7ème Mer : Nations Pirates

Un supplément pour 7ème Mer, édité par John Wick Presents et traduit en français par Agate
208 pages couleur, sous une couverture rigide

Depuis sa toute première édition, 7ème Mer souffre d’un certain malentendu. À l’évocation de son titre, nombre de rôlistes s’imaginaient un jeu de pirate fantasy – mettant à l’honneur flibustiers, océans mystérieux et batailles navales. Et certains ne cachèrent pas leur déception devant son orientation cape & épe « continentale », désireux qu’ils étaient de partir en quête du trésor du Capitaine Flint…

Les auteurs de la deuxième édition ont entendu les échos de ces critiques passées. Si 7ème Mer emprunte toujours massivement aux Trois Mousquetaires, au Capitaine Alatriste et à Zorro, le premier supplément de la gamme traite de la piraterie en Théah et au-delà – nous emmenant explorer des rivages inconnus à la tête d’un équipage de joyeux forbans !

This is… Numaaaaaaaaaa !

Après une nouvelle et une introduction destinée à nous allécher sur le contenu du supplément, on entame les réjouissances avec la description d’une nouvelle nation théanne : la Numa. Berceau de la civilisation, cet archipel a connu diverses fortunes durant sa longue histoire – écartelée entre son glorieux passé et les ambitions impérialistes tant de la Vodacce que de l’Empire du Croissant. Désormais indépendant, ce petit pays compte bien reprendre sa place légitime dans le jeu politique du continent.

Pas tout à fait une nation unie, la Numa se compose de plusieurs cités-états – la topographie insulaire du territoire expliquant cette organisation particulière. Bien que chacun s’y sente Numanari, nombreux sont ceux qui font passer les intérêts de leur ville avant tout. Et du fait de son histoire, la Numa s’avère très cosmopolite et empile les traditions, croyances et cultures de façon parfois bien anarchique.
Pourtant, une caractéristique lie les habitants de l’archipel : la recherche de l’excellence, la poursuite de la gloire – en une forme d’hubris encouragé. Ici, il faut briller pour être reconnu – qu’importe son origine. Et l’un des meilleurs moyens pour la Numa de redevenir un pays puissant est d’offrir ses ports à quiconque en a besoin (et peut payer) – dont bien sûr des navires pirates écumant la Mer intérieure…

On reconnaît la Grèce (cantonnée aux Cyclades) à travers la description de la Numa. Antique panthéon peu conforme au culte de Théus, passé riche en invasions, désir de retrouver la gloire, culture maritime… On reste en terrain connu selon la formule éprouvée de 7ème Mer : prendre un pays européen de la Renaissance et lui appliquer un vernis fantasy afin de se décomplexer par rapport à l’histoire. Comme pour le livre de base, cela fonctionne pour les rôlistes désireux d’un décor hollywoodien où vivre des aventures plus grandes que nature tandis que les férus d’authenticité grinceront des dents (mais ceux-là devraient savoir à quoi s’attendre avec ce jeu…).

Ta bouche

Toujours dans les mers théannes, on trouve au large de la Montaigne et de la Castille une île de forme étrange nommée la Bucca. Jadis prison où se retrouvaient exilés les opposants politiques des divers régimes théans, l’endroit est devenu depuis une révolte une sorte de micro-nation indépendante regroupant forbans et pirates de tous poils.
En théorie, il s’agit d’une démocratie avec une présidente et un conseil gérant tous les aspects du fonctionnement de l’île. Mais quand on y regarde de plus près : la Bucca ressemble bien plus à une sorte d’anarchie mal famée et rongée par la corruption. Ce cloaque tire sa prospérité de la piraterie et de divers trafics – tolérés par les nations théannes car une certaine criminalité s’y concentre et les épargne donc.
Divers mystères entourent la Bucca. Un monstre marin la protège de toute attaque par la mer et des ruines syrneth n’attendent que d’être explorées (à moins qu’elles ne l’aient déjà été ?). De quoi attirer bien des curieux…

