Arran B [chronique – Les Terres d’Arran]

Quelques mois à peine après la sortie de la boîte de découverte de la gamme (qu’on appellera donc Arran A pour les besoins… euh… du titre de cette chronique ^^), le jeu complet situé dans l’univers medfan de la série BD Elfes et de ses nombreux spin off est désormais disponible chez Black Book Editions.

Avant de vous dire ce que j’en pense, il me semble nécessaire de rappeler le contexte. Ce n’est pas que j’aime à ce point raconter ma life (eh, on n’est pas sur YT ici !) mais quand même, c’est assez particulier pour moi de me sentir autorisé à donner mon avis sur un jeu qui n’est pas dans le genre que j’affectionne et qui met en jeu une série de BD dont j’ignorais à peu près tout (jusqu’à son existence, en fait…) il y a encore quelques mois.

Pour résumer, j’avais kiffé la boîte de découverte. Factuellement bien faite, elle m’avait surtout donné la sensation que son côté compact et pas prise de tête était exactement ce que je pouvais attendre d’un jeu medfan de type classiquement dungeonverse. En quelque sorte, l’équivalent d’un Baldur’s Gate ou d’un Dragon Age en jeu sur table : tu remplaces « tu allumes le PC » par « tu ouvres la boîte » et tu as à peu près le même confort de jeu.

La problématique de cette chronique est donc : comblé par la boîte d’initiation à prix très accessible, à quoi pourrait bien me servir le jeu complet qui coûte une blinde ? On peut y ajouter le fait que j’appréciais particulièrement dans la boîte son accessibilité en termes d’apprentissage des règles et de prise en main « plug & play » de sa mini-campagne… choses qu’on risque de ne pas retrouver aussi aisément dans ces deux gros volumes (classiquement : l’un pour les joueurs, l’autre pour le MJ) qui constituent le diptyque de base de Les Terres d’Arran. Bref : ce jeu complet ne part pas avec un belle tête de vainqueur à mes yeux ^^

J’y ajoute pour la bonne bouche une autre interrogation : l’annonce et le foulancement, entre temps, de la deuxième boîte du jeu intitulée Nains. Difficile pour moi d’imaginer la pertinence de cette deuxième boîte supposément « de découverte » qui sortira donc après le jeu complet. Hum, il va falloir tirer ça au clair !

Le jeu de base se compose donc comme c’est souvent le cas de deux livres : le Livre du Joueur et le Livre du Meneur. Il s’agit de beaux et gros livres avec tout ce qu’on peut attendre désormais d’une production rendue possible par les vertus du foulancement et dirigée par les expérimentés Hommes en Noir : c’est cartonné, c’est solide, c’est en couleurs, etc. Cela dit, il ne s’agit pas d’énormes pavasses. Point qui me rassure, personnellement, d’emblée. Les livres ne sont pas si impressionnants avec leur pagination qui n’excède pas de beaucoup le seuil des 200 pages. L’intérieur est aussi relativement aéré.

Tant qu’on en est à parler de la forme, un mot sur la direction artistique. Compte tenu de ma médiocre connaissance de la BD, je ne me permettrai guère des remarques d’expert mais disons quand même qu’on voit bien l’intérêt de faire un JdR d’une BD. Les illustrations sont abondantes et d’une grande homogénéité. Il s’en dégage une impression très agréable de richesse graphique qui, encore une fois, évoque pour moi l’univers des jeux vidéo sus-cités : à travers elles, c’est bien tout l’univers du jeu qui prend vie. On regrette juste de ne pas avoir poussé encore plus loin l’excellente initiative de la page 103 du Livre du Joueur quand les règles de combat sont illustrées par une planche de BD pleine page.

En dehors des deux livres de base, il existe évidemment une pléthore d’accessoires comme l’écran du MJ (à noter que vous en avez déjà un si vous avez pris la boîte de découverte, je dis ça, je dis rien…), les dossiers de PJ, les cartes de voies… mais au final rien de tout cela n’apporte de matériel de jeu supplémentaire. Ainsi, même le petit livret fourni avec l’écran se contente de reprendre dans un format pratique à faire tourner autour de la table l’ensemble des voies, cœur du dispositif des règles de Chroniques Oubliées.

En effet, rappelons-le : Les Terres d’Arran est une adaptation du célèbre système de jeu maison, lui-même dérivé de D&D 3.5 et de Pathfinder. Vous y retrouverez donc tous les classiques (les fameuses six caractéristiques, les niveaux, les dés de vie, etc.) et, au milieu de tout ça, le principe des voies et des arbres de capacités associés. Idée simple et lumineuse qui permet d’unifier dans une mécanique cohérente tout ce qui est classe de personnage, identité culturelle, races, listes de sorts, compétences spécialisées, etc. En cela, CO se prête très bien à ce genre d’adaptation : on garde la mécanique de base et on refait des voies spécifiques et hop, ça roule. On ne s’étonnera donc pas du fait que le Livre du Joueur des Terres d’Arran soit, avant tout, une grosse compilation de voies. 75 voies environ. Avec 5 capacités à chaque fois, cela fait un gros, gros catalogue de « feats ». Tout ceci occupe environ un tiers de la pagination de ce livre de base. Du coup, on ne va pas se mentir : ce n’est pas toujours très exaltant à lire mais là, je vous arrête : Les Terres d’Arran n’est clairement pas un jeu « à lire », c’est un manuel à utiliser.

