Pathfinder Remaster, de quoi rendre les magiciens jaloux

Disons le tout de suite, le très récent Pathfinder Remaster est une réussite éclatante posant une question existentielle majeure : et si Donjons et Dragons apprenait de ses erreurs?

AVERTISSEMENT
L’article qui suit n’est pas un comparatif de Pathfinder 2 et son Remaster, ou un parallèle entre ce dernier et D&D. Rien vous dira si les possesseurs de la précédente édition doivent acheter le Remaster. Compte tenu de la politique de Paizo visant à proposer tout le matériel du jeu gratuitement en ligne, et du travail exemplaire des traducteurs bénévoles du wiki français, cette considération nous semble caduque.

Bisous.

Paizo, le charognard sublime du JdR

Comprendre la genèse de Pahtfinder et son système, c’est avant tout comprendre comment une petite bande d’auteurs et de game designers a vu les échecs successifs de Wizard of the Coast (WotC) et s’est dit « et si on faisait l’inverse ? ». La première édition de Pathfinder est d’abord pensée comme un successeur spirituel de D&D3 pour capitaliser sur le four cosmique de la 4ème édition, elle remplacera d’ailleurs D&D jusqu’à la sortie de D&D5. Pour que nos plus jeunes lecteurs comprennent l’omniprésence de Pathfinder dans les années 2000, les acteurs de Critical Role ont presque tous commencé sur ce jeu et ne sont passés sur la 5ème édition qu’au moment de filmer leurs parties.

La seconde édition du jeu (PF2) sort en 2019 avec un succès honnête, mais son véritable avènement a lieu en 2023. WotC est en pleine tourmente à cause du fameux scandale de l’OGL (raconté en détails dans l’encadré) qui voit grandir un fronde presque universelle contre l’éditeur dans laquelle joueurs, youtubers et éditeurs tiers se serrent les coudes. Dans un environnement où tout le monde se fend d’une liste de ses JdR favoris qui ne sont pas D&D, PF2 gagne en visibilité et annonce en grande pompe la création de son propre système de licence, et une réédition de son jeu décrassée de toute référence aux propriétés des magiciens radins. Cette réédition est le sujet de notre article.

Le scandale de l’OGL : origines, conséquences, et répétition

D&D5 doit son immense succès à trois facteurs :
1) un système déséquilibré mais accessible et profond (soyons honnêtes)
2) l’arrivée de Stranger Things et Critical Role qui rappelle à tout le monde que le JdR existe
3) L’OGL (Open Gaming Licence), un système de licence créé pour la troisième édition permettant à tous et toutes d’utiliser les règles et certaines propriétés intellectuelles du jeu pour créer leur propre contenu et le vendre.

Ces trois facteurs créent un cercle vertueux qui ressuscite littéralement le « meilleur jeu du monde », et l’affuble d’une communauté riche, diversifiée et passionnée… Jusqu’au début de l’année 2023. A cette époque, plusieurs fuites donnent des sueurs froides à la communauté. On peut y lire que Hasbro, la maison mère de D&D estime que les joueurs sont « sous-monétisés » et que les éditeurs tiers se font de l’argent sur leur dos. Pour remédier à ces « problèmes », WotC propose une nouvelle version de l’OGL obligeant les créateurs tiers à reverser une grande partie de leurs revenus, et faisant en sorte que toute création publiée (payante ou gratuite) devienne automatiquement la propriété de WotC. La réponse du public est rapide et brutale, obligeant Wizard à annuler son projet. A noter que cette tentative est aussi un rappel de la 4ème édition, où WotC avait également tenté de durcir l’OGL, provoquant la fin de leur partenariat avec… Paizo qui ira créer Pathfinder.

Le rival éternel

PF2 est donc indissociable de D&D et c’est apparent dès qu’on jette un œil aux règles. Six statistiques de base, un d20 pour la plupart des jets, plein de dés pour les dégâts, et une liste de compétences dans lesquelles vous serez plus ou moins compétents selon votre niveau et votre expertise. Contrairement à son contemporain et sa fameuse « bounded accuracy », PF2 n’a pas peur de faire monter vos scores vers des sommets absurdes : au niveau 10, un résultat en dessous de 20 est un échec, et je ne parle même pas des classes d’armure ubuesques des monstres passé le niveau 15.

Cette évolution exponentielle est très plaisante pour les joueurs qui voient concrètement la puissance de leur personnage et ça permet au MJ de montrer ses grands méchants très tôt en sachant pertinemment que les joueurs n’arriveront même pas à les égratigner, illustrant immédiatement la différence de force sans avoir recours à des artifices scénaristiques visibles à des kilomètres.

