Les Veilleuses rallument la lumière

Pour des raisons parfois mystérieuses (… euh, non, rien), certains projets restent étonnamment dans l’ombre. C’est le cas par exemple du jeu Les Veilleuses, pourtant sorti depuis peu chez un éditeur assez hyperactif, Obhéa. Qu’à cela ne tienne. Le Fix enfile une dernière fois sa tenue de superhéros avant des vacances (bien) méritées et donne la parole à l’auteur du jeu, Guillaume Jentey, sans oublier de faire une place aux très chouettes illustrations de Willy Cabourdin, l’autre âme damnée des Veilleuses.

 

1 Ah tiens, Les Veilleuses, c’est chez Obhéa ? Je croyais qu’ils ne s’occupaient que de Imperium5, moi !

En fait, Impérium 5 occupe tellement Patrick (Obhéa) que je profite des moindres instants de faiblesses et de fatigue pour lui balancer des projets dans les pattes ! Comme ça, il n’a pas l’énergie pour refuser ! Niark niark niark !

D’ailleurs, je ne dois pas être le seul, il commence à y avoir plein de chouettes projets chez Obhéa : Wallow Wide, Grecka, Lunes… et je sais qu’il y a encore des choses qui se trament dans l’ombre !

Ça vaut peut-être le coup d’aller faire un tour sur le site, non ?

2 Obhéa, ils n’ont même pas eu peur de faire foulancer un kit de découverte (pour Imperium5, donc) et là, pour Les Veilleuses, rien du tout. Vous êtes le petit frère un peu débile qu’on n’ose pas montrer en public ou bien quoi ?

Quand j’ai présenté le jeu à Patrick, il était fini (ou presque, manquait quelques relectures). Il m’a demandé si je voulais faire un financement participatif, j’ai répondu non. Je vais sans doute mal l’expliquer mais je ne voyais pas pourquoi faire un financement participatif pour quelque chose qui existait déjà. Une précommande, oui c’est surement bien, notamment ça permet à l’éditeur d’avoir une visibilité sur le tirage… Je sais pas… Je ne suis pas éditeur et tout ça me dépasse un peu. Ce qui est certain, c’est que je n’avais pas envie du stress qui avec un foulancement pour ce jeu. Je suis déjà stressé comme un malade pour les financements des jeux des copains alors je n’imagine même pas ce que ça serait pour un des miens… Toujours est-il que quand j’ai dit « non » à Patrick, il m’a dit « ok » et que ça me va bien !

3 Proposition forte, identité graphique affirmée, pagination très réduite… en fait, Les Veilleuses, c’est un jeu itch.io. Pourquoi être passés par un éditeur alors ?

Bah ouais, les Veilleuses c’est carrément un JdR itch.io… D’ailleurs c’est là qu’on trouve le pdf… sur ma page itch… avec tous mes autres jeux !

Les Veilleuses, comme tous mes autres JdR, a été écrit sans forcément réfléchir à la façon dont il allait être distribué. Mes jeux sont sur ma page itch, « Sonja et Conan » est en plus en impression à la demande sur Lulu. J’avoue que ce mode d’«autoédition – auto-diffusion » me va bien et va bien avec mes jeux. Notamment parce que je n’ai pas l’énergie, et encore moins les compétences, pour faire un travail d’éditeur.

Alors oui, pourquoi passer par un éditeur ? Et bien parce qu’il passait par là, tiens !

J’ai rencontré Patrick (Obhéa) depuis un petit moment et on a déjà commencé à faire des petites choses ensemble. Il a fait une édition limitée des versions physiques de Super Bâton RPG et on réfléchit ensemble à une version physique de NUIT. Bref, il y a déjà un lien. Un lien auteur-éditeur mais surtout un lien de confiance.

Quand je lui ai parlé des Veilleuses, on l’avait quasiment fini avec Willy et on s’apprêtait à le mettre sur itch. Patrick m’a dit « Attends ! Tu peux m’en parler un peu plus de ton jeu ? Ok je l’édite ! ».

