Les coulisses de la Colline au bord de l’eau.

On vous a parlé ce lundi de la précommande Leto pour la traduction par Leto de « Sous la Colline, au bord de l’Eau », un jeu où on joue des hobbits qui préfèrent le confort aux nuits sous la route. Du coup on a demandé à Jérôme « Blanchécrin » Isnard, traducteur, et à Yann Lieby l’illustrateur de ce projet Leto s’ils étaient beaucoup sorti de leur zone de confort lors de ce projet. Voici leurs réponses.

Le Fix: Salut, nous c’est le Fix, certains chez nous vivent sous la colline, d’autres au bord de l’eau et on n’aime pas non plus partir à l’aventure à l’autre bout du monde parce que c’est dangereux. Et vous ? Vous êtes qui ?

JEROME : Salut le Fix, moi c’est Jérôme et, aux yeux de beaucoup, je vis au-delà de la Haie (de là à dire que je suis une sale bête…).

Rôliste quadragénaire et campagnard, j’ai commencé dans le milieu amateur en co-fondant, avec Thabanne, le Souffre-Jour pour Agone. J’ai ensuite travaillé pour plusieurs maisons d’édition, en création ou en traduction, mais toujours avec l’envie de porter des jeux coup-de-coeur (il est difficile de me commander un truc qui ne m’inspire pas trop, je suis un très mauvais mercenaire). Il faut dire que ce n’est pas du tout mon gagne-pain, c’est ma passion, donc je m’y investis par goût uniquement (même si, aux yeux de ma femme, le temps libre que le JDR accapare dans ma vie mérite quand même un dédommagement).

Après pas mal de baguenaude, j’ai posé mon baluchon chez LETO pour assister Laurent Rambour et proposer de nouveaux jeux tandis que lui gérais ses projets historiques. J’en ai profité pour essayer d’impulser de nouvelles dynamiques :

  • Livrer les jeux tout de suite, les proposer au public uniquement lorsqu’ils sont prêts. Une révolution, en somme, mais c’est tellement plus confortable pour tout le monde (éditeurs et clients) que plusieurs confrères s’y mettent (et c’est très bien).
  • Reprendre une communication apaisée après les années de galère. LETO a surmonté de nombreuses tempêtes, pas toujours comprises par le public mais bien réelles, et le lien était un peu rompu (il est encore abîmé aujourd’hui). Je ne prétends pas faire oublier le passé, mais j’aimerais aider à le comprendre et à aller de l’avant tous ensemble.

YANN : Bonjour, je suis Yann Lieby, rôliste depuis la fin des années 1980, illustrateur freelance de Sous la Colline, Au Bord de l’Eau VF.
J’ai précédemment illustré les Errants d’Ukiyo (Vivien Féasson), le supplément Reflets de Shanghaï pour Achéron (Nicolas Henry) et Calliopé (Atelier des Hécatonchires).

Exemple d'illustration pour Sous la Colline, Au Bord de l'Eau

Le Fix: Alors, déjà, bien qu’on suive la scène OSR, Under Hill, By Water ça nous était complètement étranger. Est-ce que tu peux définir ce jeu en trois mots et expliquer à nos lecteurs comment vous êtes tombés dessus ?

JEROME : Un jeu en 3 mots, même Lady Blackbird et For the Story n’y arrivent pas 🙂
Disons Attachant, Familier, et Généreux.

Sous la Colline, Au Bord de l’Eau est un jeu tendre et pastoral à rebours de bien des propositions ludiques. J’aime les jeux à la fois originaux, bien pensés et surprenants, sans qu’ils soient trop de niche (après, je dis ça, mais je pense que ma place est dans un musée des Mathoms…) J’ai eu vent de celui-ci par le bouche-à-oreille, à l’ancienne, car il a une certaine réputation dans la sphère des « cozy games » (au sein desquels on retrouve également, par exemple, Brindlewood Bay, le jeu non-officiel pour jouer à Arabesque).