Les concepteurs font d’autres innovations comme les échecs et réussites critiques, qui ne sont plus totalement aléatoires mais s’activent si le jet dépasse ou plonge bien au delà du degré de difficulté, et les archétypes qui rationalisent le multiclassage pour le rendre moins puissant mais aussi bien plus versatile.

Dans l’ensemble, le système de PF2 est défini par sa précision et sa justesse. Un roublard n’est plus totalement dépendant des caprices du dé pour réussir son crochetage et le guerrier enchaine facilement les coups critiques en combat. En plus d’être satisfaisant, ça ne rend jamais l’aventure triviale car ces éléments font partie intégrante du système. De la même manière, la qualité et la stabilité de PF2 sont un miracle pour le MJ. Jamais il n’a été aussi simple d’équilibrer un combat et les exploits de nos joueurs sont faciles à gérer sans leur retirer la valeur de leurs actions.

L’esprit tuning

Malgré tout ça, PF2 a la réputation d’être une version plus complexe de D&D, et c’est plutôt étonnant quand on voit que le chapitre des règles compte seulement 46 pages. Mais je serais de mauvaise foi en affirmant que le jeu est simple. La richesse et la complexité du jeu sont ici du côté des joueurs et tiennent en un mot : customisation.

La première édition de Pathfinder est définie par la quantité proprement vertigineuse d’options offertes aux joueurs, et PF2 s’inscrit fièrement dans cette lignée en proposant tellement de choix aux joueurs qu’ils ne pourraient jamais créer un personnage générique même s’ils le souhaitaient. Le tout dépend d’un système de dons couvrant chaque aspect de la création et de l’évolution des PJ.

le rêve de tout joueur : un guerrier avec une personnalité

Les ascendances pour commencer font tout pour vous interdire d’être fade. Chacune comporte un choix d’héritages mettant en valeur la diversité interne à chaque espèce, et une liste de dons accessibles au fil des niveaux. Même l’humain semble intéressant, et ce n’est pas faute d’avoir ajouté des options peu communes dans la fantasy comme le petit leshy végétal, ou le gobelin et l’orc, rarement jouables dans ces univers. L’orc est une addition particulièrement plaisante pour des joueurs qui, comme moi, ont toujours étés gênés par les implications opposant le demi-orc jouable et l’orc nécessairement ennemi (je suis quand même pas fou : si tous les orcs sont méchants, ça implique que tous les demi-orcs sont nés d’un acte que je n’ai pas le droit de décrire dans ces lignes !). Et si vous êtes fans de Tiefflins (ou les nephilim comme PF2 les appelle), le meilleur est à venir; PF2 a un système d’héritage polyvalent permettant de mêler n’importe quelle espèce avec une origine magique. Dans les faits, un groupe d’aventuriers composé d’un humain, d’un nain, d’un orc et d’un gnome peuvent également tous être des fils de démons!

joueur choisissant ses dons, allégorie

Les classes quand à elles sont définies par des listes de dons accessibles à chaque niveau pair, permettant de tailler vos capacités sur mesure. Des mercenaires réunis dans une même troupe peuvent tous choisir la même classe et rester uniques, mieux, deux groupes de joueurs ayant tous choisi la même classe auront du mal à trouver des ressemblances entre eux au delà des capacités de base. L’exploit de PF2 est aussi éclatant que simple : respecter l’identité classique de chaque rôle tout en permettant à chaque joueur de se l’approprier.

Je vous épargne une description détaillée des dons généraux, dons de compétences et des dons bonus offert par les historiques mais vous comprenez l’idée ; PF2 excite l’imagination dès les premiers pas de création poussant le joueur à constamment préciser son idée via ses choix mécaniques. C’est simple, inspirant, et très fun, mais c’est aussi un gros problème. Les survivants de D&D3.5 vont adorer cette cette jungle de mécaniques, mais pour la plupart des joueurs, surtout les débutants, le même acte devient très intimidant et chronophage. Le prix à payer pour cette liberté créative est une charge non négligeable sur les joueurs qui sont responsables de connaitre chaque détail customisé de leur avatar, surtout quand vous vous rappelez qu’on a pas encore abordé l’équipement, les consommables, la magie et le système de combat.

Taper! Taper!…Taper!

Les concepteurs de PF2 ne se voilent pas la face. Ils ont conscience que leur jeu émule une chose : l’aventure fantastique agrémentée de combats épiques. Ils savent que Blades in the Dark, Call of Cthullu et Vampire la Mascarade existent pour le reste, et ont le bon sens de concentrer leurs efforts sur l’essentiel. En l’occurrence, le fameux système à 3 actions.

