Sociétés secrètes [chronique 7ème Mer]

Enfin ! La gamme 7ème Mer rentre au bercail après un long tour du monde avec les suppléments l’Empire du Croissant, le Nouveau Monde et Terres d’Or et de Feu – qui nous emmenaient respectivement dans les équivalents fictifs de l’Arabie / Afrique du Nord, de l’Amérique du Sud et de l’Afrique noire. Un voyage certes agréable mais qui nous éloignait tout de même du cœur du jeu : la Théah, cette Europe de cape & d’épée plus grande que nature, terre propice aux aventures les plus hautes en couleur possibles.

D’autant que ce supplément était attendu de pied ferme ! Après deux ouvrages consacrés aux différents pays du continent, il ne manquait plus que ce guide des sociétés secrètes pour compléter le panel géopolitique du jeu. Et c’est désormais chose faite avec ce supplément qui se coule dans le même format que les précédents.

Manuscrit pas si secret

Inutile donc de s’attarder sur les qualités matérielles de l’objet : elles sont strictement identiques à celles des livres précédents. Une solide couverture cartonnée protège donc plus de deux cent pages tout en couleur richement illustrées, à la mise en page agréable mais surtout parfaitement lisible.

Tout cela assure une lecture confortable et fluide, ici nécessaire car les sociétés secrètes recèlent bien des mystères et mieux vaut avoir l’esprit clair pour tous les aborder ! En tout cas, la gamme 7ème Mer confirme ici tout le soin dont elle bénéficie, qualité d’écriture et de traduction ne manquant pas non plus à l’appel. Voilà donc un supplément qui pourra prendre place sans honte aux côtés de ses prédécesseurs sur l’étagère.

Dans les coulisses de la Théah

Sociétés secrètes a l’ambition d’étoffer ces organisations agissant de façon plus ou moins cachées et possédant des objectifs fort divers. Nombre d’entre elles disposaient déjà d’une description au sein du livre de base de 7ème Mer mais ici, les auteurs entrent dans les détails et offrent aux lecteurs un approfondissement bienvenu. Après tout, ces sociétés secrètes peuvent constituer d’excellents moteurs de campagne et surtout, l’appartenance à l’une (ou plusieurs) d’entre elles singularisent encore plus les Héros lancés à l’aventure.

Sans surprise donc, le sommaire nous dévoile les organisations ici disséquées : les Chevaliers de la Rose et de la Croix, protecteurs des innocents et de la vérité ; le Collège invisible, savants et chercheurs préservant les connaissances scientifiques ; Die Kreuzritter, des tueurs de Monstres décidés à percer les secrets de ces créatures pour mieux les combattre ; la Fraternité de la Côté, pirates et forbans menant une existence aussi exaltante que dangereuse ; Los Vagabundos, des escrimeurs masqués défendant la veuve et l’orphelin mais aussi les dirigeants justes ; le Mociutés Skara, une « ONG » théane portant secours aux victimes de catastrophes (naturelles ou non) ; les Rilasciare, des révolutionnaires luttant contre les deux tyrannies (noblesse et église) ; la Société des Explorateurs, spécialistes en ruines et objets syrnes ; le Novus Ordo Mundi, une conspiration scélérate implantée dans tous les pays. Le panel est varié et – se superposant à l’échiquier des Nations théanes – il permet de complexifier l’univers de jeu en lui ajoutant une couche supplémentaire.

Chaque chapitre se consacre donc à une société secrète, afin d’en présenter l’historique, les principes, l’organisation, les menaces qui la guettent, les personnalités principales, des textes d’ambiance, etc. Le plan est donc carré et d’autant plus efficace – même s’il semble parfois un peu manquer de fantaisie sur un tel sujet. Cependant, il permet de couvrir toutes les facettes de façon claire et intelligible : un gros avantage pour le maître de jeu qui retrouve aisément toutes les informations dont il a besoin en cours de partie. D’autant que l’ouvrage reste synthétique : on se rappelle que la première édition du jeu proposait un supplément par société secrète, recourant alors à un certain délayage rendu transparent par une maquette fort aérée… Rien de tout cela ici, Sociétés secrètes ne se perd pas en inutiles développements – les textes vont droit à l’essentiel et tant mieux car en l’état, il y en a déjà pour deux cent pages !

La vérité sous le voile

Évidemment, avec un tel sujet, on est en droit de s’attendre à de fracassantes révélations. Ne maintenons pas le suspens : oh oui, il y en a quelques-unes ! Certains secrets ici révélés sont de véritables game changers comme disent les anglo-saxons : de nature à bouleverser le monde, il est sans doute préférable de n’en sélection qu’un seul (ou deux au maximum) pour construire une campagne. Rien que la révélation du chapitre sur les Chevaliers de la Rose et la Croix change totalement la vision que les personnages ont de la Théah et peut donc alimenter une saga à même de profondément ébranler l’univers de jeu.

