Deadlands : après la recharge, la décharge ? [chronique Deadlands Savage Worlds]

Il y a quelques mois de cela, Black Book Editions nous a offert une nouvelle édition d’un de ses jeux fétiches, le jeu de fantasy western, Deadlands. Ce jeu a déjà une longue histoire en VF puisque la première tentative de convertir les Frenchies au Stetson et au Colt date des années Multisim, plus précisément en 1997. Oui, je sais : Multisim et Deadlands, ça fait bizarre. A l’époque, la gamme a connu une vie honorable mais sans vraiment s’imposer non plus comme un classique dans le milieu rôliste francophone.

Le retour de Deadlands en VF a déjà été signé BBE quand, en 2012, l’éditeur lyonnais se lançait dans l’adaptation de la version Reloaded du jeu du Weird West, cette fois-ci avec les règles de Savage Worlds… elles-mêmes dérivées de celles de la première version du jeu. A l’époque, BBE a besoin d’intégrer (contrairement à la VO) les règles  de SW au livre de base de Reloaded.

Enfin, donc, Black Book boucle la boucle en proposant, après le livre de base de la dernière édition de Savage Worlds, la déclinaison de l’univers Weird West sous forme de simple setting pour celles-ci. Le début de gamme financé est plutôt conséquent puisqu’on compte déjà sur nos étagères un livre de référence (« livre de base » du setting, en quelque sorte), un compagnon (qui ressemble quand même beaucoup à un morceau du livre de base tombé du camion…) et, surtout, une campagne originale, Horreur à Headstone Hill. On va essayer de vous présenter tout ça comme un tout dans la présente chronique.

De plus en plus, chez le Fix, nous souhaitons personnaliser nos chroniques. Conscients de l’impossibilité de donner un avis totalement objectif sur un ou des livres de JdR, nous aimons vous révéler notre part de subjectivité afin que vous puissiez voir s’il est susceptible de rencontrer la vôtre. Genre, si je vous dis que Dany40 est fan de L’Oeil Noir, cela ne vous surprend pas, pas vrai ?

De mon côté, je suis un des acheteurs du premier livre de base de Deadlands, VF, époque Multisim donc. A l’époque, j’étais très enthousiaste pour ce mélange de western, alors quasi-inconnu en matière de JdR, et de système crunchy avec toute sa panoplie de dés, cartes, jetons de poker, etc. Bon, j’ai été un peu refroidi par ce livre de base-là et je n’en ai finalement rien fait mais ça, c’est une autre histoire…

Aujourd’hui, le constat reste le même : il n’y a guère de jeu western ayant occupé le terrain (alors que, franchement, des types sans foi ni loi qui se promènent à 4 ou 5 avec des gros guns sur eux à la recherche de l’aventure, ce sont des rôlistes, non ?) et le système de jeu, devenu la base de Savage Worlds, conserve toute ma sympathie au point que je me sois porté acquéreur de la dernière version du livre de base publié par BBE. A priori, cette version SW de Deadlands est donc pour moi. On va vérifier si c’est le cas dans cette chronique.

Le socle de cette nouvelle gamme Deadlands est un ouvrage d’assez petit format et d’à peine plus de 200 pages intitulé L’Ouest sauvage. C’est donc ce qui tient lieu de livre de base… à condition, on est bien d’accord, de posséder déjà le livre de base de Savage Worlds nécessaire pour jouer ou même simplement créer les PJ. Autant le dire tout de suite : si vous ne voulez jouer qu’à Deadlands, ce dispositif éditorial ne vous sera d’aucun intérêt. Certes, le livre de base s’en trouve allégé et est d’ailleurs vendu à un prix très compétitif (à peine plus de 30 euros) mais la navigation entre les deux livres de règles n’a rien d’évidente puisque le livre de SW, lui, se veut générique et comportera tout aussi bien des infos sur les elfes, les vaisseaux spatiaux ou les pouvoirs psioniques. Le choix fait jadis par BBE de publier le livre de Deadlands AVEC les règles nécessaires tirées de SW faisait vraiment sens et on peut le regretter. Même si chaque livre est donc plutôt bon marché, devoir avoir les deux vous fait un pack de départ à prix assez élevé et avec une ergonomie douteuse.

La volonté d’utiliser un système générique n’est pas non plus toujours évidente en cela qu’elle vous oblige, vous, à faire le tri dans les très nombreuses options proposées par SW pour y trouver, au petit bonheur la chance, celles qui sont adaptées à Deadlands. Un aveu de cette difficulté supplémentaire se trouve notamment dans cet encadré qui justifie l’absence des archétypes, présents dans la 1ère édition du jeu, et vous suggérant d’aller rechercher dans SW les différents atouts de PJ qui pourraient aider à les reconstituer après coup. Pas hyper intuitif quand même.

