Et maintenant, Mutant : Year Zero roule des mécaniques ! [chronique Mechatron]

Si vous suivez un minimum l’actualité, Mutant : Year Zero, le jeu post-apo de chez Free League, a une gamme foisonnante que l’on découvre enfin dans son intégralité en VF grâce aux efforts soutenus de Arkhane Asylum. Ainsi, le foulancement en cours permet de clore cette gamme VF avec pas moins de trois gros ouvrages supplémentaires.

Dépassé par le rythme de publication de AAP (je n’aurais pas pensé écrire ça quand j’attendais des news de Maléfices, comme quoi…), il est temps pour nous de vous proposer notre chronique du supplément précédent, Mechatron. Cela sera d’autant plus pertinent que la gamme M:YZ s’articule de façon très carré-carré sur des ouvrages très similaires, ensuite déclinés en fonction d’un thème central. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’en connaître un, c’est les connaître tous mais cela aide quand même bien de représenter ce pour quoi on est susceptible de pledger.

En effet, Mechatron est, après Gen Lab Alpha et avant, donc, Elysium, un livre hybride, une sorte de supplément-stand alone-spin off-campagne-burst. Voilà, je crois que j’ai placé tous les termes. A vous de les mettre dans le bon ordre.

De façon plus explicite, M:YZ met en scène un monde post-apocalyptique dans lequel des humains devenus mutants découvrent qu’ils peuvent survivre à la surface de la Terre ravagée et même en explorer les parties restées secrètes, des enclaves. Or, dans certaines de ces enclaves, des sociétés closes sont restées enfermées sur elles-mêmes pendant les années d’Apocalypse mais sont désormais, elles aussi, prêtes à sortir à la surface ou, à défaut, à être découvertes par nos mutants. Gen Lab Alpha présente un camp rempli d’animaux génétiquement modifiés et devenus intelligents et anthropomorphes. Elysium nous amènera bientôt visiter une société dystopique d’humains légèrement cybernétisés. Mechatron, notre sujet du jour, est une base entièrement robotisée.

La particularité de ce projet éditorial est de ne pas se contenter de décliner ces enclaves sous la forme de suppléments de contexte remplis de PNJ, monstres, trésors, plans des lieux, etc. mais d’en faire le cadre à chaque fois d’une campagne de type burst (quand elle est terminée, l’univers a un peu cramé sur les bords et est changé à jamais) qui sert de révélateur de ce qu’il y a dans l’enclave et des secrets qui y sont enfouis.

Mais, encore plus original, ces campagnes sont faites pour être jouées non pas par les mutants qui découvriraient ces enclaves par inadvertance mais bel et bien par des habitants de l’enclave elle-même. De l’intérieur en quelque sorte. Cela implique donc de créer et de jouer des animaux anthropomorphes, des détectives cybernétisés ou, donc, des robots. Et pour cela, il faut des règles spéciales, du matériel adapté, des conseils spécifiques… bref : il faut un jeu à part entière. En définitive, chaque supplément est un jeu qui tient debout tout seul, reprenant toutes les règles de base. Sa nature de burst permet de se passer des explications générales sur l’univers de jeu et/ou sur les enclaves des suppléments que vous n’auriez pas (encore).

Pour remplir cette délicate mission, Mechatron se présente sous la forme d’un gros livre à couverture rigide qui prend très exactement la forme du livre de base de la gamme. Il pèse 240 pages très illustrées et tout couleurs pour un prix contenu si on considère l’importance du matériel à jouer et sa double nature de jeu stand alone.

Son organisation interne est très exactement celle de Gen Lab Alpha.

On débute donc, après une courte introduction, par un copieux chapitre de création des nouveaux PJ : tous des robots ! Elle ne diffère guère des habitudes des autres volumes de la gamme : on choisit un profil principal genre playbook très simplifié. On fait quelques choix au sein de celui-ci, y compris à propos de motivations ou des relations avec des autres PJ ou PNJ. Ensuite, on étoffe en y ajoutant des briques supplémentaires (compétences, talents divers, etc.).

