New Deal pour Neoludis

A l’origine, on a été attiré par une info qui circulait sur la prochaine VF du jeu Everyday Heroes. Visiblement, le jeu était porté sur notre marché francophone non pas par un éditeur mais par un distributeur bien connu du milieu, Neoludis. Et puis voilà qu’on découvre aussi que des jeux indés comme le jeu solo Ronin arrivent sur le marché sous un label qui émane de Neoludis. Alors, distributeur ? Éditeur ? Les deux, mon capitaine ? Pour y voir plus clair, on avait besoin de poser quelques questions à Arnaud et Jérôme de chez Neoludis.

 

1. Bon, au final, les gars, vous êtes distributeurs de JdR ou éditeurs de JdR ? J’ai rien compris.

Nous sommes distributeurs de différents univers ludiques, jeux de plateau, jeux de cartes, de figurines et bien sûr jeux de rôle. Dans ce sens nous essayons d’accompagner au mieux la mise en marché des jeux de nos éditeurs.

Et nous sommes en train d’accompagner différents titres venant de la scène indé sous un « label » afin de les proposer aux magasins comme porte d’entrée vers le JdR.

2. Mais, au final, si vous vous mêlez de la production de JdR en VF, c’est quand même que, quelque part, vous trouvez que les éditeurs ne font pas tout à fait bien leur boulot, pas vrai ?

Les éditeurs font leur job et le font comme personne mais leur modèle économique et de fonctionnement ne permet pas de faire ce type de produit de niche, peu rémunérateurs, et surtout sans passer par des systèmes de financement participatif.

Et les boutiques, nos revendeurs, ont besoins de produits simples à conseiller, facilement identifiables pour eux et pour leurs clients sans avoir le sentiment qu’ils ont été développés dans l’objectif d’apporter un financement direct à l’éditeur mais surtout avec l’intention d’ouvrir le JdR au plus grand nombre. C’est ce message qui doit être le message principal.

3. Vous attaquez le marché par la niche de la niche, là, avec des jeux indés en solo ou en duo. Y en a même qui viennent du Brésil, c’est dire. Vous avez fleuré la bonne affaire ou c’est pour faire vos mécènes sympas ?

Le JdR pour une grande partie des magasins, qui sont notre cœur de métier, c’est un produit complexe, de niche et qui ne parle qu’aux initiés. Ils ont vus fleurir les boites d’initiations, plus proche des jeux de plateau qu’ils connaissent, mais sans forcément avoir de l’aide quant à leur identification, à comment et surtout à qui les proposer. Et les volumes de vente étant tout de même encore restreints, leur développement progressif s’est de plus en plus réorienté vers un publique déjà conquis, perdant l’idée de base d’un produit simple et accessible. Les coûts actuels de production ne leur permettant plus non plus d’être à un prix abordable. Alors oui on a cherché des produits encore plus « simples » en terme d’accessibilité et de prix ouvrant ainsi un peu plus la porte du JdR par l’intermédiaire des revendeurs ludiques. De la même manière que nous distribuons un Alice is missing, touchez du doigt ce qu’est le JdR et vous y plongerez derrière la tête la première !

Et donc la cible de ces jeux ce sont celles et ceux qui veulent découvrir les mécaniques du JdR mais sans les « contraintes » inhérentes au genre : plusieurs personnes disponibles au même moment, du temps de préparation… Et donc leur apporter la possibilité de jouer partout et sur des durées variables.

Les testeurs étant nos amis, nos familles dont nos ados qui n’y connaissent rien, ou presque. Si eux sont intéressés, alors c’est que l’objectif est atteint et que l’on tient quelque chose.

4. Vous allez faire comment pour unifier ces jeux très divers : un label ? Une collection ? Une charte graphique commune ?

Ça c’est la question que nous nous sommes posées ensuite, toujours dans le soucis de rendre ces produits accessibles et surtout facilement identifiables. Il fallait une unité quelque part pour que les clients, et les magasins, puissent se projeter dans une notion de gamme. C’est très important pour gagner en visibilité en magasin et pour solidifier notre message, aussi nous avons décidé de mettre ces titres sous un label : Les fondations de l’imaginaire.