La mer… qu’on voit danser…

La Mer Atabéenne se trouve au large du continent nouvellement découvert d’Aztlan (l’Amérique du Sud, grosso modo). Le peuple Rahuri la protège depuis des temps immémoriaux, après son exil forcé du continent. La mission de ses membres consiste à veiller sur les créatures marines qui hantent les eaux de ce que l’on appelle aussi la Mer des Monstres.
Nombre d’îles tropicales parsèment donc cette étendue océanique et il s’agit des premières terres que les explorateurs théans ont découvertes – et colonisées. Bien que les Rahuris aient lutté, de nombreuses parties de leur territoire se sont vues accaparées par les hommes venus de l’Est, qui y ont établi divers ports et comptoirs commerciaux – sans même parler de la pratique de l’esclavage, qui concerne tout autant les autochtones que les malheureux du continent d’Ifri…
Dans un tel environnement, la piraterie a bien sûr pris son essor jusqu’à s’épanouir pleinement – au point de perturber les routes commerciales reliant la Mer Atabéenne à Théa. Entre les monstres qui rôdent sous la surface, la magie des indigènes et les flibustiers qui sillonnent les eaux : ambiance Pirates des Caraïbes garantie !

Aragosta

Loin d’opérer en solo, les forbans de la Mer Atabéenne se sont plus ou moins organisés. Ils disposent même d’une capitale en la ville portuaire d’Aragosta – la tristement fameuse République des Pirates. Cette alliance leur permet d’opposer une force soudée aux navires des nations théannes et surtout à la Compagnie Commerciale Atabéenne – qui cherche à éradiquer ce fléau s’opposant à la libre circulation des biens…
Hélas, le ver est souvent dans le fruit et certains des capitaines ayant signé la fameuse charte fondant cette ligue ont trahi Aragosta. Désormais du côté de l’ennemi ou assujettis à des forces plus sombres encore, ils chassent leurs anciens alliés pour les envoyer par le fond… Et tout cela sans compter l’étrange démon surnommé « Jonah le Diable », qui offre des pouvoirs fort pratiques en échange de votre âme…
Les fans de la série Black Sails se retrouveront en terrain connu avec Aragosta, qui affiche clairement sa parenté avec Nassau – lieu où se déroulait l’essentiel de l’intrigue.

Jaragua

Île la plus vaste de la Mer Atabéenne, Jaragua fut également le lieu des pires exactions qui eurent lieu dans le Nouveau Monde. Dominée par la Compagnie Commerciale Atabéenne, on y assista à des pogroms et des pratiques esclavagistes particulièrement inhumaines. Cela fit de l’île le visage de l’occupation théanne, qui y montrait toute sa laideur.
En conséquence, une révolte extrêmement violente s’y déroula. Les esclaves parvinrent à prendre le contrôle de Jaragua pour y établir leur propre pays – non sans mal. Obligés de collaborer avec les anciens colons qui contrôlent la Mer Atabéenne, les nouveaux maîtres de l’île se méfient des agents infiltrés et comptent sur leur étrange magie métissée pour garder leur indépendance.
Jaragua s’inspire à l’évidence de l’histoire d’Haïti et de la Jamaïque, ainsi que du vaudou qui y naquit – en un étrange mélange de catholicisme et de croyances animistes africaines.

Monsanto + Amazon

Avec la Compagnie Commerciale Atabéenne, Théa se dote de sa propre Compagnie des Indes occidentales – mâtinée de ce qui se fait de pire en matière de multinationales modernes. Clairement dans ce chapitre, les auteurs se livrent sans complexe à une critique acerbe du libéralisme économique sauvage.
La CCA représente en effet le pire de ce courant économico-philosophique. Basée sur la recherche du profit sous couvert de liberté d’entreprendre, elle profite de sa puissance financière pour mettre les nations au pas et écraser toute concurrence. La Mer Atabéenne représente à ses yeux un réservoir de ressources à exploiter sans limite (esclaves compris).
Bien que se parant de vertus libérales, la CCA est une entreprise amorale dont le seul et unique but est de conquérir des marchés. Elle prouve que l’on n’a guère besoins de monstres fantastiques ou de criminels caricaturaux pour disposer d’un ennemi haïssable – parfois, ce sont les institutions les plus humaines qui démontrent la plus grande inhumanité.
La CCA portant le commerce au pinacle, autant dire que les pirates représentent son pire ennemi. Elle n’a de cesse de les traquer ou d’essayer de les retourner. Une telle organisation constitue l’adversaire récurrent le plus adapté au contexte…

