Le foulancement qui rend humble
On a déjà fait écho du foulancement par Arkhane Asylum du setting mignonnesque 5E Humblewood. Or, malgré le label 5E et les dessins à haut potentiel de mignonnitude, le CF est à la peine au point que AAP a décidé de le prolonger sensiblement (il reste finalement une bonne quinzaine de jours) afin de lui laisser sa chance. Depuis, cela monte gentiment (70 % environ) mais on a quand même l’impression qu’une page se tourne dans le contexte économique actuel pour les foulancements easy où on faisait allègrement péter les paliers. On avait donc très envie d’entendre Mathieu Saintout, le boss de AAP, pour qu’il nous explique pourquoi il croit à ce foulancement prolongé et, de façon plus générale, ce qu’il pense de cette situation.
- Nous, chez le Fix, on attendait la relance du foulancement Nightfell et là, paf, c’est autre chose qui déboule. Tu préfères personnellement les petits animaux mignons aux liches putrides, c’est ça ?
Alors déjà, oui, je préfère un pigeon qui caste une boule de feu qu’une liche que me vole mes précieux niveaux ! Et puis, on a un quand même un planning. Certes il change toutes les semaines, mais quand même… Et donc Humblewood était prévu à cette date et je ne voulais pas l’annuler pour refaire Nightfell de suite. Nous relancerons bien Nightfell, mais nous devons avancer sur le planning et voir à lui trouver une place cette année.
- Quand même, on a faisceau de présomption, là : Historia, Genlab pour Mutant: Year Zero… tu prends un soin malin à organiser la concurrence interne sur les jeux où on interprète des animaux, en fait ?
C’est vrai que dit comme ça, on a l’impression que j’ai un projet secret de conversion des rôlistes en furries… Mais étrangement, si ces jeux existent dans le même espace-temps, c’est aussi qu’ils répondent à une demande des joueurs. Toutefois, je trouve que chacun amène une expérience différente : Genlab Alpha à une histoire à raconter, seule ou avec Mutant: Year Zero. Historia est un cadre de jeu original (et superbement illustré par Mirko Failoni) et Humblewood, une campagne. Chacun son créneau.
- Bon, mettons les pieds dans le plat : le foulancement de Humblewood est un peu laborieux. Je croyais pourtant que la 5E, c’était quelque chose à mi-chemin entre la poule aux œufs d’or et la pierre philosophale. On nous aurait menti ?
À l’insu de mon plein gré alors ! C’est vrai que cette précommande est laborieuse. C’est difficile pour nous de trouver une place entre le succès des Lames du Cardinal, Kingmaker, Te Deum et les chatons de Deadcrow. La période est très chargée et en arrivant les derniers, nous nous retrouvons dans la même situation qu’avec Nightfell. Les joueurs n’ont pas un porte-monnaie extensif et je pense qu’ils ont dû faire des choix. Ensuite, la 5e n’est pas aussi importante en France qu’aux USA. Il faut dire qu’il y a eu quelques changements dans sa distribution qui n’a pas aidé, cumulé peut-être aussi une lassitude autour de cette licence et l’affaire de l’OGL.
- Visiblement, tu crois au projet et tu as donc décidé de prolonger le CF de Humblewood. Que pourrais-tu dire à ceux qui sont déjà gavés de contextes à animaux anthropomorphes pour les convaincre de rejoindre le projet ?
Humblewood est un produit un peu à part. Déjà, c’est une campagne de bas niveau (1 à 5), et donc un bon point de départ pour commencer le jeu ou pour s’offrir une campagne one-shot. Ensuite, malgré le côté mignon des dessins, l’univers est bien construit, avec une vraie belle histoire et un univers complet, avec son passé et ses événements importants qui provoquent l’aventure que les joueurs vont découvrir. Ce ne sont pas juste des p’tits animaux qui gambadent dans la forêt. Pour moi, c’est une campagne qui s’adresse à un type de joueur particulier, qui pourrait être intéressé justement par une offre de fantasy originale, plus light, tout en offrant une expérience de jeu complète.
- Bon, OK, plus fort maintenant. Qu’est-ce que tu dirais à ceux qui envisagent difficilement d’interpréter un PJ à poils ou à plumes ?
Comme je l’ai dit, Humblewood est une campagne pour jouer à la 5e autrement, dans une ambiance bonne enfant, sans prise de tête, mais en vivant une vraie histoire, avec des héros à plume et à poils. Les animaux anthropomorphiques renforcent le concept de la campagne et ont un sens dans le jeu. Je dirais qu’il ne faut pas essayer de joueur un pigeon ou un hérisson, déjà pour sa santé mentale, mais ce n’est pas le but de cette campagne. On est plutôt dans un concept où l’espèce du joueur trouve un sens dans cet univers particulier et pour vivre cette aventure forestière. Je ne suis pas responsable de ce qui se passerait si un personnage d’Humblewood débarquait chez Strahd.
- Dans notre critique de Historia, on avait pointé du doigt le fait que, en dehors des chouettes illus, il n’y avait finalement pas grand-chose dans le roleplay possible qui donnait la sensation de jouer un animal. Qu’en est-il dans Humblewood ?
