Le bourreau de Sans Coeur

Ah, on s’en doutait déjà à sa facilité à recruter des Pirouettes au temps de sa splendeur télévisuelle mais cela se confirme : Julien Pirou est un expert dans les choses du cœur. Et même dans les choses du Sans Coeur si on en croit le titre de son nouveau projet de JdR autoproduit sous le label Empyréal sur lequel Julien avait déjà sorti son premier JdR perso : Lore & Legacy. Il était donc temps d’aller lui demander quelques conseils et… euh… bah et plus si affinités. Comme on dit.

 

1. Sans Cœur… ne me dis rien : c’est un jeu autobiographique, c’est ça ?

Héhé, tu m’as percé à jour, je suis en réalité un mort-vivant. C’est mon côté vampire : j’aime rester dans ma caverne froide et obscure (aussi appelée “mon bureau”), loin des rayons du Soleil, et pour couronner le tout “je ne bois jamais… de vin” (uniquement du soda sans sucres). Ah on me dit dans l’oreillette que tout ça c’est juste parce que je suis un geek roux à lunettes, rien à voir avec le vampirisme. Zut !

Le nom Sans Cœur s’est imposé de lui-même quand je commençais à établir les grandes lignes de l’univers. Au printemps dernier, alors que j’étais en train de terminer l’écriture de Planète Caravane pour Lore & Legacy, je préparais en parallèle un épisode de Retro Island, l’émission retrogaming que je faisais avec Alex Pilot (co-fondateur de Nolife) pour Gamekult. Cet épisode était dédié aux débuts de From Software, studio aujourd’hui plus connu pour Dark Souls ou Elden Ring. En rejouant à leurs premiers jeux – King’s Field, Shadow Tower… – j’ai retrouvé plein de sensations de jeux de dark fantasy : Diablo, Castlevania, Hexen, ce genre-là. Après avoir bouclé 456 pages de Planète Caravane, j’avais grand besoin de changer un peu d’univers et j’ai donc eu envie d’écrire un jeu avec ce type d’ambiance.

L’idée de jouer des champions revenus d’entre les morts s’est imposée très vite (c’est l’influence de Dark Souls). J’ai commencé à chercher une manière de présenter les choses : “des chevaliers morts-vivants, sans peur et sans reproches”… Et là le déclic : “des chevaliers sans cœur et sans reproches”. J’ai immédiatement su que je tenais le titre du jeu.

2. OK, je vois. Les deux adaptations rôlistiques de Dark Souls ont été pour nous de grosses déceptions. Sans Cœur serait-il…. l’élu ?

Probablement pas. Même si l’inspiration est bien là, j’ai à cœur (!) de proposer quelque chose d’unique, avec une identité propre. Sans Cœur ne sera donc pas “un JDR Dark Souls déguisé”. C’est un jeu de rôle de dark fantasy gothique qui s’inspire, entre autres, de Dark Souls et autres jeux From Software, ainsi que Castlevania, Hexen, Diablo, comme évoqué précédemment. Mais aussi d’Elric, Ravenloft, Hellboy

Comme toujours on y retrouve plein de choses que j’affectionne, remixées à ma manière avec – j’espère – une proposition ludique un peu différente.

3. Est-ce que Sans Cœur sera plutôt un « jeu-campagne », au même titre que Pax Elfica ou encore l’Odyssée des seigneurs Dragons ? Ou est-ce que ce sera un jeu à gamme comme Lore & Legacy ?

C’est davantage un jeu-campagne cette fois-ci. Les Sans Cœurs reviennent dans le monde des vivants avec un objectif très précis : libérer le royaume maudit d’Éridien des forces démoniaques qui en ont pris le contrôle. Cela signifie atteindre la citadelle de Caer Siddi et mettre un terme au règne de Trahearn, le monarque corrompu ayant pactisé avec les ténèbres. C’est le côté Castlevania du jeu : vous voyez ce château gothique au loin, qui a l’air franchement maléfique ? C’est là que vous allez, mais la route sera toujours différente.

