Tous aux abris ! [chronique de Fallout]

Après la version rôlistique du so frenchy Dishonored – qui est une réussite, rappelons-le – Modiphius s’attaque à un monument du jeu vidéo : Fallout. Fallout bordel ! Tous les amateurs du jeu vidéo attendent ça depuis des années ! Et bonne nouvelle : Arkhane Asylum a eu le bon goût de traduire rapidement le jeu (août 2021 pour la VO, février 2022 pour la VF).

Mais je vais tout de suite préciser un point – au risque de faire baisser l’excito-mêtre d’un cran ou deux : Fallout, le jeu de rôle est en réalité l’adaptation de Fallout 4. Tout ceux qui ont joué au jeu vidéo l’ont sûrement remarqué, car le « 111 » de la couverture correspond au numéro de l’abri où débute le jeu vidéo.

Maintenant que l’on sait à quoi s’attendre, voyons voir si cette adaptation comble ces longues années d’attente.

Les feux de l’amou… de l’atome

Ceux qui ne connaissent pas trop l’histoire du jeu vidéo peuvent se demander pourquoi adapter que Fallout 4 peut décevoir. Pour schématiser un peu, disons que Fallout, c’est deux salles, deux ambiances.

A l’origine, l’histoire des Fallout 1 & 2 se déroulait en Californie (à l’Ouest donc). Quelques années plus tard la licence du jeu se fait racheter par Bethesda et 10 ans après Fallout 2, le troisième opus sort. L’action se situe à l’Est des États Unis, atour de Washington.

Après le succès de cette résurrection de la franchise, Bethesda souhaite développer une suite. Mais pris par Skyrim, il délègue le projet à Obsidian, un studio de développement fondé par des anciens d’Interplay, les développeurs des deux premiers jeux. Heureux de retrouver leur « bébé », le studio incorpore dans le jeu les éléments qu’ils avaient prévus pour leur Fallout 3 (avant le rachat par Bethesda) et situent l’action… à l’ouest des États Unis, dans le désert du Mojave et autour de Las Vegas. Un retour aux sources en quelques sorte.

Pour Fallout 4, Bethesda reprend les rênes et relocalise l’intrigue à l’Est, dans l’état du Massachusetts (Boston).

Avec le recul, on voit bien que le lore du jeu se divise en deux : ce qui se passe à l’Ouest (par les créateurs originaux) et ce qui se passe à l’Est (par Bethesda). Situer exclusivement l’action à l’Est nous prive donc d’une partie importante du background du jeu (et des factions qui lui sont rattachées). Or la grande force de Fallout, c’est son univers.

Pour l’anecdote, la série TV – prévue en 2024 sur Amazon Prime – situe son action… à l’Ouest. De là à dire que les histoires les plus intéressantes à raconter se situent de ce coté de la carte, il n’y a qu’un pas qu’on ne franchira pas tout de suite. Non.

Mettons le jeu vidéo de coté pour le moment et essayons de concentrer toute notre attention sur le jeu de rôle.

Ce qui se passe dans l’abri, ne reste pas dans l’abri

Fallout est un univers post-apocalyptique. Le monde fut ravagé par une guerre nucléaire, figeant le monde de la surface dans une ambiance et une esthétique marquées par les années américaines 1950-1960. Une société du nom de Vault-Tec avait [Italique]plus ou moins[Italique] anticipé cette fin du monde et avait décroché un contrat avec le gouvernement américain pour construire 122 abris anti-atomique (pouvant héberger chacun plusieurs centaines de personnes) un peu partout dans le pays. Ces derniers étaient réservés aux puissants ou à d’autres, sélectionnés pour les besoins d’expériences :

Un abri pouvait n’abriter que des personnes sévèrement dépendantes aux drogues ou à l’alcool
Un abri n’ayant accepté que des enfants, laissant les parents à l’extérieur
Un abri dont les portes étaient programmées pour s’ouvrir peu de temps après la catastrophe nucléaire. Juste « pour voir » les impacts sur ses habitants.

Mais comme tout le monde n’a pas pu se réfugier dans des abris (qu’ils soient Vault-tec ou personnels), certains survivants (Hommes, animaux et insectes) ont développé des mutations. Rendant ainsi le monde extérieur encore plus dangereux.

Mais Fallout, c’est aussi une critique de la société de consommation, des personnages et des factions complètements folles et un humour noir omniprésent.

Donc, si toutes ces thématiques vous parlent, ce JdR pourrait vous plaire.