Si vous suivez un peu les nouvelles, vous avez sans doute entendu parler du système de combat de PF2 divisé en actions. En théorie, c’est super alléchant! Taper 3 fois d’affilée avec votre barbare ou enchainer les sorts du mago sont des rêves inaccessibles pour la plupart des joueurs de JdR, mais au risque de vous décevoir c’est pas exactement ça. C’est mieux.

A chaque tour, chaque personnage a effectivement 3 points d’action à dépenser comme il le souhaite mais avec quelques astérisques majeurs. Pour commencer, chaque attaque consécutive subit un malus dévastateur qui dissuade les plus bourrins, et la plupart des sorts et des capacités spéciales coûtent au moins 2 points d’action. Oui, alors je vous vois derrière votre écran, essuyez vos larmes car ces limites sont uniquement là pour promouvoir la beauté tactique du système. En plus de l’attaque et du déplacement, chaque personnage peut dépenser ses actions pour démoraliser, feinter, soigner, et presque littéralement tout ce qui vous passe par la tête !

Les scores à l’allure de numéros de téléphone des ennemis vous font vite comprendre que frapper bêtement en espérant faire un coup critique est contre-productif. Vous devez fonctionner en équipe pour affaiblir l’adversaire, prévoir ses mouvements et le piéger de manière à ce que la boule de feu du magicien ou l’attaque sournoise du roublard devienne absolument dévastatrice. PF2 encourage la stratégie tant chez les joueurs que chez le MJ, créant naturellement une réelle tension suivie de retournements de situation géniaux.

Cette nécessité stratégique pourrait rendre le combat fastidieux, or c’est tout le contraire. Les affrontements de PF2 sont rapides, brutaux et incroyablement gratifiants. Tout le monde à la table rivalise d’inventivité, le découpage en 3 actions motive naturellement les joueurs à préparer leur tour, et la collaboration nécessaire à la victoire enchaine souvent sur des moments de roleplay aussi spontanés que mémorables.

Comme si ça n’était pas suffisant, le jeu fourmille d’idées évidentes et jouissives. Par exemple, le score utilisé pour l’initiative dépend du contexte ; en pleine forêt le MJ peut demander un jet de nature ou une négociation qui part en baston forcera un jet de tromperie ou de société. Le meilleur ajout sur le système classique au d20 est celui relatif aux réactions. Vous vous souvenez de ces combats insipides ou tout le monde reste en place de peur d’encaisser une attaque d’opportunité? Eh bien non seulement cette capacité est rare dans PF2, mais les dons de classes proposent des dizaines d’alternatives avec leurs propres effets et leurs propres déclencheurs! Encore une fois, PF2 parvient à nous étonner avec une base connue de tous les rôlistes.

Derrière l’écran, la plage

On a beaucoup parlé du côté joueur de l’affaire, mais qu’en est-il de notre cher MJ ?

Comme précisé plus haut, le système de PF2 fait des vacances à nos amis cachés derrière l’écran en carton. Les monstres sont simples à créer, les seuils de difficulté faciles à définir, et les règles globales tiennent sur moins de pages qu’une nouvelle de Lovecraft. C’est à se demander ce que contient le livre du MJ.

Avant de m’étendre comme un cochon dans la boue sur les merveilles de ce tome, une critique. Les livres du joueur et du MJ font sensiblement le même nombre de pages or, même si ça fait joli dans la bibliothèque, de nombreuses informations essentielles pour les joueurs sont dans les pages pour le MJ, allant des poisons et consommables jusqu’aux objets magiques et aux améliorations d’armes. Le livre du MJ n’est donc pas un livre de règles, mais un patchwork confectionné pour éviter que le livre de base fasse 900 pages.

La première partie du livre est un ensemble de conseils pour faciliter la préparation du MJ, et que dire sinon qu’ils sont excellents. Le chapitre regorge de paragraphes simples et précis pour cadrer n’importe quel type de prémisse sans jamais tenir le lecteur par la main, le noyer dans le jargon ou le prendre pour un idiot. PF2 appartient à cette nouvelle mode du JdR avec Mothership, City of Mist et Shadowdark où les auteurs se sont dit que les conseils au MJ devaient être mieux que ceux qu’on lit sur reddit. Révolutionnaire. Plus sérieusement, WotC passe encore pour un cancre quand on compare ces 60 premières pages à l’ensemble du guide insultant produit pour D&D5.

