Vous allez enfin savoir si ce jeu vous branche

Dystopia continue de mener à bien son entreprise qui consiste à ramener nos meilleurs créateurs de JdR indés francophones dans le droit chemin de l’édition professionnelle. Ah, non mais quand même. La nouvelle victime de Eugénie, la directrice de la collection Jydérie, est cette fois-ci Thomas Munier, le fameux amateur des bois, futaies, fourrées et surtout de tout ce qui peut les hanter. Et, tien,s tiens, ce nouveau projet se nomme justement Marchebranche. Hasard ou coïncidence ? On va tirer au clair tout ça avec une interview chorale de Eugénie, Thomas mais aussi Evlyn, l’illustratrice du projet.

 
1. Ah tiens, un nouvel auteur chez Jydérie ? Tu fais collec’, Eugénie ? Pourquoi ne pas plutôt suivre sur le long terme le travail d’auteurs comme Côme Martin, déjà publié chez vous ?
Eugénie : Quand on travaille avec des foufous comme Côme Martin on ne peut pas toujours suivre ! Et ça ne saute pas aux yeux parce que nous publions un nouveau titre tous les un an et demi, mais on essaie à la fois de suivre des auteurices et d’en faire entrer d’autres dans la collection.
Thomas Munier a été un auteur super important pour ma pratique rôliste, je suis très contente qu’on puisse travailler ensemble sur Marchebranche. J’espère que des personnes seront aussi touchées que moi par son esthétique, sa voix, les histoires qu’il propose.
Dans Marchebranche, on joue des pèlerins amnésiques à la recherche de leur pays natal. Ils vont de communauté en communauté résoudre des problèmes en échange de cartes du tarot de l’oubli, qui leurs rendent des souvenirs. Le 6e souvenir, ils le savent, sera celui du pays natal. C’est un jeu centré sur la question « est-ce que ça en vaut la peine ? ». Les souvenirs qu’on recueille ne sont pas toujours agréables, les quêtes qu’on nous confie ne sont pas toujours recommandables, et les personnes rencontrées en chemin pourraient faire de bonnes attaches si on souhaite s’arrêter là…
C’est aussi une célébration des contes, avec ce mélange de cruauté et de naïveté qui leur est propre. A l’échelle de la collection, les dimensions symboliques et oniriques font écho à La Clé des nuages de kF, l’entraide au cœur du jeu peut le rapprocher de Bois dormant de Melville, le tiraillement entre quête personnelle et besoins des habitants peut évoquer Cités abîmées de Côme Martin.
2. Bon, et toi Thomas, l’indépendance tout ça : on en fait quoi ? On la jette aux ronces ?
Thomas : Disons qu’à un moment de ma carrière, il n’a plus été possible de cumuler toutes les casquettes. Si je voulais augmenter la portée de mes jeux, l’édition devenait un interlocuteur pertinent. De surcroît, la collaboration avec Dystopia a vraiment permis d’améliorer le jeu, d’une parce qu’Eugénie a fait des propositions de game design, de réécriture et de clarification vraiment poussées, avec l’approche à hauteur de joueuse qu’on lui connaît. La collaboration avec Evlyn et avec toute l’équipe (Pascale Doré à la correction, Laure Afchain à la maquette) a permis d’aboutir un livre beaucoup plus beau et cohérent que ce que j’aurais réussi à produire seul, et j’ai pu me concentrer sur ce que je sais encore faire de mieux : l’écriture.
Après, ce parcours n’aurait sans doute pas été possible si je n’avais pas auparavant fait connaître mon travail en indé. Donc la boucle est bouclée.
3. Après avoir lu Marchebranche, il me reste un doute : cela fait partie de l’univers Millevaux ou pas ?
 