Le Système

En dehors de son univers, une autre marque de fabrique de Fallout est son système de jeu baptisé S.P.E.C.I.A.L. Un acronyme pour les sept caractéristiques suivante (on notera la difficulté et l’effort de la VF pour garder l’acronyme) :

  • Strength (Super force) ;
  • Perception ;
  • Endurance ;
  • Charisma (Charisme) ;
  • Intelligence ;
  • Agility (Agilité) ;
  • Luck (Légendaire chance).

Et bonne nouvelle ; Modiphius a réussi à adapter son système 2D20 pour garder cette appellation. Ainsi, votre personnage est défini par ces caractéristiques plus dix-sept compétences (Armes à énergies, crochetage, discours, explosif, médecine, troc, …).

Pour réussir une action, il suffit de faire en dessous de la somme d’une carac et d’une compétence. Le joueur lance 2D20 et chaque dé en dessous est une réussite. Selon la difficulté de l’action, il faut obtenir un certain nombre de réussites (mais en général, une seule suffit).

Voilà pour la base.

Mais le système est beaucoup plus riche que ça. Par exemple, toute réussite excédentaire génère des points d’actions. On peut dépenser ces derniers pour augmenter le nombre de D20 à lancer, pour – durant un combat – faire une action supplémentaire, infliger plus de dégâts ou les stocker dans un pool commun pour les utiliser plus tard par n’importe quel joueur (avec un maximum de 6 pts dans cette réserve).

Chose appréciable, les différentes manières de dépenser ces points sont rappelées quand il faut dans les règles. Dans l’ensemble, l’ouvrage est très clair et très didactique.
Les personnages ont également une caractéristique « Chance », que le joueur peut dépenser pour soit intervenir plus tôt dans un round de combat, soit apporter un élément narratif (« Oh bah ça par exemple, cette combinaison antirad est pile à ma taille ! ») ou encore relancer des dés.

J’étais déjà séduit par le système 2D20, découvert dans Dishonored, mais cette adaptation me fait l’aimer encore plus. Modiphius a trouvé l’équilibre parfait entre garder le cœur de son moteur, tout en restant fidèle aux jeux Fallout.

On retrouve la localisation des dégâts (augmente la difficulté de +1 si on vise une partie du corps en particulier), les dégâts de radiation qui font baisser la valeur maximum de points de vie ou encore l’utilisation de livre ou magazine pour bénéficier de capacité spéciale, mais temporaire (neuf pages proposent une liste de magazines avec des tables aléatoires pour générer le thème et l’effet qui lui est lié. Un plaisir de lecture pour les fans de l’univers). Par contre, la notion de Karma n’est pas présente dans les règles. Le MJ devra estimer cette notion au doigt mouillé, et c’est tant mieux.

Comme je le disais en introduction, le jeu est une adaptation de Fallout 4. Or, l’une des particularité de cet opus est la forte utilisation de mécanisme de crafting (= fabrication/personnalisation d’objets). On retrouve par conséquent cette notion dans le jeu de rôle. Sur les 420 pages de l’ouvrage, une centaine sont consacrées à l’équipement. Et là, accrochez-vous à voter pipboy parce que vous avez tout : Combien de PV fait gagner un bol de nouille ? Quels sont les mod d’armures que je peux appliquer à ma combinaison d’Abri ? Quelle est la différence entre une armure assistée T-60 et X-01 ? Quel est le poids d’un lecteur d’holobande ? De quels ingrédients ai-je besoin pour fabriquer des drogues ?

Vous avez TOUT.

Même si ça peut paraître « trop », c’est un vrai plaisir de retrouver tous les consommables du jeu vidéo avec leur caractéristique pour les utiliser en jeu. Ce n’est pas que du fan service, c’est une vraie adaptation.

Et heureusement, un index détaillé est disponible en fin d’ouvrage pour faciliter à trouver ce qu’on cherche (quand je vous dis que le jeu est clair).

Bref, coté système, c’est du tout bon.

L’abri ne fait pas le moine

Fallout n’est pas Mad Max (ou Ken le survivant). En effet, même si le décor est complétement détruit par le feu nucléaire, les radiations ou tout simplement le passage du temps, l’univers bénéficie d’un niveau technologique encore très avancé (armes lasers, robots, usine encore fonctionnelle, etc.). Pour vous approprier au mieux cette saveur « Fallout » si particulière, l’ouvrage vous présente tout ce que vous devez savoir. Que ce soit la liste des entreprises d’avant-guerre qui ont encore une activité ou une influence post-cataclysme (comme les capsules des soda Nuka-Cola qui servent de pièces de monnaies). Dans ce registre, le chapitre sur la société Vault-Tec nous explique l’origine des abris et les secrets de certains d’entre eux. Un passage très savoureux à lire même si j’aurais apprécié plus d’exemples d’abris. Que voulez-vous quand c’est bien, on en veut toujours plus !