Je sortais alors d’Against the Darkmaster, pour lequel je n’étais pas forcément prédestiné, et Sous la Colline m’est apparu comme une évidence, à la fois dans sa continuité rétro et sa complémentarité avec le précédent (Dans AtD, le confort des petites-gens, c’est un peu le cadet de vos soucis, mais c’est aussi un jeu proposant de jouer des semi-hommes). C’était aussi une somme de ressources pour mieux mettre en scène les villages de petites-gens, souvent les parents pauvres de nos JDR (l’Anneau Unique v2 corrige un peu le tir, et c’est cool).
J’ai donc proposé à Laurent de m’en occuper, lui n’intervenant que par droit de véto ou sur quelques points précis (devis imprimeur, gestion de la page de financement… des trucs de patrons, quoi).
Il a accepté, pour mon plus grand plaisir, et je l’en remercie.

YANN : Trois mots : confort, campagne, tendresse.
Je n’avais pas non plus entendu parler du jeu avant que Jérôme Isnard ne me propose de l’illustrer.

Le Fix: Ensuite, on s’est planté sur les dates dans notre planning et on s’attendait à une sortie de Sous la Colline, Au Bord de l’Eau, à la rentrée, pas pendant les vacances ? Vous êtes sûr que c’est un bon créneau ?

JEROME : Vous ne vous êtes pas plantés, j’avais bien annoncé ce jeu pour la rentrée 2023. Mais plusieurs paramètres sont venus perturber le planning (on a encore des progrès de planification à faire chez LETO) :

Yann Lieby a été aussi inspiré qu’efficace, et a bouclé ses illustrations avec 2 mois d’avance sur son contrat.
Laurent voulait envisager cette sortie « dès que possible » car d’autres choses se bousculent au portillon. Valérian est sous presse, Flash Gordon est terminé et attend son tour pour être financé depuis un tiroir d’archive, Everway attend son tour également (sa traduction, réalisée par Jérôme Rutily et moi-même, est terminée et livrée depuis plus d’un an), Wraith devrait être fini de traduire sous peu… sans parler des retards à livrer.

Du coup, la précommande n’a pas attendu la rentrée et a joué les grands prématurés en débarquant à l’improviste sur le site LETO le 10 juillet au matin (je l’ai découvert en même temps que vous 😀 )
Cela dit, faut-il râler, pour une fois que nous sommes en avance ?
Quant au créneau, cela fait partie des choix qui n’incombent qu’à Laurent, mais je le rejoins sur le fait que, de toute façon, désormais, il n’y a plus de « bon créneau ». Le calendrier des financements participatifs est tellement saturé qu’il est inutile de chercher « la bonne fenêtre » pour le budget des clients. Reste juste à sortir le bon jeu.

YANN : Je ne suis pas un maître des arcanes du foulancement donc je ne saurais me prononcer sur ce sujet. Je laisse ça à Laurent et Jérôme. Ça a l’air de marcher à priori.

L'Aventure Non merci. Une illustration parfaite pour Sur la Colline, Au Bord de l'Eau

 

Le Fix: Normalement, on fait des jdr pour vivre des aventures épiques et échapper au quotidien. Dans votre jeu, on compte ses feuilles d’herbes à pipe et où on dit « non merci » à l’aventure, vous êtes sûrs que ça va marcher ? Sérieusement, il est où l’exotisme et l’escapisme là-dedans ? Et surtout, où sont les XP !

JEROME : Normalement ? Quel vilain mot. Si je vais dans ton sens, je réponds : « Normalement, on ne fait pas de JDR ».
Des XP, figurez-vous qu’il y en a, y compris quand on « triomphe d’une sale bête » (un peu OSR, quand même). Bon, on en gagne aussi quand on fait des enfants (et non, ce n’est pas sale – enfin, moins que dans Bliss Stage).