Au-delà de notre amour pour Asimov, nous voulions un nom qui puisse regrouper un ensemble d’œuvres différentes mais pour lequel l’imaginaire est la pierre angulaire.

5. Dans le lot de ces jeux, il y a Ronin. Je ne suis pas sur d’avoir compris : il est déjà publié, non ?

Ronin est né d’une envie de notre Mr JdR chez Neoludis, Jérôme. Il en a acquis les droits, l’a traduit et produit dans sa cuisine, l’a mis au goût du jour avec des QR codes pour de la musique ou des informations sur le Japon médiéval. Il a presque tout fait même s’il a eu un coup de main de Guillaume Tavernier sur la partie technique. Il l’a fait imprimer et nous avons écoulé ce premier tirage assez rapidement.

Il nous a ainsi permis de voir que les boutiques étaient réceptives à ce genre de produit, qu’elles avaient besoin de jeux simples à s’approprier et à conseiller à leurs clients, dans la même démarche que ce que nous avons développé avec Fred de JdR éditions, les Chroniques des Terres Dragons.

C’est donc un second tirage, dans une version retravaillée, qui sort après être passée dans les mains d’un vrai spécialiste technique (Tolkraft) derrière.

6. Le célèbre planning des sorties du Fix, ce coquin, me fait croire que vous allez aussi éditer la VF de Everyday Heroes et il paraît que ce n’est pas tout à fait ça, n’est-ce pas ?

N’est pas le Fix qui veut n’est ce pas ?

Nous n’allons pas éditer mais uniquement distribuer la version française de ce jeu, directement traduite et produite par l’éditeur. Il n’y a pas eu de financement, et nous avons validé la production française avec eux. Ce jeu coche un bon nombre de cases qui nous paraissent essentielles dans notre relation aux magasins : le langage commun de la 5E, le monde moderne et des aventures basées sur des films connus de tous, pour le moment ceux du studio Canal. Il est plus facile pour quelqu’un de se projeter sur Rambo, The Crow ou Highlander – Une partie du « travail » de mise en place et d’explication de l’univers est déjà fait et au pire ça donne une bonne excuse pour revoir ces films cultes!

C’est ce qui nous a séduit dans ce partenariat avec Evil Genius, là encore une nouvelle porte d’entrée dans le JdR. Et l’équipe derrière le jeu est la même que celle du D20 Modern qui était sorti chez Wizards of the Coast il y a 25 ans. Ce sont des vétérans de l’industrie et ils savent ce qu’ils font.

7. Mais, bon, vous allez quand même vous impliquer un peu plus que d’habitude dans cette distribution, non ? Qu’est-ce que vous attendez de ce jeu ?

Il sera traité de la même manière que les autres mais surtout il nous permettra encore un peu plus de faire rentrer le JdR en magasin durablement. C’est la clé du renouvellement des joueurs et pour nous de la continuité du développement du jeu. Nous allons en parler pour avoir un dialogue simple avec les magasins avec les arguments exposés plus haut.

Nous travaillons aussi par exemple avec la Loutre Rôliste sur ses gammes de jeux pour enfants, que le JdR ne soit pas qu’un loisir d’adultes. Nous souhaitons que le JdR parle au plus grand nombre. C’est aussi simple que cela, et ces projets vont dans ce sens.

8. Traduire directement et passer par un distributeur local plutôt que de sous-traiter à un éditeur du cru, c’est l’avenir, vous pensez ? On a vu ça aussi avec Thorgal, par exemple.

Oui et non, c’est une nouvelle possibilité pour élever le JdR à la même place qu’aux US ou au UK. Avec des produits sous licence, coûteuses, qui permettent de toucher un public potentiel un peu plus large mais qui pour cela doit rester à un prix raisonnable.

Quelle que soit la méthode, la vraie question est plutôt la raison pour laquelle on sort un jeu. Est-ce pour faire plaisir à un public déjà conquis ou pour aller parler à des néophytes ? Quand des magasins anglais font des soirées D&D à 80 personnes (Patriot Games à Sheffield) CHAQUE SEMAINE, on se dit que la route sera longue.