Dans Historia et dans Humblewood, même si les joueurs incarnent des animaux, ils ont des attributs humains et jouent comme tels. Pas question de se renifler le postérieur pour se dire bonjour. Je pense que cela a du sens d’avoir un peu de roleplay autour de certaines caractéristiques animales, mais ce n’est que du roleplay (on peut montrer les crocs pour faire de l’intimidation ou refaire son plumage quand on veut soigner son apparence par exemple). Après tout, jouer un orque ou un tieffelin est aussi étrange pour un être humain que d’incarner un pigeon (je fais une fixation sur les pigeons, mais j’ai vécu longtemps à Paris et j’ai des comptes à régler avec ces rats volants).
- Sinon, ‘faut qu’on en parle mais… Mathieu : des peluches, sérieusement ?!
Désolé…
En même temps, elle n’est pas trop mignonne ? Et puis, ça donne une excuse de soutenir le projet : avec la peluche, ça fera un heureux et ça aide à la paix des ménages (« encore un jeu ? Oui, mais j’ai une peluche pour toi 😉 »).
- Mais peut-on au moins envisager de jouer à Humblewood avec des enfants ? C’est quand même velu (uh, uh) la 5E, non ?
Je ne trouve pas la 5e velue (uh, uh aussi) en elle-même. Créer un personnage est simple et rapide. Les règles sont aussi rapides à prendre en main. C’est l’accumulation qui peut donner une impression de lourdeur. Pour Humblewood, le gros avantage est qu’à part la mécanique de base, tout est dans le livre : les nouvelles espèces (qui sont recommandées, plutôt que celles de la 5e), les objets magiques et les sorts liés à la campagne, les adversaires, les lieux… tout est dans le livre de campagne. Cela limite l’impression de trop-plein et permet à chacun de se lancer dans l’aventure sans connaître toute la 5e. Je trouve aussi que la mise en page et le travail graphique sur Humblewood rendent sa lecture agréable, cela aide aussi à sa prise en main (il y a un gros travail de présentation des différents éléments, comme les infos pour le meneur de jeu, ce qu’il fait dire aux joueurs, les descriptions importantes…). Les images et les plans sont superbes, et l’écriture, enfin la traduction, a été très bien faite. Et n’oublions pas mon élément préféré : les cartes lenticulaires… c’est inutile donc complètement obligatoire, et surtout du plus bel effet sur la table.
- AAP (et nous avons loué la boîte pour cela, chez le Fix) s’est largement passé du crowdfunding ces derniers temps. Mais, avec le recul, n’était-ce pas envoyer le signal aux rôlistes que, finalement, les foulancements, ce n’était plus vraiment nécessaire ?
Nous essayons de proposer des sorties directes et des précommandes quand nous pensons que le jeu en a besoin, ou qu’il aura du mal à trouver un public ou parce qu’il y a beaucoup d’accessoires, comme pour Humblewood. D’autres jeux sont assez solides pour sortir en magasin et trouver leur public. C’est un équilibre difficile, mais nous espérons ainsi continuer à proposer de nouvelles gammes. Hunter, le Jugement, notre nouveau jeu et prochaine grosse sortie, est prévu directement en magasin. C’est un choix, mais comme Vampire V5 se porte très bien et a trouvé son public, je peux espérer que ce deuxième jeu dans le Monde des Ténèbres trouvera aussi de nouveaux joueurs. D’autant que Hunter est une vraie tuerie (le jeu de mot pourri du jour).
Mais j’ai d’autres jeux en catalogue qui, eux, ont besoin d’une précommande pour se lancer. Nous allons continuer à tout faire en amont, la traduction et la mise en page, pour essayer d’avoir des délais de livraison courts, c’est ma proposition aux joueurs, de notre côté on a le projet prêt, mais on demande un soutien sur l’impression qui reste une grosse part du budget de lancement. Si je pense que le cycle de vie du jeu sera lent, c’est-à-dire que nous équilibrerons les comptes sur une trop longue période, mettant ainsi notre trésorerie sous tension, dans ce cas j’opte pour une précommande. Cela me permet d’avoir un point mort, un équilibre, plus rapide et donc de limiter les risques lors de la sortie en magasin.
- En définitive : y a-t-il selon toi trop de foulancements dans le (petit) monde du JdR francophone ?
Ce n’est pas à moi de le dire. On peut constater qu’il y a beaucoup d’offres en effet, mais seuls les joueurs peuvent nous dire s’il y en a trop. Nous traversons une période difficile dans la fabrication des ouvrages, un foulancement permet à un éditeur de limiter ses risques et donc de continuer à éditer de bons jeux. Pour ma part, je trouve que nous sommes dans une époque riche en propositions, espérons qu’elles pourront trouver chacune leur public. Nous avons un grand catalogue et pleins de projets à éditer. Si nous devons les publier de manière traditionnelle, il est sûr que cela prendra du temps et que nous ne pourrons pas tout faire. Les foulancements aident aussi à proposer plus vite des jeux qui pourraient ne pas voir le jour autrement.
En tout cas, pour l’Arkhane Asylum, je vais continuer à utiliser les trois formules et proposer des sorties directes, des précommandes courtes (avec livraisons sous quelques mois) et je travaille sur de nouveaux projets qui, eux, demanderont de vrais foulancements, c’est-à-dire un soutien de la communauté pour développer le jeu, ce qui sous-entend une livraison plus longue.