S’en suit 43 pages de description du Commonwealth (=la region de Boston et du Minnesota). Découpé par secteur, vous y trouverez une description des lieux les plus importants, accompagnée par moments de quelques synopsis de quête. L’absence de carte se fait cruellement sentir ! Mais pour combler ce manquement, il faudra vous les procurer à part en achetant le Kit du meneur de jeu (qui n’est pas l’écran !).

Dans l’ensemble, ce gros chapitre se contente de décrire les lieux, et ne fait que citer les PNJ qui leur sont rattachés – sans plus de précision – ou évoque des évènements qui ne parleront qu’aux joueurs du jeu-vidéo. Exemple (p.265) : « Enfin, des rumeurs font part d’un résident d’Abri solitaire qui écume les terres sauvages. Nul ne sait s’il s’agit d’un homme ou d’une femme, mais cet individu est obsédé par l’enlèvement de son fils, survenu des années auparavant et parcourt les terres désolées dans l’espoir de retrouver l’enfant qu’il a perdu il y a si longtemps« . Si vous avez joué au jeu vidéo, cet extrait vous parle forcément. Mais pour les autres…

Objectivement, l’ouvrage reste assez complet pour se suffire à lui-même. Il n’est donc pas indispensable d’avoir joué à Fallout 4. Mais ça reste un gros plus pour comprendre les sous-entendu et les clins-d’œil.

Que joue-t-on ?

Vous l’avez compris, tout le contexte et le terrain de jeu est celui de Fallout 4. Les PJ devront donc interagir avec les factions de la région telles que la confrérie de l’acier, le réseau du rail, les enfants de l’atome, les goules, les super-mutants, les pillards en tous genres ou les habitants des abris.

Mais la faction qui est au cœur de l’intrigue du jeu vidéo et qui par conséquent est mise en avant ici, c’est l’institut. Une entreprise pré-cataclysme dont l’objectif est de remplacer les humains par des synthétiques. D’ailleurs, la mini-campagne (ou le long scénario en 3 actes) présent dans le livre met en jeu l’institut et raccroche directement les PJ au fil rouge du jeu.

Mais Fallout reste Fallout. C’est-à-dire un énorme bac-à-sable. Où le thème de votre campagne sera donné dès la création de vos personnages En effet, que vous soyez membre de la confrérie de l’acier, résidant d’un abri, survivant des terres désolées ou goule, la saveur de vos aventures sera bien différente. Sans compter toutes les alliances ou les mésententes aux nombreuses factions. L’ouvrage ne vous dicte rien, mais vous présente toutes les possibilités. Et, le plus important, vous donne de quoi nourrir les rencontres et les quêtes donnant vie à cet univers si riche.

Avant de conclure, je terminerai ce paragraphe par une déception : je n’ai pas ri en lisant le jeu. Fallout est un univers pétri d’humour noir. Que ce soit dans ses dialogues, ses situations ou certains de ses concepts (culte absurde, histoire d’abri, personnage loufoque). Or, il n’y a rien de tout ça ici. Tout est traité avec un énorme sérieux. Mais cette remarque ne vaut que pour ceux qui connaissent Fallout et qui ont connu la grande époque Siroz (INS, COPS, Bitume,…)

Conclusion

Difficile de faire rentrer tout l’univers et l’histoire de Fallout dans un livre de 400 pages (surtout dans 100 pages sont consacrées à l’équipement). Ceci étant Fallout est une réussite. J’aime beaucoup le système de règle et, comme pour Dishonored, chaque élément de background est accompagné d’idées d’intrigues.

On retrouve cette saveur particulière des Fallout : la critique de la société de consommation, la folie humaine, la survie, mais à vous d’y ajouter l’humour noir qui fait un peu défaut à l’écriture.

Le jeu a le potentiel pour devenir un super bac à sable post-apo et tous les outils sont présents pour lui donner vie. Et si cette tâche vous intimide, sachez qu’une campagne (de 248 pages) vient de sortir en VO. En attendant, en l’espère, un éventuel supplément sur la Californie.

2 pensées sur “Tous aux abris ! [chronique de Fallout]

  • 5 octobre 2023 à 14:21
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    Winter of Atom, si c’est la campagne évoquée en fin d’article, c’est 250 pages, pas 400 🙂

    • 7 octobre 2023 à 09:14
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      Bonjour,
      Ah bah oui, tu as raison. Merci pour le correctif.
      J’ai été encore trop gourmand sur ce coup là 🙂

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