aussi un hommage au scénario du film éponyme. Ainsi, les objets sont dissimulés sur la carte et il faut les retrouver en explorant le tout façon bac-à-sable.

Heureusement, pour donner un peu de dynamisme à cette « course au supermarché », les auteurs ont introduit dans la campagne le principe de l’Obscurcissement. En pratique, chaque fois que les PJ font un déplacement sur la carte, le MJ coche une case sur leur calendrier et fait progresser à ce rythme (à certains moments clés) la diffusion du Mal qui touche alors telle ou telle région. Chaque description de lieu ou de région comporte des indications spéciales au cas où il est gagné par l’Obscurcissement. Ainsi, les PJ peuvent visiter deux fois le même lieu et ne pas avoir l’impression d’y retrouver le même décor.

Cela dit, malgré tout, la campagne garde les défauts de ses qualités : elle ne nécessite pas d’être préparée longtemps à l’avance, le MJ peut avancer dans sa lecture quasiment au rythme des joueurs mais il y a quand même un petit côté figé et répétitif dans l’enchainement des visites de lieux.

A noter, deuxième petit zinzin du livre, la présence dans certaines descriptions de lieux, notamment les sites les plus mystérieux contenant des énigmes, d’inserts en papier calque qui permettent de révéler les réponses ou les secrets en les superposant au plan muet des lieux. Pratique et rigolo.

Le livre se finit par quelques outils avec un récapitulatif des herbes médicinales, de l’équipement standard ou encore un court mais très joli bestiaire.

Au final, encore plus que Labyrinth, déjà fort réussi, Dark Crystal est vraiment un enchantement. D’une part, le livre est magnifique et d’un format plutôt inhabituel en JdR. Surtout, il offre une expérience de jeu différente, tout-en-un finalement puisque vous avez bien entre les mains un vrai JdR sans faille avec système de jeu, création de PJ, campagne, bestiaire, etc. Si vous adorez DC, vous allez être comblés. Mais, même si vous ne connaissez pas spécialement l’univers de Jim Henson, cela peut être l’occasion de se procurer un JdR complet, plutôt bon marché et qui permettra sans doute aux MJ débutants ou hésitants de se lancer grâce à un format prêt-à-jouer bien pensé.

Une pensée sur “Crystal Dark : le verre plus qu’à moitié plein [chronique Dark Crystal]

  • 2 février 2023 à 11:59
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    Très bonne critique, je suis d’accord à 100%. Etant MJ confirmé : j’utilise ce jeu en parallèle d’un JDR plus « dru » pour proposer des séances de respiration à mes joueurs (et m’éviter d’avoir à préparer quelque chose chaque semaine). Aussi, je n’étais pas fan de Dark Crystal – rebuté par la tronche des marionnettes – mais depuis la lecture j’adore l’univers. Ce livre est une très agréable surprise et j’espère qu’il y en aura d’autres.

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