Sous le feu des Critical

La (petite) série des Critical (Fondation et Sanctuaire), parue chez Gigamic, semble avoir réussi l’impossible : faire l’unanimité autour d’un jeu hybride, mi-jeu de rôle, mi-jeu de plateau et re-mi-jeu de rôle derrière. Jusqu’à présent, les tentatives de concilier les exigences élevées du jeu de rôle (liberté des joueurs, profondeur de l’univers, vraie trame narrative…) et celles impératives du jeu de plateau (des trucs à manipuler, pas plus d’une heure, pas des tonnes de trucs à lire en amont, etc.) avaient souvent déçu les uns ou les autres et même parfois les deux publics potentiels. Là, la mayonnaise a l’air de prendre au point qu’on espère au minimum deux autres boîtes dans les prochains mois. Mais quel est donc leur secret ?! Le mieux, c’était de le demander directement aux auteurs : Yohan Lemonnier et Kristoff Valla.

 

1. Bonjour, nous c’est le Fix. Et on en est encore à se demander qui est le plus fort entre l’éléphant et l’hippopotame. Et pour vous, c’est qui le plus fort : le JdR ou le jeu de plateau ?

Y : A mes yeux, l’idéal est de mixer les deux mondes, comme on essaie de le faire avec la gamme Critical. Les propositions « passerelles » me passionnent. Alice is missing, Fragments, Pour La Reine… les occasions de se marrer et de vivre des expériences uniques commencent à foisonner, à la lisière entre les deux mondes. A mes yeux, c’est un signe de maturité et d’ouverture de nos loisirs. Rien ne m’emmerde plus que les guerres de chapelle, de toute façon ! Il n’y a pas UNE bonne façon de jouer, tant qu’on joue.

K : Je pense vraiment que le Jeu de rôle demeure le jeu de société ultime par sa proposition et son ses approches, mais ce n’est pas dénier le jeu de plateau ou les autres formes de jeu. Dans tous les cas, il s’agit avant tout de passer un bon moment, souvent convivial et je crois que chaque expérience peut se nourrir des autres. Après tout, c’est ce que nous faisons dans Critical.

2. Critical, c’est une commande de votre éditeur Gigamic ou une obsession personnelle ?

Y : Une obsession personnelle qu’il a fallu formater aux envies de notre éditeur. A la base, on voulait un petit jeu permettant de faire jouer un JdR sur un coin de table en 15mn, plutôt que de passer le même temps à essayer d’expliquer à un moldu ce qu’est que ce loisir étrange. Le petit hic, c’est que ce prototype initial nécessitait d’être piloté par un MJ chevronné. Le souhait de Gigamic a été d’en faire un outil permettant d’accompagner des MJ débutants et, in fine, de « créer » de nouveaux MJ. Et à l’évidence, Gigamic a vraiment eu raison de nous inciter à travailler dans cette direction.

K : C’est une idée de Yohan, un truc qui lui tenait vraiment à cœur. Mais cela n’a pas été bien difficile de m’embarquer dans le concept 😉. Nous avions une vision initiale du jeu, Gigamic en a apporté une autre, le projet a évolué. Dans le bon sens au regard du résultat final pour lequel nous restons très enthousiaste et très motivés. Mais cela implique également que le socle de Critical est assez solide pour envisager de le décliner, aussi bien sur des univers différents que sur d’autres modes de jeu. Il y a plein d’idées en cours…

3. Le vrai projet derrière Critical, c’est quoi ? Faire jouer les collègues à la pause de midi ? Initier les enfants avant qu’ils ne décrochent ?

Y : Le vrai projet c’est de conquérir le monde ! Quant aux enfants, ce n’est pas la cible première. On vise un public ado/adulte. On veut recruter des joueurs de jeux de société classiques et les faire basculer dans l’enfer du JdR. D’où le format court, qui, en effet, fonctionne parfaitement à la pause de midi. On veut rendre ce type de jeu accessible en termes de temps et de complexité, et qu’un groupe de potes puisse se dire « allez, on se fait un Critical, qui fait le MJ ? », le tout sans prise de tête aucune et avec un temps de préparation réduit.

K : Nous pensons que beaucoup de joueurs aimeraient découvrir ou se plonger plus assidûment dans le JdR, mais il porte en lui des contraintes qui souvent les freinent : règles épaisses, implication du MJ pour préparer une partie, longueur des séances… Avec Critical, en plus de fournir un mode « d’auto-initiation » accessible, l’idée reste de dire : non, le JdR ce n’est pas si compliqué que cela. Peu de choses à lire pour se lancer, des explications rapides, des parties courtes et intenses, c’est possible. Et oui, jouons pendant la pause méridienne, ou pendant une heure de permanence ! Novices comme vétérans du jeu de rôle qui ont parfois moins de temps (mais pas moins d’envie) à consacrer à leur loisir. Et si on se faisait une petite campagne en deux ou trois soirées ?