Thomas : C’est Millevaux, mais avec un glissement important.
On va retrouver beaucoup de tropes, mais l’univers est déplacé de la Terre du futur vers un monde secondaire de fantasy. L’approche est également beaucoup plus poétique et onirique. Il n’y a plus du tout l’aspect horrifique. C’est toujours post-apo mais dans le sens où le monde de Marchebranche se situe après la suite d’un ancien empire donc on retrouve des châteaux en ruines et des carcasses de vieux robots. On va retrouver les espèces de Millevaux comme les hommes-renards, les hommes-corbeaux, les horlas, etc, mais la vibe est très différente. C’est un peu comme Earthdawn et Shadowrun. En théorie, ça se passe dans le même univers à des timelines différentes mais dans la pratique c’est plus simple de les aborder comme des jeux très différents.
Marchebranche va beaucoup plus insister sur l’aspect conte, et sur l’ambiance OSR ou Sword Dream. C’est beaucoup plus tout public également, même si le tragique peut revenir par la petite porte parce que les drames sont présents dans le passé des personnages ou dans les quêtes qu’on leur confie.
4. Au niveau de la direction artistique, on est habitués avec Thomas a des univers dérangeants voire horrifiques. Là, les illustrations de Evlyn sont assez claires, presque dans un registre d’univers jeunesse. C’est voulu ce contraste ?
Thomas : Marchebranche n’est justement ni dérangeant ni horrifique, on est sur une palette émotionnelle très différente. Les émotions négatives ne sont pas absentes, mais on va plutôt être sur de la mélancolie, de la tristesse, du remords, et avec beaucoup d’émotions positives pour balancer cela, de l’enthousiasme, de l’altruisme, de la compassion, une forme d’émerveillement, de nostalgie (ou plutôt d’anemoia, une nostalgie pour un monde narratif et ludique qui n’a pas vraiment existé).
La possibilité de travailler avec Evlyn a été une aubaine car ses illustrations faisaient déjà partie de mes inspirations, pour leur mélange parfait entre naïveté et étrangeté. En fait toutes les illustrations d’Evlyn m’inspirent beaucoup d’anemoia. Quand au registre d’univers jeunesse, il me semble que c’est aussi un registre que nous avons recherché dans le texte. Pour poursuivre sur ma référence à l’anemoia, j’aurais adoré découvrir le jeu de rôle pendant mon enfance avec Marchebranche, et j’ai eu le plaisir de faire découvrir le jeu de rôle à mon fils notamment à travers ce jeu. Mais le jeu se veut, comme un bon film Pixar, a plusieurs degrés de lecture et tu peux vivre une expérience très poignante en y jouant entre adultes.
5. Tiens d’ailleurs, Evlyn, comment on rentre dans l’univers forestier propre à Thomas ? En allant aux champignons ?
Evlyn : Comme l’explique Thomas, j’ai le sentiment que nous nous sommes rencontrés à la croisée de nos univers. Pour moi Marchebranche c’était l‘occasion rêvée de plonger dans mes thèmes favoris. Lorsque j‘étais enfant, il y avait une forêt en arrière de chez mes parents, j‘y jouais souvent et c’est un lieu qui a beaucoup nourri mon imaginaire. J‘adore dessiner des plantes, animaux et toutes sortes de créatures oniriques, donc c’était tout naturel pour moi de dessiner pour le projet de Thomas. 
J’essaie toujours d’inclure une histoire sous-entendue lorsque je dessine, pour ajouter un petit côté mystérieux ou énigmatique à mes illustrations. J’espère que mon dessin pourra ainsi inspirer les personnes qui joueront au jeu. 
6. Dîtes donc, ce bouquin, il fait quand même pas loin de 300 pages. Je croyais que le jeu indé, c’était surtout des jeux pas trop longs pour être lus. C’est plus ça ?
Thomas : Le jeu indé est protéiforme et dès son origine, il y a eu des pavés. Burning Wheel, on te voit !
Je suis personnellement habitué aux pavés. Inflorenza faisait aussi dans les 300 pages. L’approche est la suivante : proposer un pack de départ assez simple : des règles résumées en une page au début du jeu, et des tables aléatoires qui font le taf à ta place. Donc ça reste dans l’esprit plug and play.
Puis tu peux approfondir en explorant le livre avec un effet pelures d’oignons. Chaque chapitre est présenté de la façon la plus didactique possible, avec un exemple par règle, et une synthèse en trois phrases à la fin du chapitre. Marchebranche s’inscrit dans la vague old school, donc ce principe d’avoir un squelette règles minimalistes + tables aléatoires et plein de conseils autour faisait sens. Donc on espère avoir produit un texte assez digeste tout en installant une vraie conversation.
7. J’ai eu l’impression qu’il y avait beaucoup de règles sur ce total. On peut considérer que Marchebranche est un jeu pour utilisateur expérimenté ou ça convient aussi aux Béotiens ?