Born in America

Après avoir présenté ses différents éléments de background, Nations Pirates présente diverses façons de créer des personnages pour les explorer. Un gros chapitre fournit donc toutes les données techniques nécessaires à cet effet.
Il devient enfin possible de créer un vrai pirate – de ceux qui écument les mers pour attaquer les bateaux et les dépouiller de leur cargaison. Comme dans 7ème Mer, le joueur doit choisir à quelle « nation » appartiendra son personnage (la Numa, la Bucca, Aragosta…) – ce qui lui octroie ses éléments de base et l’accès à des Historiques inédits. Divers Avantages, Arcanes et Histoires permettent de peaufiner tout cela et d’obtenir le flibustier que l’on a en tête – au besoin en s’inspirant d’icônes telles que Jack Sparrow, Long John Silver ou Anne Bonny.
Diverses nouveautés sont fournies pour accentuer la mécanique en relation avec les lieux présentés. Notamment des magies variées comme le Mystirios de la Numa (des dons issus des dieux du panthéon), le Kap Sèvi de la Jaragua (du vaudou) ou le Mohwoo et ses tatouages mystiques. Des écoles d’escrime typiques donnent une touche exotique aux combattants créés : une forme de Capoeira, un style permettant de se battre même sur le pont d’un navire secoué par la tempête, etc.
Des conseils sur la gestion des navires et des combats navals parachèvent ce chapitre technique, grâce auxquels toute la table disposera des clés pour mettre en scène des exploits dignes des meilleurs récits de piraterie. Pour l’ambiance, il est même fourni un lexique pirate, des exemples de chartes et quelques sociétés secrètes !

Sous l’océan…

Un bestiaire nous permet de faire connaissance avec la faune des monstres de la Mer Atabéenne. Cela va de la créature qui peut dévorer le marin imprudent au titan marin capable de tirer un navire par le fond !
Mais tous ces êtres ne sont pas forcément dangereux ou hostiles – certains sont considérés comme des dieux par les Rahuris et méritent qu’on leur rende hommage si l’on souhaite s’attirer leurs bonnes grâces.

À l’abordage !

En conclusion, des conseils pour les campagnes basées sur le thème de la piraterie sont fournis. On y décrit notamment les différentes marines des nations théannes et la façon dont s’organise la hiérarchie à bord d’un navire. Divers synopsis complètent le tout.
En annexe, on trouve notamment des cartes de toutes les régions décrites – un bon point, quand on considère l’absence cruelle de telles illustrations dans le livre de base.

Pot-pourri

Au final, que penser de cet épais supplément ?
Remarquons déjà l’excellente finition de Nations Pirates. On ne peut que prendre plaisir à feuilleter cet ouvrage épais et richement illustré (tout en couleurs). Quant à la lecture, elle est plus qu’agréable grâce à des textes bien écrits (et traduits), bien organisés, bien mis en page. Le tout est très évocateur et nous emmène en des contrées riches d’opportunités diverses – danger, magie, héroïsme, vilénie… tout y est pour notre plus grand plaisir !
La formule 7ème Mer fonctionne ici à plein : un brin d’histoire, une pincée de pop culture (les fans de l’Île aux Pirates, de Black Sails et de Pirates des Caraïbes seront enchantés) et une bonne louche d’inventivité sauce fantasy permettent de dessiner un cadre de jeu apte à séduire l’amateur de récits de piraterie et de cape & épée. De ce côté-là, c’est un sans-faute : Nations Pirates complète à merveille le livre de base en lui injectant de belle façon la composante que son nom promet.
Toutefois, ce supplément présente le même gros défaut que 7ème Mer… Un background riche et bourré d’idées séduisantes, des règles pour l’exploiter au mieux, plusieurs conseils pertinents pour faire vivre tout ça… mais toujours aucune orientation ludique claire et pas un scénario en vue à l’horizon. Seul un meneur de jeu expérimenté saura se saisir de toute cette matière pour en tirer des aventures adaptées – le débutant quant à lui pâlira devant la somme d’informations que ne soutient aucune proposition de jeu, restant à la porte de cet excellent univers.
Il est dommage qu’un jeu aussi passionnant et bien écrit que 7ème Mer échoue à se mettre à la portée de chacun en se refusant à proposer des scénarios prêts-à-jouer – tant dans son livre de base que dans ses suppléments. Mais si vous êtes un meneur de jeu avec de la bouteille (de rhum!), nul doute que la puissance du cadre de jeu saura vous inspirer des parties mémorables. Dans un tel cas, il ne faut pas hésiter – la qualité est au rendez-vous et elle vous transportera sur des mers ignorées, en quête de trésors perdus pour lesquels il faudra batailler ferme !
Oh hisse et Ho ! Souquez ferme, moussaillons. En route vers une nouvelle terre – en attendant le prochain supplément de la gamme.

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