4. Ce ne sont pourtant pas les boîtes d’initiation au JdR qui manquent depuis quelques années. Il n’y en a donc aucune qui trouve grâce à vos yeux ?!

Y : Pour faire exactement ce qu’on avait en tête ? Non. En tout cas aucune qui corresponde à notre envie de pouvoir lancer une partie moins d’une heure après avoir ouvert la boite. Il faut quand même toujours qu’un joueur se fade le livre de règles, ingurgite le lore de l’univers, prépare le scénario. Il y a plein de boîtes vraiment bien foutues pour des vétérans qui veulent faire découvrir, ou pour des néophytes motivés, mais aucune proposition pour des joueurs qui aiment Time Stories ou Mysterium et qui veulent passer la vitesse supérieure sans y engouffrer trop de temps.

K : Il existe d’excellentes boites d’initiation, bien souvent d’initiation à un jeu en particulier, comme une porte d’entrée. Celles plus génériques nécessitent, à mon sens pour en avoir lu la plupart, quand même un MJ possédant déjà un peu de bouteille. Nous espérons que Critical peut prendre par la main des joueurs intéressés par le JdR n’ayant jamais eu d’expérience de ce type de jeu (ou alors juste un replay d’une partie qui aura su les attirer).

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5. Si on ne devait retenir qu’un élément du dispositif de Critical, c’est quoi ? Les cartes illustrées ? Le découpage des scénarios en 30 mn ? Autre chose ?

Y : Je vais répondre à côté de la question. Ce qui fait la spécificité de la gamme, à mon sens, c’est un empilement de petits détails, qui au final donnent – on l’espère – une fluidité au bidule. Les inserts dans l’écran pour les cartes illustrées, le matériel « jeu de plateau » (dont les cartes illustrées) qui offre un repère tangible aux joueurs, les cliffhanger finaux de chaque scénario, le formatage rigoureux des scénarios avec les pictos qui vont bien… J’en profite pour remercier au passage à Joseph, notre chef de projet, qui est vraiment le 3e mousquetaire de la bande et dont la contribution pour tous ces aspects est capitale, au même titre que celle de nos fantastiques illustrateurs, Pascal Quidault sur Fondation, et Vincent Dutrait, sur Sanctuaire. (C’était le moment bisous).

K : j’aime bien le moment bisous 😊 Et je rejoins complètement Yohan ici, il y a vraiment une alchimie entre tous ces éléments qui donnent son identité à Critical. Mais je pense également que nous avons réussi à créer un socle très solide qui permet de s’emparer du jeu de d’imaginer toutes les déclinaisons possibles. A voir ce que l’avenir en dira.

6. Pour en revenir au découpage en 30 mn, cela implique forcément un jeu très directif, non ? Parce que de mon expérience, dès que les joueurs doivent faire un plan, c’est 2h de séance minimum…

Y : Oui, c’est très directif… en début de saison surtout. Plus on avance, plus le MJ peut commencer à prendre ses aises. En saison 2 de Fondation et Sanctuaire, on va enlever les roulettes sur le vélo et le MJ sera plus libre de ses mouvements. Pour autant, Critical, c’est le règne de l’ellipse et de la concision. Comme dans un film, on ne montre et on ne joue que ce qui sert directement l’intrigue. On élague volontairement les temps flottements. C’est un choix radical qui ne plaît pas à tout le monde, mais c’est assumé. C’est à ce prix que l’on peut garantir une expérience de jeu ramassée et une montée en puissance des enjeux qui prendrait des années de jeux dans un JdR classique.

K : un choix assumé associé à l’idée de l’initiation comme de la construction cinématographique du récit, comme le dit Yohan. Ce modèle se ressent dans de nombreux éléments du jeu. Et aussi pour offrir au MJ un moyen de gérer la contrainte « temps de jeu » et, pourquoi pas, d’enchainer les scénarios. Mais rien n’empêche un groupe de s’en affranchir. Le scénario concis peut servir de canevas. Pour moi, cela ressemble beaucoup à mes notes et résumés quand je prépare une partie. Autour de ça, il est facile de broder, extrapoler et improviser côté écran, et d’ajouter du roleplay, des digressions, de la narration côté joueurs. En salon, j’essaie de m’en tenir au créneau 30 mn, mais avec des amis, on peut atteindre facilement 1h30 par scénario.