 

Pour le reste, le livre de base est remarquablement dense et contient à peu près tout ce que l’on peut attendre d’une présentation de l’univers de Deadlands : atouts spécifiques à l’univers weird west, matériel divers y compris des machines infernales dans l’esprit steampunk, des règles spécifiques pour les déplacements dans l’Ouest, les duels au six-coups, la justice expéditive de la Frontière, les pouvoirs « magiques » des Déterrés, des Hucksters et des autres, les niveaux de peur et la folie, etc. L’univers de jeu, en lui-même, s’il transparaît déjà très largement dans tout ce qui précède, est concentré dans pile 40 pages. Cela peut semble court mais c’est très dense et apparaît assez complet. Suffisamment en tout cas pour se lancer dans une campagne du commerce. Peut-être pas pour écrire ses propres aventures.

Une place conséquente est consacrée en fin d’ouvrage à un bestiaire d’une bonne cinquantaine de pages. Oui, un bon quart du livre. Cela semble un peu excessif et risque de donner une image trouble du jeu à ceux qui le découvrent à l’occasion. A noter que toutes ces « rencontres » sont aussi accompagner des tables aléatoires qui vont bien. On aime. Ou pas.

Tout, tout… sauf quand même un scénario pour se lancer. Constat très fréquemment fait pour les livres de base US mais qui continue de froisser nos petites habitudes francophones. Il y a bien un générateur d’aventures en quelques tables aléatoires mais cela n’ira pas très loin quand même. On sent en tout cas que le livre a été conçu en bundle pour venir avec les autres ouvrages de ce début de gamme, notamment la campagne. Au pire, pas de problème, il reste le remarquable site savage.Torgan.net qui, entièrement dédié à SW, contient son lot de scénarios Deadlands gratuits à récupérer, ici : https://savage.torgan.net/tag/deadlands/

Au final, on sent bien le jeu « avec de la bouteille » et cette édition fait en quelque sorte la synthèse de nombreuses évolutions du jeu au fil de ses campagnes et de ses suppléments. Cela lui donne un côté assez high fantasy et il est rare qu’une page ne soit pas, au moins partiellement, consacrée et/ou illustrée par une machine infernale, un monstre griffu ou un cow-boy zombie. Là, ce sera vraiment selon vos goûts : soit vous trouverez que cela permet de se concentrer vraiment sur les spécificités du jeu, soit vous trouverez ça un peu too much et de plus en plus éloigné de la proposition de base (un jeu de cow-boys avec une pointe d’horreur).

Une tradition respectée depuis le début est le ton, mi-gouailleur, mi-menaçant, du narrateur choisi pour distiller l’ambiance tout au long des pages de tout livre Deadlands qui se respecte. Original à ces débuts, ce dispositif a été depuis largement copié et, à l’usage, s’avère tout de même bien lourdaud. Là, je l’avoue, je me suis parfois demandé ce que j’étais en train de lire tant les introductions de tête de chapitre deviennent nébuleuses. N’oublions quand même pas qu’un livre de jeu de rôle, a fortiori un livre de base, est un manuel d’instructions avant tout. Un peu de clarté et de concision ne feraient pas de mal.

Le livre de base est prolongé par un « compagnon » au nom peu inspiré : Compagnon de l’Ouest étrange. Tel que. C’est un livre du même format, avec une couverture tout aussi rigide mais qui ne pèse, lui, que 112 pages. Conformément au genre « compagnon », on y trouve un peu de tout pour étendre la proposition de jeu, comme par exemple, ici, un chapitre sur les reliques, sur les étranges terres de chasse indiennes ou encore un panorama des racailles les plus célèbres avec leurs fiches et tout.

On est beaucoup plus surpris d’y trouver, en revanche, un chapitre de conseils au MJ s’intitulant Mener une partie de Deadlands ou encore la chronologie de l’univers du jeu (en tout cas, de cette édition du jeu). Ce sont des morceaux incontournables pour un livre de base digne de ce nom et, clairement, ils auraient dû en faire partie. Le sentiment d’incongruité est renforcé par l’absence de toute introduction, parfois même d’introduction de chapitre (comme pour la suite de No Man’s Land dont le début se trouve dans le livre de base…) qui laisse une impression étrange d’élagage à la hache du livre de base pour remplir ce livre-là. Ce n’est pas très sérieux.

Surtout, même si, au final, on a un set de base très complet, tout ceci va finir par nous coûter un peu cher. Récapitulons : un livre de setting, son indispensable compagnon, sans oublier le livre de base SW (même si on n’en utilise qu’une petite partie)… cela nous met dans les presque 100 euros pour avoir le set de base avec, en outre, le déplaisir de devoir naviguer entre trois livre là où un (ou deux comme dans les éditions précédentes) aurait suffi.

La présence d’un scénario à la fin du compagnon ne suffit pas non plus à nous contenter. Outre ce scénario est bien court, il n’est pas même… inédit puisque c’est l’adaptation à la nouvelle timeline d’un scénario de la toute première édition du jeu. Bof.