Plus sérieusement, j’ai toujours trouvé assez désespérant d’avoir une immense majorité des JDR qui s’attache à génocider toutes sortes de créatures.
Tu veux de l’exotisme, et bien en voilà : vous n’en avez pas marre de courir toute la journée après la gloire, votre salaire, le temps qui passe, le dernier CF et les emmerdes du monde moderne ? Et si l’exotisme et l’aventure, c’était s’imaginer dans une vie différente, plus proche de la terre, au rythme des saisons et au gré des plaisirs simples ? Y’en a qui quittent leur poste de cadre supérieur et déménagent dans la Creuse pour se lancer dans le maraîchage bio. Pour tous ceux qui rêvent de ça mais n’en ont pas la possibilité, il y a Sous la Colline.
Pompidou (un vrai nom de hobbit, ça…) disait : « Je suis de ceux qui pensent que dans cinquante ans la fortune consistera à pouvoir s’offrir la vie du paysan aisé du début du XXe siècle, à bien des égards, c’est-à-dire de l’espace autour de soi, de l’air pur, des œufs frais, des poules élevées avec du grain, etc. » C’est aussi là que Sous la Colline place la vraie fortune, et le rêve de ses personnages (un rêve contrarié par toutes sortes de tracas et de voisins).

Et puis l’aventure, c’est quoi ? Ce n’est pas seulement répondre à un ordre de mission, ou sauver le monde. L’aventure, elle vous cueille aussi au saut du lit, ou pendant que vous faites cuire votre repas. Quel importun frappe encore à la porte ? Que veut-il ? Qui vous a encore volé votre courrier ? Pourquoi ? Quel est ce bruit inhabituel dans la nuit ? Quelle est cette marque sur le montant de votre porte ?L’envie de goûter la bière du village voisin est forte en vous, mais comment y parvenir sans que votre tenancier habituel n’en soit informé, avec toutes les conséquences sociales que cela peut supposer ?

Lorsque je joue à Donjons et Dragons, mon plus grand défi est toujours d’arriver, malgré les aventures dans lesquelles on m’enrôle DE FACON TRES ROLEPLAY…, à donner de la consistance à la vie de mon personnage. Au sommet du challenge se trouve souvent « se marier » (et si tu as un bon MJ, c’est une quête à la fois passionnante et pas si évidente à compléter).
Ben voilà, Sous la Colline, c’était pile pour moi.

YANN : L’exotisme est bien là. Comme dans tout bon jeu qui se respecte, on vit des histoires qui nous sortent de notre quotidien. Je ne suis pas un hobbit et pourtant je rêve d’en être un. Tolkien lui-même a créé les hobbits comme des êtres vivants une vie idéale, qu’il enviait. Je pense ne pas être le seul à avoir envie de jouer ces petits êtres. D’ailleurs, la seconde édition de l’Anneau Unique ne s’y est pas trompée puisque la boîte d’initiation propose de ne jouer que des personnages hobbits dans leur environnement.
Quant à l’XP, il y en a ! Et il y a même des règles de combat, de la magie, des antagonistes… Bref, c’est bien un JDR.

Le Fix: Vous parlez de règles narratives. Nos experts en narrativité nous disent que non, c’est plutôt un jeu classique (sauf qu’il n’y a pas de dé 20), vous pouvez nous aider à y voir plus clair ? Qu’est-ce qui est narratif dans Sous la Colline, Au Bord de l’Eau ?

JEROME : J’ai le droit de botter en touche ? J’ai le concours de la plus grosse citrouille à gagner !
Alors, clairement, je suis un très mauvais theorycrafter, et ce n’est pas ce qui m’intéresse dans le JDR. Je vis une expérience forte ou non, c’est à peu près tout ce qui me permet de juger des JDR que j’estime.
Et en plus, j’aime pas les étiquettes.
Donc les « éléments de langage » de la communication de la page de CF, il faut voir avec Laurent.
Ce que je peux dire, c’est que Sous la Colline revendique plusieurs filiations, parmi lesquelles Lamentations of the Flame Princess (c’était pas intuitif, pourtant) et Hot Springs Island. Pas très narratif, a priori.
On a plein de générateurs stimulant la narration, mais c’est plutôt un outil OSR, je crois.
Enfin, je crois que, de nos jours, beaucoup de gens (y compris professionnels) utilisent « narratif » dès qu’il y a un soupçon de création collaborative ou de narration partagée (et il y en a un peu dans Sous la Colline), ou dès que le système repose davantage sur des choix narratifs (tu peux ou tu ne peux pas, suivant la logique de l’histoire) plutôt que sur des lancers de dés et des calculs précis (et, pour le coup, dans Sous la Colline, l’auteur déconseille lui-même de lancer le dé trop régulièrement, car c’est assez punitif).
Voilà, j’ai répondu sans répondre, mais comme je ne suis pas un expert, j »espère que ça vous suffira.