Toutefois, à côté de ces gros secrets il en existe de plus petits – dont l’importance impacte une région ou une Nation, sans risquer de redistribuer toutes les cartes. C’est une bonne chose car cela permet de familiariser les joueurs avec les notions de conspirations avant de leur mettre entre les mains des vérités trop explosives.

Sociétés secrètes permet ainsi d’enrichir le background de 7ème Mer sans trop l’alourdir : le meneur de jeu est libre de ne sélectionner que ce qui l’intéresse ou colle à sa vision du jeu afin de créer ses propres scénarios. De plus, les mystères ne sont pas le seul intérêt de ce supplément…

Poignées de main secrètes

L’autre utilisation que l’on peut faire du contenu de ce supplément consiste à fournir un approfondissement supplémentaire aux Héros. L’appartenance à une société secrète offre bien des opportunités de jeu – d’autant plus si les membres du groupe ont prêté allégeance à des organisations différentes.

En premier lieu, on remarque qu’il existe bien des façons de mettre en scène des alliances ou ententes entre ces sociétés. Chevaliers de la Rose et de la Croix et Vagabundos défendent les habitants de la Théah contre les Scélérats ; le Collège invisible et la Société des Explorateurs ont à cœur de préserver et répandre le savoir ; Die Kreuzritter et le Châle volent au secours des populations frappées par de grands drames ; etc. Le meneur de jeu se voit ainsi offrir de nombreux prétextes à envoyer un groupe à l’aventure – voire à en lier les membres lors d’un premier scénario. Les personnages n’en sont que plus forts et efficaces quand ils collaborent dans l’intérêt général.

En second lieu toutefois, il est tout aussi aisé de jouer sur les oppositions entre les organisations pour créer du drama au sein du groupe… Los Vagabundos ont à cœur de protéger les nobles valeureux qui se soucient du peuple alors que les Rilasciare considèrent que tout dirigeant ne mérite que l’échafaud. La Société des Explorateurs peut se voir interdire l’accès à un site archéologique majeur par Die Kreuzritter, dont les membres craignent que des Monstres s’y terrent. Voilà de quoi créer de beaux dilemmes entre des Héros aux loyautés différentes – après tout, de tels débats internes ne peuvent qu’enrichir la dynamique du groupe.

Le Da Théah Code

Jusqu’ici, il existait deux puissantes organisations antagonistes dans 7ème Mer : l’Inquisition et la Compagnie Commerciale Atabéenne. Sociétés secrètes en rajoute une troisième : le Novus Ordo Mundi.

Ce rassemblement de Scélérats constitue la conspiration la plus secrète et la plus puissante de la Théah. Ses membres ambitionnent rien moins que le contrôle absolu du monde, via un jeu complexe de manipulations au plus haut niveau où chaque étage ignore tout de l’échelon précédent. D’une certaine façon, le Novus Ordo Mundi se trouve derrière chaque machination que les Héros ont pu affronter ou déjouer par le passé. Attention toutefois, cette société se révèle entourée de mystère à un niveau extrême : rien qu’en découvrir l’existence constitue un enjeu de campagne – la suivante pouvant alors mettre en scène son démantèlement.

Énigmes & messages cryptés

Un dernier chapitre donne la parole à John Wick afin qu’il partage quelques pensées à propos des différentes théories conspirationnistes et surtout, de comment les utiliser en jeu. De façon ludique, il dissimule au sein de ce texte différents points de règles s’appliquant aux sociétés secrètes et à leurs membres – prenez garde à tout lire, même quand il part dans un exercice d’écriture automatique assez déconcertant !

D’ailleurs, tout l’ouvrage est truffé d’encarts rédigés de façon cryptée – au lecteur de trouver les clés de déchiffrement correspondant pour avoir accès à de nouvelles révélations. Bon, je vous avoue que cela peut agacer quand on ne souhaite pas perdre un temps précieux à découvrir l’intégralité du contenu de Sociétés secrètes mais ma foi, l’idée colle plutôt bien avec le thème. Et puis, cela constitue un jeu dans le jeu et ces encarts peuvent se recycler en cours de partie, quand il s’agit de confier aux Héros des documents chiffrés. Bien sûr, Agate mettra sous peu à disposition un PDF sur son site, contenant tous ces textes « traduits ».

Entrez dans la conspiration…

Sociétés secrètes aurait mérité de sortir bien avant, dans la foulée des deux Nations de Théah tant le supplément se révèle indispensable à tout meneur de jeu souhaitant rester au cœur de la proposition du jeu – là où les ouvrages sur les pays étrangers s’en écartaient sensiblement au point de paraître assez optionnels.

Aucun sentiment du genre ici : les conspirations et révélations sont un élément essentiel du genre cape & épée (pensez à l’homme au masque de fer) et Sociétés secrètes fournit tout le nécessaire pour l’inclure dans vos parties de 7ème Mer. Un supplément parmi les must have de la gamme, donc !