Pour avoir du vrai bon gros scénario original, il faut ajouter à votre set de base l’achat de l’écran du MJ et de son livret, Duel à Sundown. Ce dernier est un scénario complet et inédit de 32 pages. Mieux. L’écran lui-même, un trois volets au format paysage, est très réussi visuellement et comporte quelques tables qui éviteront de triturer tout le temps son exemplaire des règles de SW. Un achat quasi indispensable donc. Mais cela ajoute encore 25 euros….

Au final, le bon gros morceau crousti-fondant de ce début de gamme Deadlands SW, c’est la campagne inédite, Horreur à Headstone Hill (HHH). Au début, quand on aborde ce bouquin petit format à la pagination assez modeste (136 pages), on se dit : « pfff, ça, une campagne ?! » et on s’apprête à évoquer des souvenirs d’anciens combattants des Masques de Nyarlathotep… mais en fait, c’est une erreur. C’est une chouette campagne et, surtout, elle est bourrée ras-la-gueule de matériel à jouer. Cette densité pouvant d’ailleurs, à l’inverse, constituer un frein pour ceux qui espéraient une campagne tchou-tchou facile à faire jouer en commençant à la préparer vendredi sur le coup de  18 h 30…

Non, HHH est une campagne exigeante, qui joue sur les différents registres qu’apprécient les joueurs de JdR : exploration, bac-à-sable, intrigues urbaines, scènes fortes scriptées ou encore méta-intrigue dessinant petit à petit une horreur sous-jacente.

Pour réussir à nous présenter tout ça en si peu de pages, HHH ne perd pas de temps et se lance tout de suite dans l’utile avec la description du cadre de jeu façon poupées russes. Par un emboîtement d’échelle classique, on nous présente brièvement l’état (le Wyoming), le comté (avec ses différentes bourgades) puis, surtout, très en détails, la ville où se déroule l »‘essentiel de l’intrigue. Celle-ci occupe quand même 30 pages avec un plan, des tables de rumeurs et de rencontres. Il y a clairement de quoi faire jouer en bac-à-sable si le côté western sans trop-trop (pour le moment…) de fantastique vous intéresse. Sans en dire plus, les PJ seront missionnés pour résoudre le mystère d’une disparition sur place et pourront donc débuter par une enquête assez libre dans la ville et ses environs immédiats.

La partie suivante est le script de la campagne elle-même. Elle est présentée dans un découpage assez savant avec des actes et, dedans, des épisodes. Si tout ce barnum à base de lettres et de chiffres romains peut faire peur de prime abord, c’est finalement assez simple d’usage grâce au fait que les épisodes sont en fait très courts (genre une rencontre ou l’exploration d’un lieu) et, surtout, introduits par un déclencheur très précis genre « au moment où les PJ font ci ou ça » qui permet de dispatcher aisément le fil conducteur avec le reste du potentiel ludique du setting. A noter que certains de ces déclencheurs sont liés à des indices matériels à distribuer.

Le livre de campagne trouve encore la place de livrer des scénarios hors fil conducteur pour étoffer l’intrigue, noyer un peu le (gros) poisson ou donner une plus grande sensation de liberté aux PJ. C’est dense et vraiment bien conçu : très clairement l’élément de cette gamme qui donne vraiment envie de replonger dans Deadlands.

Ouf, on est rassurés. Non, pas direction la décharge pour ce nouveau Deadlands ! Les livres de règles et d’exposé du contexte ne sont pas particulièrement attractifs et rendent le set de base bien chéros mais la campagne disponible emporte le morceau et fait accepter l’investissement pour pouvoir se relancer dans l’ambiance six-coups et zombies. De plus, il devrait y avoir prochainement au moins une autre campagne dans cette gamme et on attend avec impatience de voir si elle sera aussi qualitative que celle-ci.

5 pensées sur “Deadlands : après la recharge, la décharge ? [chronique Deadlands Savage Worlds]

  • 27 octobre 2023 à 10:26
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    Cela dit, des elfes, des vaisseaux spatiaux et des psioniques dans du western, ça me fait vraiment envie !!! 😃

  • 2 novembre 2023 à 06:04
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    En résumé, c’est un livre de base, mais sans base…

  • 2 novembre 2023 à 16:53
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    Merci pour cette présentation de Deadlands SW, j’ai joué et maitrisé les autres version depuis la Multisim (hormis la D20) j’avais un peu lâché l’affaire après une longue campagne autour du Déluge.
    Ta description sans concession m’a motivé pour acheter la totale et me remettre à la lecture.

    Je viens de commencer et je ne suis pas déçu, j’aime bien les règles séparée du livre d’univers, j’avais déjà East Texas université donc pas besoin de réinvestir. l’historique est dense écrit petit et lisible. ca me parait efficace. Je ne suis pas mécontent de cette nouvelle jeunesse.

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