YANN : Effectivement, même si je ne suis pas un expert, le jeu ne possède pas certains tics narrativistes connus, comme la narration partagée ou tournante, ou l’absence de l’intervention du hasard. Mais les règles sont axées « histoire » puisque le système est léger et que les jets sont réservés à des situations plus restreintes. La plupart du temps, on règle les choses grâce à la conversation. C’est ça, je pense, qui donne cette saveur narrative au jeu, plus que « narrativiste ».

 

Le Fix: En lisant ce jeu, j’ai beaucoup pensé à un autre de mes chouchous, Beyond the Wall avec son ton pastoral et agreste, ses règles de création collective et la boue et la bouse collant aux sabots des apprentis aventuriers. Comment Sous la Colline, Au Bord de l’Eau se distingue de ce jeu qui a aussi sa version française chez Shakos ?

JEROME : Je vais passer pour un inculte, mais je n’ai pas encore eu la chance d’acquérir ni de lire cette petite pépite (de l’avis général, je crois).
Si je me base sur les simples termes de ta question, je dirais que Sous la Colline est plus bucolique et innocent, là où Beyond the Wall m’inspire plus une vie de gardoche (Wastburg), de colon (Symbaroum) ou d’apprenti aventurier comme les patrouilleurs d’Oltrééé !

Nous, on parle de hobbits rêvant de tranquillité. Dans Sous la Colline, il n’y a aucune volonté de « Beyond ». Au-delà de la Haie, c’est un endroit inconnu que personne n’a envie de visiter. Et où l’on ne va pas, d’ailleurs. Faut dire aussi que les gens qui en viennent parfois (des magiciens de pacotille, des nains taciturnes, des elfes tristes et des humains maladroits, sans parler de ces fichus gobelins) ne donnent pas envie d’en savoir plus sur leur monde.
Et puis, la bouse et la boue, c’est des trucs de gamins, ça. Ca salit les beaux habits et ça salope les parquets cirés. Allons, allons.

YANN : Je connais Beyond the Wall de nom et connais la proposition de base, mais pas assez pour me livrer à une comparaison.

Le Fix: Le jeu est assez complet mais est-ce que vous ne trouvez pas qu’il manque une aventure d’introduction ?

JEROME :  Lorsque j’ai traduit Bliss Stage avec la Boite à Heuhh, en d’autres temps, j’ai ressenti le besoin de rajouter une « campagne-exemple » pour ne pas laisser les gens sans support.
Avec le recul, je ne sais pas si c’est une bonne idée pour ce type de jeux. Pour Sous la Colline, j’ai trouvé tellement de matière et d’inspiration directe au travers des générateurs (de familles, de villages, de clubs, de tavernes, de PNJ, de professions, de repères sauvages, de rumeurs, d’événements…) que la question ne m’a même pas effleurée. De plus, proposer un truc tout prêt sans savoir qui peuple votre village, qui convoite quoi, qui fait les yeux doux à qui… c’est risquer de taper à côté dans 90% des cas.

Sur ce type de jeux, ceux qui ont tout compris, selon moi, ce sont les Japonais avec leurs replays. Si vous ne savez pas de quoi je parle, lisez Shinobigami, ce jeu est parfait de ce point de vue (et j’adorerais le traduire…)

C’est ce qui m’avait séduit aussi dans Yuigahama Bad Seeds, avec ses scénarios-nouvelles qui sont à la fois un replay et une carte mentale souple.
Mais bon, de nos jours, un replay papier a-t-il encore un sens quand il suffit d’ouvrir Youtube ou Twitch pour voir 10 actual plays ?