Et j’avoue que vu le travail qu’avait fait Willy sur le graphisme, l’idée d’une version physique me semblait carrément une bonne idée. Alors, pouf, on s’est mis au boulot pour réfléchir ensemble à la façon de l’éditer. Avec Willy, on a eu plein d’exigences qui allaient avec le thème du jeu : imprimeur local, encres végétales, impression sur papier recyclé, sac et poche à dés en craft et dés en bois pour la version collector… Patrick a bossé pour répondre à nos exigences, même quand je lui ai suggéré d’imprimer les feuilles de perso sur du papier ensemencé (pour la version collector) pour qu’après leur partie, les joueurs et les joueuses puissent planter leur perso et les voir prendre vie pour de vrai !

Bref, je suis un auteur itch.io, qui fait des jeux itch.io et grâce à Patrick ces jeux sont édités et distribués dans les meilleures boutiques !

4 Il y en a ils disent que je ne suis pas une lumière alors aidez-moi : Les Veilleuses, c’est quoi ?

Ce sont des lampes qu’on met souvent dans les chambres des enfants pour pas qu’ils aient peur la nuit !

Ça c’est juste pour répondre à ton jeu de mots…

Les Veilleuses c’est un jeu de rôle dans lequel on joue des esprits végétaux qui veillent sur une forêt. Mon envie était d’écrire un jeu où l’on incarnerait la nature, pas un peuple ou des personnages en harmonie avec elle, mais bien la nature elle-même. Le jeu donne des clefs, à la fois dans la mécanique et dans les éléments de contexte, pour que tout le monde autour de la table essaie de d’incarner le monde végétal, un monde qui repose sur un équilibre en la vie et la mort, la lumière et les ténèbres… sans forcément de notions de bien et mal moralisatrices : « the circle of life » comme dirait le Roi Lion !

Concrètement, c’est un jeu de rôle pour 2 à 5 joueurs et joueuses (nombre conseillé mais le jeu fonctionne aussi à plus de 5 ou même en solo). Il y a un meneur ou une meneuse qu’on appelle Mère-Forêt, parce que j’ai bien donné des noms au MJ dans mes jeux, et comme les règles sont assez simples, il est adapté à tout âge, ainsi qu’aux débutants.

C’est un jeu narratif, je veux dire par là que la mécanique est là non pas pour dire si les personnages réussissent ou ratent leurs actions mais si les conséquences de leurs actions sont plutôt positives ou négatives. Le système est fait pour favoriser la narration partagée et les histoires émergentes. Ça tombe bien, j’aime bien jouer comme ça !

5 Attends, je t’arrête : Mère-Forêt, les esprits de la forêt, la souillure, tout ça. En fait, vous êtes Thomas Munier, c’est ça ?

Thomas Munier étant un auteur incontournable du JdR indé francophone, je prends la comparaison comme un magnifique compliment !

Mais pour être tout à fait honnête, quand j’ai écrit les Veilleuses je n’ai pas du tout pensé à Thomas, ni à sa forêt de Millevaux.

D’ailleurs, c’est intéressant parce que souvent les gens qui découvrent le jeu me demande quelles sont mes inspirations et pensent souvent à Thomas Munier et à Miyazaki. Et même si maintenant, parce qu’on me l’a fait remarquer, c’est absolument évident, ni l’un ni l’autre n’était dans mes pensées quand j’écrivais le jeu.

Ma première inspiration a bien entendu été le dessin de Willy. Parce que oui, tout a commencé par la couv’. Quand nous avons décidé de faire un jeu ensemble, Willy et moi, je lui ai dit que pour changer un peu de ce qui se fait d’habitude (un auteur écrit et un illustrateur met des images sur le jeu de l’auteur) il allait faire une illu et que j’écrirai le jeu qui irait avec. Il m’a envoyé la couv’ avec le titre « les Veilleuses » et j’ai tout de suite eu des envies de forêt, des souvenirs de ballades sylvestres avec ma grand-mère quand j’étais gosse et des envies de nature.

Et oui, mes inspirations ne sont pas Thomas Munier et Miyazaki mais Willy et ma grand-mère…

Malgré tout, il est évident que les univers de Millevaux et de Mononoke, entre autres, sont parfaits comme settings pour les Veilleuses.