Thomas : comme dit précédemment, je pense que la base de règles de départ est assez mince. Une résolution avec un seul d6 lancé pour tout le groupe, on joue des aventurier.e.s amnésiques qui se font confier des quêtes en échange de « tarots de Marseille » inversés qui leur redonnent de la mémoire, il y a plein de tables aléatoires pour générer ces quêtes, et basta. Le jeu est à mon sens rédigé pour des personnes qui n’ont jamais fait de jeu de rôle. La présence de nombreux conseils leur est d’ailleurs avant tout destiné.
Eugénie : Le livre est aussi un « coffre à jouets » selon l’expression de Thomas. En plus des exemples et des conseils, il y a une foule de variantes, de possibilités de jouer différemment, pour explorer ou renouveler l’expérience. Plutôt à destination de MJ ou de tables un peu aventureuses.
8. Vous me connaissez : moi, les systèmes de jeu non-conventionnels, pffff. Au final, qu’est-ce que je retiens : c’est un système à dé ou un système à cartes ?
Thomas : Un système ne se limite pas à savoir si on résout une situation avec un dé ou avec une carte, le système c’est aussi comment on génère le monde à partir d’une myriades de petites idées, comment on construit une péripétie, comment on transmet un sentiment poétique ou onirique…
Mais pour répondre à la question proprement dite, c’est un système à dé pour résoudre les situations : un seul marchebranche lance le dé mais le seuil de réussite augmente en fonction du nombre de marchebranches en mesure de l’aider. C’est donc avant tout un système de résolution orienté vers le collectif. Les cartes (en l’occurrence les arcanes du tarot de Marseille) interviennent quand un marchebranche est payé de sa quête par un tarot du souvenir. Tu n’auras pas accès au même souvenir si tu tires la carte du Bateleur ou la carte de l’Impératrice… Mais pas de panique, on peut tirer les arcanes du tarot sur les tables aléatoires dans le livre ou en numérique si on n’a pas de jeu de tarot à la maison.
9. De même, Thomas, il me dit qu’il va y avoir plein de tables aléatoires dans son jeu et, à la fin, je me retrouve devant une trentaine de fiches sur des double-pages sans entrées numérotées et tout. C’est quoi cette arnaque ?!
Thomas : Ah, ah, en fait c’est un parti-pris ergonomique. Quand je playtestais, j’avais du mal à me retrouver dans mes tables aléatoires. Quand je voulais tirer un figurant, j’allais à la table page 4, puis quand je voulais une péripétie, j’allais à la page 25, puis je devais retourner à la page 8 pour savoir ce qu’on mangeait le soir… Une galère.
On a donc préféré opter pour un système de double-page où chaque double-page rassemble un résultat de chaque type de table aléatoire. Donc pour faire tes tirages, tu ouvres une des double pages de fin au hasard et tu regardes ce qu’on te propose pour ton figurant, après si tu veux tirer une péripétie, soit tu restes sur la même double page, soit tu en choisis une autre… Mettre tous les tirages sur un seul support, c’est une idée que tu vas retrouver dans le jeu de cartes Muses et Oracles. Là, ce sont pas des cartes mais des double pages, mais l’idée est la même, tu utilises le livre comme un jeu de cartes où tu « pioches ».
Eugénie : On retrouve ça aussi dans Nervure, un jeu ou une aide de jeu que Thomas a développé aussi de son côté. Personnellement, je ne suis pas MJ mais… j’ai dû m’y coller pour playtester le jeu, préparer un setting et tout, et je souligne qu’un bébé MJ comme moi a trouvé l’utilisation fort pratique !
10. Bon, soit, soit… alors, donc, Eugénie, il sort quand et comment ce Marchebranche ?
Nous prévoyons une précommande du 02 au 30 avril sur le site de Dystopia (https://www.dystopia.fr/) pour lancer le jeu et amorcer le travail de promotion. Il s’agira vraiment d’une précommande, les souscripteurices devraient recevoir le jeu dans la foulée.
Et courant mai, vous pourrez le trouver en vente par correspondance sur le site de Dystopia, ou le commander via vos boutiques et librairies préférées, voire le trouver directement en rayon de celles qui nous suivent désormais. Et j’espère aussi sur le stand du Rayon Alternatif  en convention !

3 pensées sur “Vous allez enfin savoir si ce jeu vous branche

  • 29 mars 2024 à 04:07
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    Et comme d’hab, le boulot d’Evlyn est juste incroyable… Je suis tellement fan !
    Et j’imagine que les textes de Thomas sont aussi bien d’ailleurs… Bravo les gens !

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    • 29 mars 2024 à 05:40
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      Et bien je ne sais pas si tu vas aimer, mais il y a explicitement un hommage à ton travail dans le texte de jeu. J’ai tâché de reproduire ce que j’y aimais, notamment les références au quotidien des personnages et à une fantasy proche du terroir, et les compétences sans chiffre qui font tant pour fluidifier le jeu tout en typant les personnages.

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