YANN : J’ai toujours été partagé avec la question des scénarios d’introduction. A la fois, c’est pratique pour commencer vite et en même temps, ça limite un peu la capacité du meneur à s’approprier le jeu. Personnellement, je préfère souvent créer de toute pièce un petit truc parce que ça m’aide à comprendre l’esprit du jeu et une fois que j’ai pigé, je me repose avec du contenu tout prêt. Mais c’est un point de vue personnel. Ici, je pense qu’il y a suffisamment d’accroches, de PNJ, de lieux pour pouvoir créer vite fait bien fait une excellente aventure de départ personnalisée.

Le Fix: A la base, le livre est illustré par Evlyn Moreau. Pourquoi avoir pensé à Yann Lieby et est-ce que ce n’est pas lui mettre la pression de marcher dans les pas d’une illustratrice qui a une telle réputation du côté de l’OSR ?

JEROME : En VO, l’identité graphique n’est pas forcément un gros point fort. La couverture est réalisée par une personne de renom (Evlyn Moreau n’a fait QUE la couverture VO, pas l’intérieur), mais le reste est assez chiche (3 illustrations intérieures sur l’ensemble du livre de base, c’est insuffisant selon moi, et la maquette ne met pas l’ensemble en valeur).
Dans le supplément, Evlyn a fait un peu plus (11 illustrations si j’ai bien compté), mais on a aussi des retouches photos en très petit format…

Dès mon premier contact avec Joshua McCrowell, la question s’est posée mutuellement d’une refonte graphique. Entretemps, Yann avait déjà chanté sur tous les toits son amour des hobbits, et je le connaissais un peu par quelques travaux sur Against the Darkmaster, donc les choses ont semblé assez évidentes, et Joshua a immédiatement été séduit.

Il y aura forcément des fans d’Evlyn Moreau qui seront déçus de ne pas la retrouver en VF. Mais je crois aussi que les apports de la VF sont capables de les séduire, eux et d’autres publics.
Quand on a choisi de changer la couverture d’origine d’Against the Darkmaster (car elle nous semblait vraiment trop calquée sur celle de JRTM), il y a eu des déçus, et des heureux. Partant de là, il faut faire ses choix selon son coeur, et les assumer derrière.

Enfin, en termes d’intimidation, je crois que Yann a plus eu peur de la comparaison avec John Howe ou Alan Lee 🙂

YANN :  J’avoue apprécier le style d’Evlyn Moreau, étant assez consommateur d’OSR, et c’est un honneur d’avoir travaillé sur le même projet qu’elle. Mais je n’ai pas senti de pression outre mesure. Nos styles sont trop différents et il était de toute façon hors de question dès le début de copier son style. Nous voulions un rendu « dessin à la plume » / « BD réaliste », et j’espère avoir réussi à faire du bon travail.

Le Fix: Il nous semble que la demande rôliste (et son argent) va davantage vers des jeux darks, pourtant on constate également que des jeux un peu plus solaires et lumineux sont également dans l’actualité. Est-ce que vous pensez que les goûts changent ou c’est juste un effet de mode ? Ou alors que le rôliste est juste un acheteur compulsif qui achète finalement tout ce qui passe ?

JEROME : Il y a forcément des effets de mode. Le dark, quand j’ai sorti les Chroniques des Féals il y a une dizaine d’années avec l’équipe des Sombres Sentes, c’était le passage obligé pour être crédible / « bankable » face à un éditeur (petit regret de ma part, la version alpha était plus héroïque et me correspondait davantage). Apparemment, c’est un peu moins le cas aujourd’hui, même si les produits dark ne manquent pas. J’ai envie de dire « tant mieux ».
Je pense qu’une ludothèque a besoin d’éclectisme, de diversité, comme le monde autour de nous.
Moi, j’aime bien me faire peur (parfois), j’aime bien trimer (parfois), j’aime bien aussi me poser et buller (parfois). Dans la vie comme en jeu.