Et puis Thomas a eu la gentillesse de m’envoyer un petit message à la sortie du jeu et d’en parler sur son blog.

6 Ah bon. Alors, concrètement, comment on joue à Les Veilleuses ?

Concrètement ?

Ohlala ! C’est toujours chiant d’expliquer rapidement des règles comme ça ! Le mieux c’est d’acheter le jeu pour savoir comment ça marche… ou de faire une partie avec moi, non ?

Je vais essayer quand même d’expliquer quelques principes le plus simplement que je peux…

Chaque Veilleuse est définie par 6 actions (créer, croître, ressentir, communiquer, transformer, détruire) et une fascination (les animaux, les minéraux, les phénomènes météorologiques, les humains, la Souillure et le Néant).

Chaque Veilleuse peut donc agir comme elle le souhaite (ou le peut) sur les végétaux et l’objet de sa fascination. De plus, les Veilleuses sont liées entre elles par une conscience collective alors dès qu’une Veilleuse veut agir, naturellement, les autres participent.

Chaque action a une valeur qui détermine le nombre de dés 6 qu’on peut lancer et comme, encore une fois, les Veilleuses sont liées quand on entreprend une action on lance des dés correspondant la somme des valeurs de l’action choisie de toutes les Veilleuses qui veulent participer à l’action.

Bref, on peut agir sur les végétaux et un autre élément (lié à notre fascination) et de manière générale on joue ensemble, en s’aidant.

En plus, il y a une mécanique de jetons. On les appelle les graines et elles représentent le lien qu’ont les Veilleuses avec leur forêt. On pourrait dire que c’est à la fois une ressource qu’on peut dépenser quand on veut faire des actions spéciales, avoir des bonus et les points de vie du groupe (il n’y a pas de point de vie individuel… encore une fois toutes les Veilleuses sont liées entre elles). Ces graines peuvent être gagnées, perdues ou dépensées.

Pour finir, il y a une mécanique narrative à l’aide de morceaux de papier qu’on appelle des feuilles. Ces feuilles servent à exprimer les choses qu’on a envie de voir dans la partie, les questions qu’on se pose. Elles servent à la création de la partie si, comme moi, vous voulez jouer avec une histoire émergente et aussi en cours de partie pour communiquer sur nos envies et nourrir la narration.

Ça parait un peu le foutoir expliqué comme ça mais en vrai ce sont des règles assez simples qu’on prend vite en main, qu’on soit Mère-Forêt ou Veilleuses. Ces règles servent malgré tout à générer un peu de chaos pour émuler des histoires « organiques ». On joue la nature alors c’est bien que des idées naissent, jaillissent, nous surprennent, meurent pour donner place à d’autres idées inattendues.

7 J’ai bien aimé la mise en page mais il y a des trucs difficiles à lire, ce sont les buissons de mots. Il aurait fallu que je tourne mon écran d’ordi dans tous les sens : pffff, galère. Du coup, vous pouvez m’expliquer ?

En fait, si tu regardes bien, tu n’as pas besoin de retourner ton écran parce que la plupart des mots sont écrits plusieurs fois et dans tous les sens… Mais j’imagine que ta question a pour but de me faire parler des buissons de mots plutôt que de la façon dont on peut jongler avec un écran d’ordinateur…

Alors, pouf pouf, les buissons de mots sont des groupes de mots qui peuvent servir à trouver un peu d’inspiration pour interpréter les jets de dés, créer des scènes de contemplation ou tout simplement relancer l’histoire.

Comme je l’ai dit un peu plus tôt, les Veilleuses propose de jouer une histoire émergente. Pour pouvoir émerger, l’histoire a besoin que les joueuses et joueurs interprètent les résultats des dés en amenant des éléments dans l’histoire. Comme ce n’est pas toujours facile de trouver des idées à partir de rien, ces buissons de mots sont là pour proposer des mots, des thèmes et faire poper des idées. Ce sont un peu comme des minibrainstorms thématiques déjà tout prêts.