Notons au passage la qualité de l’écran de MJ, si bien fait qu’il suffit de l’avoir sous les yeux pour préparer efficacement la prochaine partie.

Les chapitres suivants sont tous de qualité sans pour autant surprendre. L’un nous fait une description générale mais engageante de Golarion, le monde créé pour Pathfinder, un autre nous parles des variantes possibles pour les règles, notamment celle des archétypes gratuits, très populaire chez les mini-maxeurs, mais le vrai trésor commence page 218 avec la description des objets et équipement magiques, et de l’idée du siècle : les runes.

Dans PF2, vous pouvez découvrir une arme ou une armure magique au fond d’un donjon putride ou dans la réserve d’un mystérieux marchand ou alors vous graver de runes. Plutôt que de supplier votre MJ de vous donner l’épée vorpale de vos rêves pour Noël, ici vous pouvez améliorer votre propre équipement au fil des missions et des marchands. Les runes principales rendent vos armes plus précises et augmentent drastiquement leurs dégâts et améliorent votre classe d’armure et vos jets de sauvegarde. En plus de ces dernières, à vous de voir si vous voulez ajouter des dégâts de feu ou de foudre à votre épée, si vous voulez mettre une rune de retour en main sur votre dague de lancer favorite, et oui, toutes ces possibilités et bien d’autres encore sont applicables aux attaques à mains nues. Le système de rune est si engageant que je conseille à mes joueurs de nommer leur arme de départ et d’y ajouter des runes au fur et à mesure plutôt que de leur promettre des armes légendaires cachées comme par hasard dans le placard à balais de cette liche qu’ils viennent de tuer.

Le tueur de dragons & de donjons

Pathfinder 2 Remaster est un cours magistral cloué sur la porte de WotC et dont les joueurs peuvent profiter. La richesse du jeu le rend par moment complexe, mais cette complexité est pleinement assumée par Paizo. Ils savent que leur public n’est pas celui de Donjons et Chatons, ou des PbtA. Leurs designers sont des sirènes qui appellent irrésistiblement tous les obsédés de l’optimisation, les fans de mécanique et les amoureux des choix infinis. PF2 est en tous points une meilleure version de D&D, faisant tout ce que son ancêtre essaie d’accomplir en mieux.

Mais ne perdons pas notre pragmatisme pour autant. PF2 n’est pas pour tout le monde (ils ont d’ailleurs l’honnêteté de le dire contrairement à D&D). Si les combats ne sont pas centraux dans vos parties ou si vos joueurs préfèrent créer leurs personnages en 5 minutes, vous vous sentirez écrasés par les 790 pages combinées de ces deux livres.

Impossible de finir cette critique sans parler de l’éditeur Paizo, et sa capacité à être constamment une meilleure version de WotC. Les illustrations sublimes sont garanties sans IA, les suppléments abordant des inspirations non-occidentales sont écrits par des résidents des cultures en question, faisant de chaque extension une sincère et merveilleuse découverte loin de tous clichés, et ils n’ont pas besoin de la colère de millions d’internautes pour comprendre quand ils font une erreur. Bref, acheter PF2 n’est pas seulement prendre un bon jeu, mais aussi soutenir une des rares très grosses entreprises du JdR qui a un semblant de conscience.

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Si vous voulez lire d’autres points de vue sur cette gamme ou y laisser le vôtre, rendez-vous chez nos amis du

4 pensées sur “Pathfinder Remaster, de quoi rendre les magiciens jaloux

  • 11 octobre 2024 à 19:51
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    Un belle présentation, presque une lettre d’amour à Paizo et son jeu.
    Bravo.

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  • 13 octobre 2024 à 11:35
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    Article totalement partisan et subjectif. PF2 s adresse a son public. Point.

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  • 14 octobre 2024 à 15:15
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    J’ai eu du mal avec cet article que j’ai trouvé très partisan et très peu nuancé.
    Tout est déjà annoncé dés la première phrase de l’article (au moins il n’y a pas de mensonge):
    « Disons le tout de suite, le très récent Pathfinder Remaster est une réussite éclatante posant une question existentielle majeure : et si Donjons et Dragons apprenait de ses erreurs? »

    Disons le tout de suite, cet article encense Pathfinder pour mieux descendre D&D.
    Ce n’est pas ce que j’attends d’un tel article. Dommage.

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  • 15 octobre 2024 à 06:24
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    Mouais, je comprends l’idée mais en même temps je termine la lecture en sachant clairement que ce jeu n’est pas fait pour moi ou pour ma table. Donc c’est qu’il doit pas être si partisan que ça !
    C’est sympa un peu d’enthousiasme quand même !

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