Quant au rôliste, acheteur compulsif ou pas ? Je pense qu’il y a là aussi beaucoup de diversité. Mais avec la surabondance des projets et la crise économique, l’achat compulsif a du souci à se faire (moi, perso, je n’arrive plus à suivre). Donc je ne choisis pas un jeu et je ne propose pas un jeu au public en misant sur un achat compulsif ou un effet de mode. Je me demande simplement si moi, j’ai envie de jouer à ce jeu, et de l’avoir chez moi. Si la réponse est oui pour moi, elle le sera probablement pour d’autres rôlistes (et sinon, on y revient, foutez-moi dans un musée des Mathoms).

YANN : « Le rôliste est un acheteur compulsif qui achète tout ce qui sort ». Ce serait hypocrite de ma part de nier cette affirmation, donc poursuivons je vous prie…

Plus sérieusement, je pense qu’il y a eu et il y a encore une tendance de fond depuis 10-15 ans qui tend vers des cadres et des propositions ludiques différents de ce qui s’est fait avant.

Soit dans le vraiment dark (Within), soit dans le narrativisme radical intense (Alice is missing), soit dans le WTF ultra violent sous acide ( Mantoïd ), etc.

En tout cas, les créateurs essaient de repousser les limites des systèmes, des univers, des ambiances, et les jeux « feel good », plus mignons, plus chaleureux (Tiny, Ryuutama, Donjons et Chatons) font partie de cette tendance.
Personnellement, je trouve ça très bien. Nous vivons des temps difficiles, et un peu de tendresse ne fait pas de mal entre une partie de Kult et une de Don’t rest your head….

Le Fix:  A notre connaissance, l’écran n’existe pas en vo. Du coup, on y trouve quoi ? Et qui fait l’illustration ?

JEROME : L’écran est une exclusivité pour les souscripteurs, comme Laurent aime bien le faire pour donner un bonus aux soutiens LETO.
Le verso a été imaginé par mes soins (avec évolution possible si le palier « 3 volets » est débloqué) et reprend pas mal de points-clés du jeu (rappels de règles structurantes comme l’impact du chant, des fêtes, des beaux habits, ou encore les règles de bagarre – et non de combat, on ne se tue pas entre petites-gens !)
Pour les illustrations, nous en avons concocté 60 avec Yann Lieby dans un style « carnet de voyage encré ». Yann avait également fait des propositions aquarellées pour les visuels couleur du jeu (au nombre de 3 : médaillons en première et quatrième de couverture, et écran), mais elles n’ont pas été retenues (droit de véto). J’avais alors contacté John Hodgson (sans parvenir à le joindre), Jenny Dolfen (qui a dû décliner pour raisons personnelles) et John Howe (aussi gentil que talentueux, mais Laurent m’a pris pour un fou et on n’a pas creusé jusqu’au bout).
Ces 3 visuels couleur ont donc finalement été remplacés lors de l’étape maquette par des illustrations sélectionnées sur une boutique en ligne (Adobe Stock), en activant l’option « exclure l’IA générative » (je suis totalement opposé à l’utilisation professionnelle des outils type Midjourney, même si cela devient compliqué de les esquiver car certains illustrateurs commencent eux-mêmes à les exploiter, comme ils l’ont fait auparavant avec les outils Photoshop). Je n’en sais guère plus à ce sujet, je découvrirai le nom de l’illustrateur-source dans les crédits de l’écran, comme vous.

YANN : Je passe.

[NDLR: Jérôme nous a informé que LETO a finalement opté pour un écran illustré par José Cano]

Le Fix:  La communication de LETO se traîne une mauvaise réputation tant il y a eu de projets en retard, avec des communiqués parfois un peu étranges. Comment pouvez-vous nous assurer que la livraison en physique ne va pas tomber une nouvelle fois dans un vortex spatio-temporel ?

JEROME : J’en parlais plus tôt, et je vous l’accorde, la communication LETO a longtemps été compliquée (pour de bonnes et de mauvaises raisons, mais Laurent n’a pas démérité). Elle reste encore perfectible selon moi. Chacun ses goûts, d’autres trouveront que ma vision de la communication est trop amicale et transparente (le client doit-il tout savoir ? demandez aux consommateurs de surimi, vous dira-t-on…) De gros progrès sont en cours, et je ne suis pas seul à l’origine de tous ces changement positifs. Tandis que je réponds à vos questions, des nouvelles officielles, rassurantes et datées de moins d’un mois ont été publiées pour Kabbale, Valérian, Feng Shui 2, Cobra Edition Noire, Everway, Flash Gordon, Wulin et Wraith… C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup !

