Ni Dieu, ni maître. Mais avec des règles. [chronique Anarchistes pour Shadowrun Anarchy]

Bon, pour ceux du fond qui ne suivent vraiment pas du tout, je fais un topo. Anarchy est un système de jeu alternatif pour jouer dans le foisonnant univers du jeu mi-medfan, mi cyberpunk, Shadowrun. Celui-ci a un lore gigantesque dont on aimerait pouvoir bénéficier et des règles… euh… gigantesques dont certains aimeraient pouvoir se dispenser. Anarchy se propose de faire ce miracle et on vous disait tout le bien qu’on en pense ici : https://lefix.di6dent.fr/archives/11167

Entre temps, la petite gamme Anarchy VF s’est étoffée d’un supplément, sobrement intitulé Anarchistes mais qui, avec ses 168 pages et sa couverture rigide, regarde aisément dans les yeux son grand frère livre de base. Le concept de supplément pour un système alternatif peut sembler chelou et laisser accroire à l’existence de deux gammes parallèles (un peu comme les jeux Edge dont les suppléments se déclinent parfois en version normale et en version 5E)  mais ce n’est pas tout à fait vrai.

En fait, la VF de Anarchy est dès le départ « plus qu’une traduction ». Les traducteurs VF ont largement augmenté le livre de base pour le faire passer de « système de règles alternatif » à « livre de base alternatif », lui ajoutant un résumé du lore de Shadowrun, des scénarios, etc. L’idée était clairement de jouer à Shadowrun seulement avec le livre de Anarchy. Dans ce cadre, le supplément fait sens et est exactement ça : un peu plus du livre de base de Anarchy en 168 pages. De fait, Anarchistes est un supplément entièrement de création francophone, réalisé de façon exclusive par l’équipe derrière la VF du livre de base. Parole d’experts, donc.

Dans l’esprit, cela reste donc un « compagnon ». Il n’y a pas vraiment de continuité ou de thème dans le livre qui enchaîne les sujets et les juxtapose sans plus de transitions. Des précisions des règles pas mal, des conseils beaucoup mais aussi de nouveaux prétirés et même une mini-campagne pour conclure l’ouvrage.

Comme vous le savez peut-être si vous avez lu mes autres chroniques de la gamme, je vais comme souvent me permettre un pas de côté. Mon regard sur Shadowrun (Anarchy ou autre) n’est pas totalement orthodoxe : je suis avant tout fan de cyberpunk (le genre) et si je suis bien obligé de tolérer les trolls mercenaires ou les elfes deckers sous peine de me fermer totalement au 6ème Monde, moins il y a d’ajouts medfan dans mon cyberpunk, mieux je me porte. Il y aura donc fatalement des passages qui m’auront plus ou moins intéressés dans ce maelstrom.

A ce titre, le meilleur passage, de mon point de vue, du livre est celui consacré entièrement au netrunning, au hack et à toutes ces choses de la Matrice. Il me semble très symptomatiques, qui plus est, de la façon dont a été conçue cette gamme Anarchy un peu spécifique au marché francophone. Loin d’être un ajout aux règles de base, ce chapitre est en fait une remise à plat de tout ce qui concerne l’informatique  dans le jeu. En reprenant le principe éprouvé (éculé ?) du vrai-faux dialogue entre Béotiens et ceux-qui-savent-dans-les-ombres, il s’agit de tout réexpliquer par le menu, notamment du point de vue des utilisateurs (donc les futurs PJ) : qu’est-ce qu’on peut faire dans la Matrice ? Il faut quoi comme matos pour se connecter ? Comment ça fait quand on fait ci ? Ou ça ? Très précieux.

Le tout est émaillé d’encadrés qui rappellent ou ajoutent (selon les cas) les points de règles nécessaires en version Anarchy pour simuler tout ce qui est décrit dans le corps du texte. Il ne faut pas y être effrayé par la présence de quelques tableaux écrits serrés : on reste dans la dynamique de simplification de Anarchy avec pas mal d’abstraction mais les auteurs sont en permanence écartelés entre cette volonté d’unification autour de concepts abstraits (les fameux Atouts, notamment) et leur légitime volonté de rendre compte du foisonnement du jeu originel. Difficile de trouver le juste milieu qui dépendra largement de chaque tablée : à ce titre, cet exposé en deux temps (la base dans le livre… de base) et les subtilités optionnelles dans ce compagnon semble être un choix de bon aloi. Chacun se servira…