Il existe d’autres royaumes et d’autres continents qui sont évoqués dans le lore du jeu, mais le cadre principal est avant tout Éridien. Il y aura peut-être un ou deux suppléments dans le futur, mais ce sera surtout pour ajouter de nouvelles options de personnages ou de nouveaux monstres (même si le livre de base en contient déjà une grosse cinquantaine).

4. Au niveau du système, ce sera à nouveau ton système 3D ? (…) Ahem. Bon, je fais le sachant là mais en fait j’ai tout oublié : tu peux me rappeler comment cela fonctionne ?

Oui, Sans Cœur utilise le Moteur 3d déjà utilisé dans Lore & Legacy (et non le Système 3d, qui est le système utilisé dans Les Héritiers du Département des Sombres Projets – c’est la faute à pas de chance, nos jeux respectifs sont sortis quasiment au même moment). Même si les bases sont les mêmes, il y aura toutefois quelques petites différences liées aux différences d’univers.

En gros, le Moteur 3d utilise trois types de dés (d6, d8 et d10) et selon les situations on peut en lancer jusqu’à 3 simultanément. D’où le “3d”. Lorsque le joueur veut effectuer une action, il regarde s’il a une Capacité particulière, auquel cas il lancera 1d10 + son score de Capacité. Dans le cas contraire, il lancera 1d6 + son score dans l’Attribut le plus approprié. Les d8 servent quant à eux lors du calcul des dégâts des armes ou des effets des sorts. Le résultat du Jet d’Action est comparé à un Degré de Difficulté, ce qui déterminera si l’action est une Réussite standard, majeure ou partielle, ou au contraire un Échec…

On retrouve dans Sans Cœur le principe de dés de fortune ou d’adversité, dont le résultat vient respectivement s’ajouter ou se soustraire à celui obtenu sur le dé de base. L’attribution de ces dés spéciaux est soit décidée par le MJ selon le contexte, soit déterminée par tel ou tel Trait possédé par le personnage ou pièce d’équipement…

Par rapport à Lore & Legacy, il y a deux grosses différences dans Sans Cœur : il n’y a pas de Points de Magie ou de Réserve de Dernière Chance. Chaque Sans Cœur possède une Incandescence (ses Points de Vie, en gros) et lorsqu’il veut utiliser ses pouvoirs surnaturels, il va taper dans ces points d’Incandescence. Lorsqu’un ennemi est vaincu, ou que certaines tâches sont accomplies, le personnage va collecter de l’Essence spirituelle qui peut être utilisée soit pour recharger son Incandescence, soit être mise de côté pour développer ses Capacités et pouvoirs, plus tard.

L’autre nouveauté est la présence de faiblesses. Chaque créature surnaturelle (qu’il s’agisse d’un Sans Cœur ou d’un monstre) possède une ou plusieurs faiblesses à l’un des six éléments du jeu. Il s’agira donc d’utiliser les bons types de pouvoirs, et de se méfier de certains monstres possédant des attaques de l’élément auquel on est vulnérable…

5. Tu m’as l’air d’y tenir à ce système de jeu. Il y aura d’autres adaptations du Moteur 3D plus tard ?

Eh bien oui, comme c’est mon système maison et qu’il tourne bien, j’avais envie de continuer à le développer sur d’autres jeux, chacun avec ses particularités. Après tout le bazar en début d’année autour de l’OGL, je me dis que finalement ce n’est pas si mal d’avoir mon propre système, avec lequel je peux faire ce que je veux sans craindre qu’un jour les “termes et conditions” changent…

Outre Sans Cœur, j’ai donc un autre jeu sur le feu : La Bannière de la Liberté. C’est un peu le projet surprise de 2023 ! Comme tu le sais sans doute, je suis un très gros fan du regretté Leiji Matsumoto et de son univers (Albator, Galaxy Express 999, etc.) J’avais même été impliqué sur un projet d’adaptation officielle du “Leijiverse” en JdR, qui ne s’est pas fait car c’était compliqué de négocier avec les ayants-droits responsables de ce genre de produits dérivés, alors même qu’on avait la bénédiction de Matsumoto lui-même.