Concernant la livraison physique de Sous la Colline, elle est annoncée à fin octobre 2023. Dès que le premier palier sera passé, le livre partira sous presse.
Les vortex spatio-temporels de la livraison prennent fin avec l’ère Valérian (vous devriez le savoir, il faut lire la BD, hein !)
La politique de tous les projets « post-Valérian », chez LETO, est de proposer le jeu en financement quand le PDF est fini, livrable et imprimable. Dès lors, pourquoi ne pas l’imprimer ?
Avec Against the Darkmaster, j’ai eu un raté (bon, je ne pouvais pas prévoir que les bureaux LETO allaient être incendiés, ça a clairement ralenti le projet…) mais le jeu a été imprimé et livré en moins d’un an.

Avec Yuigahama Bad Seeds, on a atteint le modèle souhaité : livraison des PDF immédiatement, et versions physiques dans le trimestre suivant la clôture du financement. Nous avons même eu des messages de soutiens surpris par la rapidité du processus.
Sous la Colline est sur le même modèle, voire mieux : PDF fini, imprimeur déjà calé… Y’a plus qu’à attendre le passage du premier palier.
Alors oui, d’accord, Laurent peut se faire enlever par les FARC… Mais si on commence à raisonner comme ça, on ne fait plus rien !

YANN : Je passe

Le Fix:  Est-ce que vous avez d’autres projets concernant ce jeu et d’autres choses que vous aimeriez faire sans ou avec Leto ?

JEROME : Sous la Colline est un jeu qui n’attend pas de suite officielle, son avenir se déroule à la table des joueurs.
Pour le reste, j’ai un coeur d’artichaut, donc oui, des jeux coups de coeur et des projets, ce n’est pas ce qui manque, que ce soit chez LETO quand les conditions sont réunies, ou ailleurs quand le projet ne rentre pas dans le spectre des jeux LETO (déjà, avec Yuigahama Bad Seeds et Sous la Colline, j’ai flirté avec la limite 😉 )
Vous le savez sûrement, j’ai dans mon actualité la réédition en cours des Lames du Cardinal (sous l’égide du grand capitaine Philippe Auribeau et entouré d’une équipe incroyable) et une micro-contribution à Monsterhearts v2 (Jérôme et Coralie avaient envie de ressortir The Blood of Misty Harbour, comment le leur refuser ?)
L’avenir, c’est aussi un énorme projet commencé l’an dernier après 10 ans de maturation immatérielle, avec toute une équipe d’auteurs et d’illustrateurs formidables. Vous en saurez plus à l’automne (c’est contractuel).
J’aimerais enfin traduire Shinobigami et un autre jeu typé « fantasy videogames and anime » pour lequel j’ai récemment tendu une perche (affaire à suivre).
Et mon rêve le plus fou, c’est Evangelion RPG, c’est dit (Khara Inc. si tu m’entends !)

YANN : Une de mes obsessions en ce moment est de pondre un JDR complet illustrations/règles/ univers. J’ai deux trucs en lice : Fouines, un jeu assez axé OSR / dungeon crawling où on incarne des enfants-explorateurs (les Goonies + Warhammer, en gros) et un autre truc que j’ai décidé d’aborder par le dessin : Convents, un jeu où on incarne des sorcières qui défendent un bois contre différents antagonistes. Mon souci reste les mécaniques de jeu. J’en écris beaucoup mais ne suis jamais vraiment satisfait… Enfin, on verra.

Pour aller plus loin

Une pensée sur “Les coulisses de la Colline au bord de l’eau.

  • 8 août 2023 à 18:31
    Permalink

    J’ai lu le pdf, la forme est belle et le fond inspire vraiment.
    Fin des précommandes le 10 août !

Commentaires fermés.