Comme souvent avec Free League, on n’hésite pas à assumer jusqu’au bout le côté jeu du jeu de rôle. Ainsi, pour une fois, le manuel encourage ouvertement les joueurs à s’adonner aux joies du mini-maxage en cherchant les meilleures combinaisons de modules et autres extensions à kitter sur le châssis de leur robot. Les auteurs estiment que c’est en effet comme ça qu’une intelligence artificielle agirait. Ainsi, contrairement aux compétences des humains ou des animaux anthropomorphes, les PJ peuvent dans Mechatron rebâtir presque complètement leur personnage entre deux séances en customisant l’assemblage entre les différentes pièces le composant. Amusant !

A ce titre, il convient de signaler que, pour une fois, le deck de cartes accompagnant Mechatron semble particulièrement utile. Il sera plus aisé de se représenter l’ensemble des options possibles et la manière de les associer avec des cartes qu’en consultant les nombreuses pages du livre dédiées à leur description. Pour le moment, la VF de ces cartes n’existe pas mais elle fait partie des objectifs du foulancement actuel (celui autour de Elysium, donc).

Rappelons que le reste des règles du jeu se retrouvent là, parfois légèrement démarquées de la version de base dédiée aux humains mutants : c’est bel et bien un jeu complet qui nous est proposé. Rien ne manque pour jouer avec ce seul livre : règles de combat, d’expérience, adversaires, équipement, etc. A noter qu’à la fin de la campagne, il est nécessaire d’utiliser les règles d’exploration (type hexacrawling) de M:YZ, le livre de base. Cela dit, pour rester droits sur leur ligne, les auteurs en fournissent une version simplifiée et bien adaptée au contexte précis du scénario : largement suffisant.

La proposition de jouer des robots s’accompagne évidemment d’un copieux chapitre de conseils dédiés. Tous ceux-ci sont les bienvenus mais, il faut bien l’avouer, ne résoudront pas à grands coups de déclarations générales les multiples problèmes qui risquent de jaillir lors de la mise en œuvre du jeu. Ceux-ci risquent notamment de se concentrer sur la notion de libre-arbitre : les PJ sont à la fois supposés être des rouages d’un système robotisé (et la campagne – on y revient – est sur ce point très directive) et être des robots devenus conscients de leurs actes et de leur capacité à prendre des décisions. Où mettre le curseur ? Ce ne sera pas évident à déterminer.

Même remarque pour l’humour. Free League aime bien rigoler et les robots ont des formes un peu ridicules, des noms comiques et se prennent volontiers les rouages dans le tapis. Les conseils incitent ainsi à cet humour autour de la table tout en rappelant toutefois que Mechatron n’est pas un jeu humoristique : on est là dans un univers dur, post-apocalyptique et dans lequel les PJ s’éveillent au plus grand des mystères : celui de l’émergence de la conscience. Hum, pas sûr que toute cette belle profondeur fasse bon ménage avec la présence dans l’équipe de Bebert-QSEX69 le robot de plaisir et de MR-Denis-2000 le robot d’entretien…

A propos d’humour, sans prétendre à être un jeu parodique, Mechatron est tout entier un évident hommage à Paranoïa : le collectif robotisé est confiné sous terre depuis les « événements », attend avec angoisse des nouvelles de l’extérieur, est dirigé par une intelligence artificielle (autant dire un ordinateur) qui n’est pas toujours votre amie, dispose d’une hiérarchie stricte (représentée par un score, même pour les PJ), se dégrade à vue d’œil, élimine ses propres brebis galeuses en les envoyant se faire recycler, etc. Je ne crois pas que ce soit la peine de continuer, si ?

Le livre, décidément bien rempli, n’oublie pas, par conséquent, de présenter par le menu et avec le plan couleurs qui va bien cette enclave robotisée dans laquelle les PJ sont confinés depuis des lustres. Le guide nous offre aussi de nombreux modèles de robots PNJ façon bestiaire, de l’équipement, des précisions sur les interactions entre robots et êtres vivants « du dehors », etc. Tout ceci pourrait faire croire que le livre fait un solide supplément à utiliser en prolongement du livre de base de M:YZ mais, honnêtement, comme pour Gen Lab Alpha, ce n’est pas le cas. Si vous n’avez pas l’intention de jouer la campagne ni, par conséquent, de créer des PJ robotiques, vous perdez au bas mot les trois quarts du texte de ce supplément et cela rend le rapport quantité/prix du supplément désastreux. A éviter.