Il se trouve qu’en 2005, j’avais écrit une adaptation 100% amateur des règles de Pavillon Noir (première édition à l’époque) pour jouer dans le Leijiverse, sous le nom La Bannière de la Liberté. En 2006, à l’occasion d’un salon nommé GAME in Paris, on avait même réalisé une version illustrée par la communauté des fans…

Or, on m’a récemment demandé s’il était possible de rafraîchir ces règles afin de les faire jouer dans des conventions. Mais ça aurait voulu dire que la personne souhaitant y jouer aurait besoin d’un livre de règles de Pavillon Noir en plus et d’avoir déjà une certaine familiarité avec ce jeu (pas forcément le moins “crunchy”). Du coup je me suis dit, “pourquoi ne pas plutôt utiliser mon propre système ?” Et à partir de là, j’ai commencé à réfléchir à une manière d’utiliser le Moteur 3d pour des aventures de piraterie spatiale.

Comme je souhaitais pouvoir la commercialiser (après tout, je suis désormais éditeur de JdR !), cette nouvelle mouture de La Bannière de la Liberté met en scène son propre univers “inspiré par Matsumoto, mais sans le plagier”. On y retrouve des pirates de l’espace luttant pour leurs idéaux, mais avec une esthétique un peu plus “dieselpunk”, inspirée notamment des avions des années 1920/1930 et de l’Art Déco. Et bien sûr La Bannière a ses propres factions, personnages, peuples extraterrestres, etc.

Pour l’instant, il s’agira uniquement d’un “Livret de Découverte” (un peu plus épais que celui de Lore & Legacy) qui sera disponible dès juin à l’occasion du Japan Tours Festival, et bien sûr en PDF et POD. Mais si ça plaît, j’ai bien envie de développer un jeu complet autour de cette idée… Après Sans Cœur, toutefois.

6. Tu dis dans l’argumentaire : « Les Sans Cœurs ne connaissent plus la faim, la soif, la fatigue ou même la peur. » Un bon gros jeu de Gros Bill, en somme, non ?

Une chose que je trouvais intéressante en rejouant à Dark Souls, c’est que la mort n’est pas une fin. Tu perds ta progression, mais tu reviens au dernier feu de camp visité en conservant ta connaissance des dangers à venir. Les changements effectués dans le monde (genre l’ouverture d’une porte auparavant verrouillée) restent également “valides”. Je me suis demandé comment transposer cette logique dans un JdR. Souvent, les joueurs ont peur de mourir et de perdre définitivement leur perso. Dans Sans Cœur, votre personnage est déjà mort. S’il tombe au combat, ce ne sera pas définitif.

Par contre, il faut quand même qu’il y ait des enjeux. Dans Sans Cœur, c’est le temps. Mourir n’est certes pas définitif, mais c’est une perte de temps. Or, les Sans Cœurs ne sont dans le monde des vivants que pour une brève période : l’équivalent de la fête du Samhain, soit trois jours et trois nuits. Jusqu’où les joueurs peuvent-ils aller dans ce laps de temps ? Est-ce que ce sera suffisant pour libérer le royaume ?

Si les Sans Cœurs ne parviennent pas au bout de leur mission durant ces trois jours et trois nuits, ils pourront retenter leur chance lors de la prochaine fête du Samhain. Mais le monde aura sans doute un peu changé, car désormais Trahearn et ses sbires savent que les Sans Cœurs arrivent. Et quid de l’équipement laissé derrière eux lorsque leurs esprits ont été rappelés dans l’Abîme ?