Sur Les fondations de l’imaginaire, nous souhaitons volontairement garder un prix bas pour le client final tout en apportant une juste rémunération aux « créateurs » et au revendeur. C’est la facilité de prise en main et le prix qui permettent à des magasins qui n’avaient jamais fait de JdR avant de se lancer et de les proposer à une clientèle réceptive mais pas conquise. Une marche en plus pour arriver au niveau de certains gros bébés de nos éditeurs actuels. Bref une grosse circonvolution pour dire que l’avenir n’est pas noir ou blanc mais que chaque projet doit être pensé sur sa cible et pas juste fait pour être fait et advienne que pourra.

9. Tiens, pour une fois qu’on a un distributeur sous la main, on prendrait bien un cours de SES option JdR. Le secteur de la distribution du JdR se porte bien en ces temps d’inflation galopante ou bien ?

Le marché regorge de produits vraiment chouettes. La réalité l’air de rien c’est que les plus gros titres sont les mêmes que ceux sortis en 1974, 1981 ou 1986. Trois marques iconiques tirent le marché vers le haut.

Alors partant de ce constat, le JdR a ses fans, ses boutiques, mais on est loin des volumes du jeu de plateau qui lui a fait sa révolution depuis 25 ans. Certes c’est plus simple de faire une partie de plateau que de rôle, mais comme nous le disions plus haut le JdR reste compliqué à appréhender. Donc oui, il y a du boulot.

Ce n’est pas aux joueurs de faire l’effort de le comprendre, c’est aux acteurs de le rendre accessible, le tout sans égo, dans un vrai but d’évangélisation.

L’inflation rend juste les gens plus exigeant sur ce qu’ils achètent, ils se concentrent sur les produits les plus qualitatifs rendant encore plus niche les autres. Et de ce fait c’est le consommateur final qui fait le tri et va égrener le marché.

10. Et les foulancements ? Amis ou ennemis du distributeur ?

Le modèle économique d’une partie des éditeurs de JdR est simple : sans leur communauté et leur rapport partiel direct à celle-ci actuellement ils ne pourraient pas survivre. Ils ont énormément améliorés leurs foulancements avec des produits quasi déjà finis au moment du lancement et donc une confiance, et des délais quasi respectés pour les plus « modernes » d’entre eux.

Mais plus leur communauté est tournée vers eux et plus les revendeurs apprennent petit à petit à se passer de leurs produits. Et donc à notre niveau plus il est compliqué de leur apporter une rémunération différente leur permettant de se concentrer encore plus sur le développement plutôt que sur leur survie économique.

C’est donc notre souci au quotidien : garder la confiance des boutiques, assurer au mieux la revente de leurs jeux pour leur apporter une stabilité financière leur permettant de sortir des jeux encore meilleurs et donc d’en vendre plus pour que les boutiques aient confiance en leurs jeux…etc….etc…. Repartir dans ce cercle vertueux.

Nous essayons de garder un maximum les magasins dans cette boucle, car sans eux à terme le JdR risque de se regarder le nombril.

Nous proposons donc aussi à la demande des éditeurs ces financements directement aux boutiques. Ils ne sortent aucune trésorerie et nous les envoyons en même temps que leurs autres produits quand c’est disponible. Le client final n’a pas sorti d’argent d’avance et se sent aussi rassuré. Enfin ils permettent de répondre à la demande de clients qui veulent supporter leur boutique locale. C’est du gagnant gagnant.

De nombreux produits viennent de ces foulancements et sont aujourd’hui des réussites globales et celui-ci participe de plus en plus au plan de communication de l’éditeur. On ne peut les nier, les refuser : ils sont là, et notre job c’est de les intégrer dans une réflexion globale de développement y compris dans le partenariat avec les magasins.

Pour conclure, pour nous le JdR est un bonheur ludique que nous voulons partager, faire découvrir le plus possible. Nous sommes distributeur et notre existence part du principe que les magasins sont les plus à même de porter cette parole auprès des joueurs et de d’accompagner nos éditeurs dans le cercle vertueux de l’édition : faire des trucs chouettes qui transmettent des émotions. Et donc à nous aussi de nous assurer que nos éditeurs ont le plus grand confort pour pouvoir faire cela.

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