Lucky Luke, de Morris, Goscinny et quelques autres [Inspi BD]

Le plus célèbre des cowboys solitaires

Rarement cowboy au nom mal prononcé (Lüqui Luc, au lieu de Leuqui Louque) aura atteint une telle célébrité, et gardé toute sa fraicheur, à près de 75 ans. J’ai pourtant tendance à penser que délaisser la cigarette roulée au profit du brin d’herbe mâchonné n’est pas le secret de sa longévité. Créé en 1946 par Morris, Lucky Luke, le « poor and lonesome cowboy », a vécu environ cent vingt histoires, regroupées dans plus de quatre-vingts albums et hors-série. Sa vie éditoriale continue, sous le crayon d’Achdé, qui a repris, en 2003, le personnage resté orphelin à la mort de Morris en 2001. Après Gosciny, scénariste de 1955 à 1977, divers auteurs ont prêté leur plume à la série, comme Laurent Gerra, Daniel Pennac et Tonino Benacquista. En neuf ou en occasion, en édition originale ou en réédition, l’univers foisonnant de Lucky Luke vous tend les bras.

Ceux-ci parmi tant d’autres

Difficile de retenir, pour ce billet d’inspirations, quelques albums parmi la centaine parue. Le choix est forcément subjectif et restrictif.

Le pied-tendre (1970, 33ème album), de Morris et Goscinny. Un drôle d’énergumène, bien éloigné de ceux que l’on croise dans l’Ouest sauvage, débarque de sa lointaine Angleterre, flanqué de son domestique, pour recevoir l’héritage d’un vieux cowboy, ami de Lucky Luke. Bien évidemment, les terres du vieux cowboy décédé ont aiguisé l’appétit d’un propriétaire terrien, prêt à tout pour s’en emparer. Le pied-tendre sera confronté à mille et une avanies – xénophobie, corruption, justice expéditive – avant de pouvoir faire valoir ses droits.

Des barbelés sur la prairie (1967, 29ème album), de Morris et Goscinny. Cet album met en scène une des grands thèmes de la conquête de l’Ouest, la lutte entre les éleveurs et les cultivateurs, pour le contrôle du foncier. Le dessin exaspère la rivalité entre les deux groupes, peignant l’éleveur comme gros et gras et le cultivateur comme sec et fin. La barbaque d’un côté, les légumes de l’autre. La vaine pâture d’un côté, la propriété cadastrée de l’autre. La tenaille contre les barbelés.

La diligence (1968, 32ème album), de Morris et Goscinny. J’ai presque envie de laisser la parole au cocher, qui expose bien les ingrédients de son voyage : « Une belle promenade, Lucky ! Denver, Fort Bridger, Salt Lake City, Sacramento, San Francisco ! Des montagnes infranchissables, des déserts infernaux, des routes effroyables, des Indiens sanguinaires et tous les despérados du pays à nos trousses ! ». J’y ajoute la formidable composition du groupe des passagers, propice à bien des interactions : le joueur professionnel, la pimbêche, le chercheur d’or, le bureaucrate, le prédicateur, etc.

En remontant le Mississipi (1961, 16ème album), de Morris. Cet album amène Lucky Luke loin à l’Est de ses décors habituels. Dans cette course de vitesse entre deux bateaux à vapeur sur le grand fleuve, de la Nouvelle-Orléans à Minneapolis, aux dangers du fleuve s’ajoutent ceux des passagers et des riverains, joueurs de cartes ou de gâchette, et autres manieurs de bombes. L’album aborde le thème de l’esclavage, facteur essentiel à la prospérité de la production de coton, et le lecteur d’aujourd’hui grincera peut-être des dents face à la manière donc ces esclaves sont dépeints.

Un western à plusieurs degrés

L’univers de Lucky Luke, c’est principalement l’Ouest américain, depuis le début de la guerre de Sécession, et les aventures de Lucky Luke peignent ce monde-là sous un angle humoristique, parodique, s’inspirant à la fois de la réalité historique et des mythes de l’Ouest. Au fil des albums, les dessinateurs et scénaristes de Lucky Luke ont invité dans les pages de la série des faits marquants (la construction du chemin de fer, les luttes entre propriétaires terriens et éleveurs nomades, la ruée vers l’or, les guerres indiennes, etc.) et des personnages historiques (des frères Dalton à Wyatt Earp, en passant par le président Lincoln et l’actrice Sarah Bernhardt). Sans oublier des célébrités d’autres époques, qui y figurent en personnages de premier ou second plan ; amusez-vous à repérer Jack Palance, Alfred Hitchcok, ou même notre Serge Gainsbourg national.

La série joue aussi sur les clichés, avec les bandits bas de plafond, le croque-mort accompagné de ses vautours, les vendeurs ambulants de remèdes-miracles, le saloon épicentre de la ville, ou la cavalerie en retard à la bataille. Même si certains disparaîtront peu à peu, notamment ceux jugés trop caricaturaux envers des groupes ethniques (le blanchisseur chinois, le Mexicain toujours à faire la sieste, etc.).

L’humour de la série peut être prisé des petits comme des grands. Les plus jeunes se réjouiront de sa légèreté au premier degré, les autres sauront déceler les piques du second degré.

Une vraie mine d’or ?

Je n’irai pas prétendre connaître l’intégralité de la gamme Lucky Luke. Par exemple, j’ai lu très peu des albums post-Morris (ce qui ne me rajeunit pas !). Cependant, j’y vois une belle mine d’inspirations, tant pour des situations que pour des personnages, ou même pour la façon de s’emparer de personnages réels et de les introduire dans une aventure. Les dessinateurs et auteurs de Lucky Luke ne craignent pas d’y inviter un président des États-Unis (Lincoln), une vedette du théâtre (Sarah Bernhardt), un tueur adolescent (Billy the Kid), un juge autoproclamé (Roy Bean). Et de donner à des personnages premiers ou secondaires le visage de vedettes du cinéma, de scientifiques de génie, ou même de leurs collègues dessinateurs (Franquin apparaît en shérif ivrogne dans le premier album, La mine d’or de Dick Digger, et en bandit dans Arizona).

Et si l’ambiance du JdR choisi pour l’adaptation n’est pas à l’humour, rien n’empêche d’atténuer, voire retirer, cette dimension des histoires originelles : derrière l’aspect comique des aventures de Lucky Luke, il y a des ressorts pour des aventures « sérieuses ».

Dans l’Ouest, dans l’Est, ou plus loin encore

Les aventures de Lucky Luke peuvent inspirer les joueurs de JdR directement « western ». Mais d’autres univers y seront tout aussi propices, s’ils en présentent des éléments-clés similaires : des territoires « sauvages », où la civilisation n’est pas totalement installée, où certains s’arrogent le droit de rendre la justice (de manière expéditive, le plus souvent), des conflits de territoires entre « colons » et « indigènes », et entre colons eux-mêmes, des prédicateurs, des charlatans, des avant-postes militaires, des moyens de transport parfois balbutiants, des brigands attaquant ces mêmes moyens de transport, etc.

Des confins agités d’un empire terrestre colonial (romano-antique ou victorien, par exemple) aux frontières toujours repoussées d’une fédération galactique, il y a sûrement l’embarras du choix.