Les joueurs ont donc tout intérêt à développer un réseau d’alliés parmi les villageois, la Résistance en quelque sorte, afin que ceux-ci gardent précieusement les épées et armures enchantées durement gagnées pour qu’ils puissent les retrouver l’année suivante…

7. Pour Lore & Legacy, ton premier jeu, tu étais seul aux manettes. Est-ce que ce sera aussi le cas pour Sans Cœur ?

Absolument. On en avait parlé lors de la précédente interview sur Le Fix (il y a trois ans déjà), mais comme je travaille dans le jeu vidéo, sur des projets où il y a beaucoup de gens impliqués, de décideurs et de “chefs en cuisine”, c’est une vraie récréation pour moi d’écrire ces jeux où je peux vraiment faire les choses à ma manière sans avoir à justifier le moindre choix créatif devant un board marketing.

En revanche, dans les limites de mon budget j’essaie de m’entourer d’artistes talentueux pour réaliser les illustrations (que je complète ensuite avec du stock art). C’est ainsi que sur Sans Cœur, la couverture est signée Julien Delval (un très gros kif, comme tu peux l’imaginer). On retrouvera également à l’intérieur des illustrations de Goran Gligović, entre autres… Comme Lore & Legacy avec l’album Aetheric Odyssey, le jeu aura également droit à sa bande-originale, cette fois-ci composée par Benoît Vanhoffelen.

Sur La Bannière de la Liberté, j’ai refait appel à Anthony Cournoyer, un artiste canadien qui avait déjà réalisé quelques artworks pour Lore & Legacy. Il a tout de suite compris ce que j’avais en tête pour le style du jeu – ce côté “Matsumoto mais pas trop”.

8. Mais tu ne roules plus que pour toi ou tu envisages des collaborations dans d’autres projets ?

Je ne m’interdis rien, si le projet est sympa et que j’ai le sentiment de pouvoir apporter quelque chose d’intéressant.

9. Solo toujours : tu restes en auto-édition. Tu vas passer par la POD, le foulancement, les deux ?

L’expérience du financement participatif pour Planète Caravane a été très intéressante. J’ai beaucoup appris, mais ça a également été une grosse source de stress. Les mécènes du projet ont été très patients, mais chaque retard ou imprévu – principalement dûs au fait que j’étais un peu débordé par le “vrai boulot”, plus que je ne l’avais imaginé au moment de me lancer sur Ulule – faisaient que je m’auto-mettais la pression, avec l’impression de sans cesse trahir les gens qui m’avaient soutenu… Je comprends désormais mieux les créateurs qui font un burn-out et “explosent en plein vol” après un foulancement réussi.

Donc pour Sans Cœur et La Bannière de la Liberté, je préfère ne pas faire de financement participatif. Je sais, le recours au foulancement est devenu un tel automatisme dans notre milieu qu’on n’a plus l’habitude ! Mais je pense travailler plus sereinement en les finançant moi-même.

Les jeux seront disponibles en impression à la demande et en PDF. Tous deux sortiront cette année : le livret de La Bannière devrait être dispo fin juin, tandis que le livre de règles de Sans Cœur est prévu pour novembre. Ah, et dans le cas de ce dernier j’espère pouvoir proposer une version tout en couleurs du livre !

10. Bon, en vrai, si tu lances un nouveau projet, c’est que tu abandonnes Lore & Legacy, pas vrai ?

C’est une crainte légitime, mais non ! Je laisse le temps aux lecteurs et joueurs de digérer les 456 pages de Planète Caravane. L’aventure en solitaire Nexus est quant à elle sortie fin janvier, et je continue de publier l’Écho Éthérique régulièrement (il n’y aura toutefois que 8 numéros cette année au lieu de 10).

Lore & Legacy reviendra en force en 2024 avec le Compagnon du Franc-Lancier, un supplément de matos avec de nouvelles options de personnages, nouvelles armes, nouveaux sortilèges, etc. Empyréa n’a pas encore livré tous ses secrets…

https://empyreal.pirou.games/

Une pensée sur “Le bourreau de Sans Coeur

  • 20 avril 2023 à 09:21
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    Super interview !
    Hate de voir tous ces projets se concretiser. Sur ce, je retourne à ma lecture de Planète Caravane 🙂

Commentaires fermés.