Le reste des règles (combat, magie, survie, etc.) tient en très exactement… 18 pages. Et encore, très aérées. C’est ça, Chroniques Oubliées : un corps de règles très simples et étrangement familières (D20, bonus, difficulté) mais, par contre, des trouzaines de feats qui sont autant d’exceptions à celles-ci. Cela en hérisse certains mais, globalement, cela fait le job, surtout avec une poignée de personnages de bas-niveau (une vingtaine de feats au maximum, du coup) et/ou des joueurs pro-actifs qui aiment s’emparer des règles du jeu. Avec des PJ plus expérimentés ou plus nombreux ou encore si le MJ doit tout faire tout seul, cela peut devenir plus lourdingue.

Contrairement à nombre de jeux, le background n’apparaît en lui-même qu’à la tout fin du livre (après l’équipement, c’est dire ^^). Il y occupe d’ailleurs une place très modeste avec une grosse vingtaine de pages classiquement dédiées à l’historique du monde et à la présentation des principaux peuples de cet univers de jeu (spolier : contient des elfes). Cela dit, l’univers a déjà été distillé, certes au compte-goutte, tout au long des chapitres principaux, en particulier ceux consacrés aux voies culturelles ou raciales.

De ce background, je dirais que… il ne me dérange pas. Je sais, cela peut paraître un hommage peu glorieux mais c’est quand même à peu de choses près ce que j’attends d’un dungeonverse de ce type : qu’il ne soit pas aussi carton-pâte que certains concurrents (on peut penser à certains développements des Royaumes Oubliés, par exemple) sans pour autant trop s’éloigner des classiques du genre. On peut y voir un manque de personnalité. Mais on peut aussi estimer que, pour un jeu de société (au sens plein du terme), ne pas perdre les joueurs au beau milieu de la pampa dès la séance inaugurale de la campagne est aussi une force et un atout.

Évidemment, dans ce chapitre, on n’évite pas les (très) nombreux renvois vers tel ou tel tome de la pléthorique série de BD éponymes. C’est un peu lourd pour ceux qui, comme moi, veulent juste un JdR et pas investir dans une trentaine de tomes de BD. En même temps, leur présence fait sens pour ceux qui, à l’inverse, veulent l’adaptation de ce qu’ils ont aimé dans les BD. Je n’ai pas d’éléments qui me permettraient de jauger de la proportion entre les deux publics. Et les auteurs sans doute non plus, d’où ce choix raisonnable.

Au bilan, ce Livre du Joueur reste bien dans la continuité de la boîte Elfes : c’est simple, c’est accessible, c’est riche malgré tout. On sent qu’on va pouvoir s’appuyer sur ce jeu, ses mécaniques stables, ses options nombreuses pour faire ce qu’on attend de lui : nous aider à jouer des aventures medfan entre amis. C’est bien là l’essentiel.

Alors, justement : elles sont où ces aventures medfan dans l’univers de Elfes and co ?

Accrochez-vous : c’est un peu compliqué.

Le Livre du Joueur commence par deux mini-aventures au format « livre dont vous êtes le héros », une solo et l’autre à jouer ensemble – futur MJ et joueurs réunis – en guise de tutoriel. C’est désormais classique et bienvenu. Cela dit, on se demande une fois de plus comment l’articulation entre la boîte de découverte et les livres de base n’a pas été plus réfléchi en amont. A quoi sert la boîte de découverte s’il faut tout réexpliquer au début du livre de base du jeu complet sur quand même 35 pages ? Vous me direz : tout le monde n’a pas acheté la boîte. Et je vous répondrai : ils n’avaient qu’à le faire s’ils avaient besoin de « découvrir », nomdidju ! Si on y ajoute la présence de prétirés dans le livre de base (alors qu’il y en a aussi dans la boîte), cela finit par faire monter la pagination qui, d’une certaine façon, fait doublon entre les deux produits.

Par ailleurs, il y a bel et bien un scénario complet et classique (un MJ/des joueurs) dans le Livre du Joueur. En revanche, il n’est… pas la suite des deux aventures au format LDVELH. Ce serait trop simple. Et ce n’est pas non plus la suite de celles de la boîte Elfes. Bref, il va falloir bricoler un peu pour réussir à faire jouer cette aventure qui, pourtant, aurait logiquement du être celle par laquelle on a envie de commencer à utiliser tout ce beau matériel.

L’astuce (certes curieuse) est que la suite des deux aventures au format LDVELH se trouve… dans le Livre du Meneur ! Si ça c’est pas une magnifique transition pour cette chronique, je me demande bien ce que c’est !

Le Livre du Meneur, donc, est le second tome du diptyque de base et ressemble comme un frère à son prédécesseur. Il débute par une série de conseils au MJ qui ne me semblent pas des plus inspirés (soigner les descriptions, éviter les longueurs…).