7. Et, au fait, tant qu’on y est : pourquoi ne pas proposer une version de Critical sans MJ, hein ?

Y : On va laisser ce soin aux joueurs, on a assez de boulot comme ça. On a déjà vu des tables s’approprier le jeu pour en faire un objet de narration tournante : personne ne lit l’intégralité de la campagne à l’avance. Du coup, à chaque scénario, une personne différente endosse le rôle de MJ. On trouve ça excellent comme appropriation !

K : Je reviens à cette idée de socle assez solide pour permettre de décliner les approches. Pourquoi pas ? Ce n’est pas quelque chose que je saurai faire, je pense, mais si quelqu’un a une idée allant dans ce sens… Go on !

8. L’aventure Critical a commencé avec Fondation, un univers d’anticipation. (…) Ah, OK, en fait, vous ne saviez pas que Cthulhu, c’est libre de droits désormais ?

Y : Ah ben non, j’ai raté l’info… Monsieur Gigamiiiiiic, on peut faire un Critical Ktoulou, hein, dis ?

En vrai, trop de tentacules tuent le tentacule (cette phrase est cheloue). Personnellement, je ne vois rien à apporter de plus à cet univers. Donc autant aller sur autre chose, en l’occurrence, toute l’imagerie des films et séries d’action/enquête avec lesquels on a grandi (bah oui, avec deux auteurs cinquantenaires, faut pas s’étonner).

K : Si, je sais… Mais Yohan a raison, que proposer de nouveau ici ? Bon, j’ai bien une idée qui trotte depuis un moment, en utilisant les codes et les références du Mythe, mais dans un cadre… différent. Nous verrons bien… plus tard, ce n’est pas d’actualité et il y a encore beaucoup à faire.

9. Là, vous êtes revenus à la raison avec Sanctuaire, du medfan plutôt classique. C’est l’éditeur qui vous a mis la pression ?

Y : Dans la première version, il n’y avait ni elfes, ni nains. Mais il nous a mis un flingue sur la tempe, et on est devenus raisonnables… On a beaucoup discuté, et l’univers est finalement à un joli point d’équilibre entre des jalons « rassurants » (les races, les classes de persos, le loot, l’initiative…) et des aspects plus exotiques, comme la religion, l’ambiance de jungle, les peuples rencontrés, qu’on espère hauts en couleurs et un peu originaux.

K : Pour de l’initiation, et même pour des joueurs vétérans, cela reste un incontournable. Donc, pour nous aussi, avouons-le. Nous espérons juste avoir su proposer quelque chose d’un peu rafraichissant avec ses repères rassurants, mais aussi des éléments et des enjeux qui donnent envie de se plonger dans le monde de Neven.

10. De mon côté, j’attendais plutôt la saison 2 de Fondation. Elle va sortir un jour ou bien Gigamic, c’est un peu le Netflix du JdR ?

Y : Les deux saisons 2 vont sortir, pour chaque univers. Et cela constituera deux arcs narratifs complets. Donc pas de syndrome de la série annulée au milieu de l’intrigue. Fondation 2 est écrite et Sanctuaire 2 est en cours. Ensuite on verra si on y ajoute des spin-off, ou si on repart sur des univers nouveaux (les idées et les envies ne manquent pas). Probablement du Cthulhu et des licornes qui poursuivent des nazis avec des sabres laser.

K : Voilà, tout avance, et les saisons 2 apporteront une conclusion à chaque récit, constituant une campagne complète. Nous travaillons aussi sur des scénarios indépendants dans chaque univers, accessibles gratuitement sur le site de Gigamic. Et d’autres idées en cours. En espérant que les joueurs et MJ vont s’emparer des deux univers pour proposer leurs propres créations. Comme tout JdR, Critical appartient à ceux qui le jouent. Et personnellement, je trouve que l’idée de Yohan manque de dinosaures et de ninjas.

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https://www.gigamic-adds.com/game/critical

 

Une pensée sur “Sous le feu des Critical

  • 9 juin 2023 à 17:58
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    Yes ! De bonnes nouvelles pour Critical.
    Je suis en train de jouer la saison 1 de Sanctuaire et c’est un vrai bonhneur. Je trouve l’univers très inspirant et très bien nourrit, en très peu de mots. C’est remarquable.
    Par contre l’initiative, le loot, les nains, les elfes (même s’ils sont un peu chelous) c’est ce que j’aime le moins. Et non ce ne sont pas des incontournables du Medfan, c’est épuisant ces poncifs… tout comme on peut faire de l’horreur sans tentacules et sans jauge de mentale.

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