C’est là le point faible inhérent à tout choix fort en matière éditorial : si le jeu propose une façon de faire qui rompt avec des habitudes que, légitimement, vous aimeriez conserver, vous ne pouvez adhérer au modèle proposé. Ainsi, si vous souhaitez explorer classiquement l’univers de M:YZ en menant une campagne unique avec vos humains mutants du tout début, vous vous retrouvez à devoir vous passer de ces suppléments ou bien à devoir les payer hors de prix par rapport aux minces services qu’ils vous rendront.

Il en va tout autrement si vous vous intéressez prioritairement à ce qui représente un bon 40 % du signage total du volume : la campagne.

Celle-ci s’articule de façon assez similaire à celle de Gen Lab Alpha : on y incarne un groupe de robots (cette fois-ci, forcément) d’exception qui vont se retrouver au cœur de la plus grande révélation possible dans le monde de M:YZ : y a de la vie là-haut ! Elle mélange deux types de moments : des missions de routine qui font le quotidien des robots, élevés ici au rang d’enquêteurs sur les problèmes du collectif, et des événements – à intercaler – qui amènent petit à petit à la révélation finale. Comme dans GLA, les routines entretiennent une sorte de petit méta-jeu, ici représentant la dégradation inéluctable du collectif robotique. En réussissant leurs missions, les PJ peuvent la freiner et ainsi continuer à recevoir ces services collectifs (de l’énergie, notamment). Compte tenu du fait qu’il n’y a que quatre missions de ce type dans la campagne, cela reste un peu anecdotique tout de même. Si la tablée est intéressée par le méta-jeu, il sera préférable d’ajouter des missions mais alors il faudra les écrire soi-même et rallonger significativement la durée de la campagne.

Dans l’ensemble, la campagne me convainc moins que celle de GLA. Elle est assez contraignante pour les PJ. D’une part, selon le principe du burst, elle ne peut que conduire à la révélation finale qui change la face du monde et donc elle se doit pour cela d’être un minimum directive. Ainsi, ici, le principe d’intercaler des événements entre les missions est assez artificiel : le choix du MJ est restreint et ressemblera plutôt à faire jouer les quatre missions d’un côté puis enchaîner les événements de l’autre.

Mais là, l’impression de dirigisme est accru par la nature même du collectif. Les robots sont soumis aux ordres de l’intelligence artificielle qui le dirige, aux directives des autres robots de meilleur accréditation… euh… plus haut placés, aux règles parfois absurdes de la vie dans l’enclave, etc. A cela s’ajoute le fait que, lors des missions, ils sont des enquêteurs au service du système : ils reçoivent donc des directives très précises d’un supérieur hiérarchique et doivent obligatoirement s’y conformer. Au final, le souffle de liberté des rebelles de Gen Lab Alpha ou le vertige de l’inconnu des mutants sortant de l’arche nous manque un peu.

Cela dit, Free League connaît décidément son affaire et cela reste de la fort belle ouvrage. La campagne est présentée de façon carré-carré (à chaque épisode selon le format lieux/PNJ/événements). Elle dispose d’un grand luxe de détails avec des plans de partout, des fiches de PNJ toutes superbement illustrées, des rappels de règles de M:YZ si nécessaire, un petit système de combat de masse pour le climax de la campagne… rien n’est oublié et on maîtrise ainsi dans le plus grand confort.

Comme souvent dans les campagnes un peu trop directives, c’est que le meilleur moment se trouve à la fin et que les auteurs veulent à tout prix que vos PJ y arrivent. En effet, outre la révélation attendue (qui n’en sera pas vraiment une si vous connaissez déjà l’univers de Mutant), la fin de la campagne redonne une large liberté aux joueurs qui pourront choisir librement le destin et les allégeances futures de leur PJ. Le dernier chapitre propose aussi, mieux que dans GLA, un vrai prolongement de la campagne une fois que les robots sont sortis de leur enclave.

Au bilan, si, encore une fois, vous avez bien cerné la proposition de ce livre et que vous y adhérez (en gros : vous voulez avant tout une campagne clef en mains et pour cela changer de PJ ne vous dérange pas), vous êtes sûr d’en avoir pour votre argent avec ce jeu/supplément bourré ras-la-gueule d’informations et de matériel jouable. Si, en plus, vous êtes parti sur toute la gamme, de façon méthodique, à cela s’ajoute la satisfaction de voir grandir et mûrir tout un univers de jeu qui prend de la consistance et donne furieusement envie d’en savoir plus sur les deux ou trois suppléments restants.