Chaque buisson correspond à la face d’un dé 6, est thématique et contient une cinquantaine de mots. On y trouve des mots relatifs à une action de Veilleuse, une fascination et un élément (vie, air, terre, feu, eau, mort).

Quand on joue, on pose les 6 feuilles sur lesquelles se trouvent les buissons de mots sur la table. Tout le monde est libre de les consulter quand il le souhaite.

Et donc, les mots sont écrits dans tous les sens pas pour que tu retournes ton écran dans tous les sens mais pour que, quel que soit l’endroit où tu es assis autour de la table, tu aies accès facilement à ce qu’il y a d’écrit dessus.

8 J’ai bien cherché mais je n’ai pas trouvé les scénarios. C’est où ?

Tu n’as rien écouté à ce que je te dis depuis le début !!!

Dans les Veilleuses, je propose de jouer une histoire émergente qui va se créer avec l’imagination, les envies et la sensibilité de chaque personne autour de la table alors c’est pas pour remplir le livre de scénarios limités à mes seules idées… ça serait trop bête !

Alors effectivement, le jeu permet aussi de jouer avec un scénario préparé ou sur la base d’un canevas et ce n’est pas forcément évident de lancer une partie sans trop savoir où aller et ce qu’on peut faire avec un nouveau jeu. C’est pourquoi à la fin du livre, je donne un grand nombre de propositions de contextes de jeu : que ce soit des types de forêt ou des périodes historiques, des fictions à explorer ou même des propositions pour, à l’aide d’une courte partie des Veilleuses, créer un moment particulier dans une campagne de votre jeu habituel.

J’ai un ami, par exemple, qui a prévu une session des Veilleuses au milieu de sa campagne de DD5 lorsque les personnages rencontreront un vieux druide qui les mettra en contact avec les esprits de la forêt qu’ils traversent.

Mais comme je le disais également un peu plus haut, les Veilleuses propose de jouer des esprits de la nature, d’incarner la nature. Il y a une foule de contextes funs où on peut jouer la nature, j’essaie de donner un certain nombre d’exemples dans le livre mais soyez complètement libres d’inventer les vôtres !

Je vois dans ton œil (pour ceux qui nous lisent, c’est bien sûr une façon de parler, je vois pas du tout son œil en vrai…) que ma réponse ne te suffit pas et que tu veux des exemples précis !

Ok ok !

Alors voici quelques exemples de parties que j’ai jouées : un petit jardin ouvrier qui résiste tout doucement à l’urbanisation du quartier, la forêt de Brocéliande à différentes époques, une « forêt » transportée par un vaisseau spatial pour être plantée sur une nouvelle colonie terrestre, une forêt de Transylvanie au pied du château de Dracula qui lutte contre les maléfices du vampire, une forêt pleine de pokémons, une forêt japonaise où un kami est en colère à cause des farces répétées de quelques kitsunes, la jungle amazonienne voyant d’un mauvais œil l’arrivée des conquistadores, la mangrove de Louisiane avec une grosse ambiance SwampThing… Certaines parties étaient douce et poétique, d’autres très sombres, drôles ou épiques. Encore une fois grâce aux mécaniques qui favorisent et guident la narration partagée et l’émergence d’une histoire, votre partie de Veilleuses ressemblera à celles et ceux qui y joueront.

Alors vous, quelle est votre envie ? Vous vous sentez plus jouer les Ents du Seigneurs des Anneaux, les géraniums de mon balcon, dans une forêt du Disque-Monde aux côtés de Mémé Ciredutemps ?

A moins que vous vouliez jouer à Last of Us… mais en étant du côté des cordyceps !

Voilà, j’espère que j’ai bien répondu à toutes tes questions et que je n’ai pas été trop confus.

Merci pour mettre un peu de lumière sur notre petit jeu (les plantes aiment bien la lumière alors c’est cool !).

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Liens :

Obhéa : https://www.obhea-editions.fr/

Ma page itch : https://guillaumejentey.itch.io/

Le site de Willy : http://willycabourdin.com/

Le blog de Thomas Munier : https://outsiderart.blog/