L’intérêt du volume réside plutôt dans le copieux chapitre sur les secrets des Terres d’Arran. En une quarantaine de pages, le monde du jeu prend vraiment de la substance, y compris pour celui qui ne connaît pas les BD. Cela reste raisonnablement touffu, on est encore loin de Glorantha ou des Terres du Milieu mais cela suffit amplement pour mieux comprendre certains scénarios ou, surtout, pour pouvoir concevoir les siens, but, visiblement, de ce guide du MJ.

Classique du genre, la suite du bouquin est occupé par un copieux bestiaire, assez classique (oh, des dragons !) et qu’on imaginait en fait plus illustré que cela. J’ai même eu la sensation que c’était une des parties des deux ouvrages les moins illustrées. Un peu dommage. Cela dit, le chapitre fait le job avec une grosse quarantaine de pages remplies de bêbêtes à latter.

C’est dans la section suivante que les auteurs m’ont un peu largué. Peu familier de ce genre de jeu, j’ai du mal à concevoir, en effet, d’avoir fait la nécessité d’un chapitre de 40 pages de… caractéristiques de PNJ génériques ! Des pages et des pages de gars et de filles (génériques que je vous dis) classés par classe et par niveau. Ouah, je… bon, disons que c’est pratique, quoi. Plus que les fiches complètes des PNJ tirés des BD qui suivent, en tout cas (et paf, double taquet surprise). Un chapitre qui laisse perplexe, surtout quand on voit la faible place (10 pages) accordée ensuite à la section – un grand classique là aussi – sur les objets magiques.

Enfin, les fameux scénarios. Deux en l’occurrence, qui forment une mini-campagne avec les deux solos du début de l’autre livre (vous suivez toujours ?). Alors, mini-campagne, mini-campagne… on peut aussi dire gros scénario découpé en épisodes puisqu’il s’agit bien d’une seule intrigue mais qui change de cadre et de décor au fur et à mesure. Elle m’a semblé excessivement scriptée. On est vraiment sur des rails, y compris avec la présence du PNJ puissant qui accompagne les PJ partout et qui a les bonnes idées pour eux au cas où. Il n’y a pas d’épisodes d’exploration ou d’enquête. On est vraiment sur du tchou-tchou. Je suis déçu par rapport à celle de Elfes qui variait beaucoup plus les ambiances et laissait plus le beau rôle aux PJ.

J’aurais donc un jugement sévère sur ce deuxième livre du diptyque de base. Pour moi, il ne sert à rien. Si, comme moi, vous attendez d’un jeu de ce genre de pouvoir faire jouer sans effort des scénarios clés en main, vous ne trouverez quasiment rien d’utile. En dehors du chapitre sur les secrets, il est peu agréable à lire et le matériel à jouer (les scénarios, en fait) s’avère décevant.

Du coup, au bilan, on se retrouve un peu assis entre deux chaises. La brillante boîte Elfes et un Livre du Joueur très efficace à défaut d’être très original m’avaient laissé une excellente impression. Cela dit, la composition des deux livres de base en ce qui concerne les scénarios et le caractère peu dense de celui dédié au meneur me laissent dubitatifs. Si l’idée est de pouvoir proposer à mes joueurs des scénarios classiquement medfan sans prise de tête, Les Terres d’Arran est clairement un bon candidat. Cela dit, le jeu de base apporte assez peu d’eau à ce moulin par rapport à la seule boîte de découverte. Le scénario du livre des PJ est intéressant, les solos difficiles à adapter à un groupe classique, ceux du livre du MJ sont décevants et il n’y en pas dans le livret de l’écran. Bilan : je me retrouve donc à pouvoir faire jouer surtout ceux de la boîte Elfes. Comme avant, en fait. Bien sûr, grâce aux règles complètes, on peut réellement créer ses PJ et le faire de façon riche et complète : c’est tentant. Mais acheter l’intégrale juste pour pouvoir faire ça, cela laisse une fameuse impression de déperdition de moyens. Comme écraser une mouche avec un marteau de guerre +3, en somme.

Pour le jugement définitif sur Les Terres d’Arran, on attendra donc la suite annoncée. Il y aura donc, très bientôt, la boîte Nains qui, c’est certain, continuera d’interroger la pertinence du découpage éditorial choisi. Et puis, surtout, plus tard, il y aura la campagne sous la forme d’un recueil de 8 scénarios pouvant être reliés par un fil rouge et dont on sait que la rédaction est en cours. C’est, elle, sans doute, qui nous dira exactement où situer le jeu.

 

Une pensée sur “Arran B [chronique – Les Terres d’Arran]

  • 25 juin 2021 à 10:08
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    Merci pour cette critique ! Je ne connais pas le jeu, donc, je n’ai pas d’avis. Je voulais juste relever une chose : je trouve les stats de PNJ toujours très utiles. Certes, ce n’est pas sexy à lire, mais quand on doit improviser un pnj à la volée, avoir des stats quelque part peut s’avérer utile si les joueurs ont décidé d’en découdre avec lui.

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