Le principe est peu ou prou le même pour la magie… fort heureusement pour moi sur moins de pages. Ce chapitre peut au moins nous aider à cerner le pari de Anarchy pour garder la richesse sans les complexités inutiles. Par exemple, un PJ Éveillé, potentiellement capable de métamagie donc, gagne un Atout unique qui correspond à son initiation à ces mystères. Au départ, grâce à cet Atout, il peut simplement (eh, c’est déjà ça !) accéder au plan astral et camoufler son aura magique. Quand le PJ progresse, il gagne un niveau dans cet unique Atout et y ajoute la magie de son choix à puiser dans une liste très riche qui occupe un encadré d’une pleine page écrite petit : Bouclier, Canalisation, Exorcisme, Psychométrie, etc. Pour chaque pouvoir de métamagie, une courte indication de règles (ou de conséquences narratives quand c’est moins mécanique) est donnée pour guider le MJ.

On trouve aussi, plus loin, une partie assez détaillée sur la technomancie suivant à peu près les mêmes principes.

Un autre chapitre de Anarchistes est consacré à ce qui fait briller le regard chromé de tant de runners : le matos ! Celui-ci ayant bien évidemment déjà été abordé dans le livre de base, on ne trouvera ici qu’un peu de grain à moudre pour les MJ qui veulent lancer leurs aventuriers des ombres dans la course à la puissance technologique : les différentes qualités d’implants cybernétiques, les drogues de synthèse ou encore les toxines, là aussi fournies avec de courtes mais suffisantes listes qui en donnent l’interprétation technique simplifiée façon Anarchy.

L’autre gros morceau de Anarchistes est consacré à étendre les possibilités de créer PJ et PNJ issus d’encore plus de races de la métahumanité. Les absents du livre de base débarquent donc en force : toutes les métavariantes des types principaux (attention, contient des elfes noirs !). Les changelins et les Infectés (gobelins, vampires…) serviront surtout à créer des adversaires sur mesure et, enfin, les animaux Éveillés pourront faire, selon les cas, des adversaires redoutables ou des compagnons précieux pour vos PJ.

Une des « astuces » de simplification de Anarchy étant la part belle laissée aux prétirés prêts à servir ou à modifier selon les goûts des joueurs, il est donc logique que ce chapitre se prolonge de nouveaux profils (neuf de plus dans ce Anarchistes), toujours illustrés pleine page, avec ces nouvelles variantes et/ou dotés d’un compagnon à quatre pattes Éveillé. Même chose pour les profils de PNJ qui faciliteront grandement le travail du MJ.

Un ultime chapitre mêlant synthèse de background et petits points de règles est consacré aux « menaces », soit toutes les choses désagréables que le MJ pourrait souhaiter planer au-dessus de la tête des PJ. On y parle, un peu dans le désordre, de biodrones, de magie toxique, de cyberpsychoses ou,  bien sûr, de menaces insectoïdes.

On aurait bien aimer que tout cela soit mis en avant dans le script de mini-campagne fourni à la fin du livre (attention, sur seulement 8 pages !) mais ce Sous Tension est en fait la trame ayant servi à l’actual play de Rôle’n Play et n’a pas été spécialement écrite comme une démonstration de ce qu’il y a dans Anarchistes. Certains éléments, comme les prétirés, renvoient néanmoins vers le reste du livre. Sur le plan du contenu, l’intrigue à base d’arcologie, de corpos concurrentes, de Mrs Johnson retorses, etc. est des plus classiques… ce qui, à titre personnel, n’est pas pour me déplaire ! Bien sûr, cela reste une trame (il y a en gros l’équivalent de trois scénarios en 8 pages…) mais c’est étonnement suffisant et là aussi bien dans l’esprit de synthèse du reste de la gamme Anarchy.

Au bilan, ce compagnon fait très exactement le job pour lequel il a été conçu. Si vous n’avez regardé la gamme Anarchy que d’assez loin, le bouquin vous paraîtra abscons et même vain : ce n’est pas une bonne porte d’entrée. En revanche, si vous aviez déjà été séduit par le livre de base de Anarchy, je ne vois pas très bien quel prétexte vous pourriez vous trouver pour vous passer de cet excellent compagnon conçu très exactement dans le même esprit.

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