Le mirifique destin de MIR

Il est des jeux comme cela qui semblent avoir une vie un peu parallèle à celle rythmée par les foulancements et les sorties des principaux éditeurs de la place. Autopubliés par de petites structures entièrement dédiées à leur œuvre, elles adoptent un rythme qui leur est propre, répondant souvent aux exigences d’un gros travail créatif à fournir en aval même de son financement. MIR est de ceux-là. Jeu présentant sinon une grande originalité par son propos (ça alors de la dark fantasy ?!) une très belle patte graphique, il enchaîne un deuxième foulancement (attention pour seulement une poignée de jours encore !) après celui consacré avec succès à son kit de découverte. Et, surprise, alors que l’on attendait le livre de base, c’est d’abord pour un recueil de scénarios qu’il faut repasser à la caisse. Cela méritait bien un peu d’explications de la part de l’équipe de MIR.

 

1. Pour ceux qui seraient passés à côté de votre précédente interview dans le Fix, vous pouvez nous pitcher sommairement le jeu. Un MIR express, quoi.

Hello le Fix  ! Comment ça, il y a des rôlistes qui ratent vos interviews  ?! Honte & Damnation sur leurs tables pour les huit générations à venir ! La malédiction d’ouverture passée, un petit résumé Mirobolant (c’était ça ou un jeu de mots à base de produit vaisselle…) :

MIR est un univers de Dark Fantasy dans lequel certaines personnes matérialisent malgré eux leurs traumatismes sous forme de lieu, créature ou personne d’apparence anodine. Ces cauchemars vivants, appelés “Échos”, remodèlent la réalité pour lui donner la forme de leur traumatisme originel.Vous incarnez un agent de la MIR, une organisation chargée de protéger la réalité des dépravations des Échos. Pour cela vous devez retrouver la personne à l’origine du traumatisme, appelée “Déclencheur”, la détruire ou l’aider à dépasser sa souffrance.Votre quête, appelée “Chasse”, peut prendre différentes formes, mais sera toujours ponctuée de dilemmes. Exploration d’un lieu cauchemardesque, traque d’une créature monstrueuse ou encore exorcisme : les traques d’Écho ne se ressemblent pas, mais sont toujours mortelles.Bonne Chasse agents…

2. Bon, donc, MIR, ça a l’air beau, ça a l’air assez original, bref, ça a l’air bien, mais on n’en parle pas tant que ça dans le petit paysage ludique francophone. Vous aimez bien rester dans votre coin, en fait ?

C’est une bonne question, si vous avez la réponse on est preneur ! À chaque convention on repart dévalisé et il y a toujours des éditeurs à murmurer entre eux « tu vois, c’est ça qu’il faut faire… ». On doit avoir une mauvaise odeur ou un jaloux nous a taillé un costard dans le dos pour ne pas qu’on soit connu. Peut-être les deux  !

Bon en vrai, blagounette à part, on a une bonne réputation quand même. Ça papote de nous sur les réseaux sociaux, on a des relais chez pas mal d’influenceurs et même des demandes d’éditeurs US. Après on est deux, je gère seul la communication, et pas toujours de manière optimale. Avec l’écriture du recueil et le dossier pour la banque, j’ai un peu mis ça de côté… Mais bon ça repart, on parle de nous sur différentes scènes (Métal, Jeu de rôle, Galerie…) et ce n’est pas près de s’arrêter !

À moins qu’on se rate, dans ce cas on lancera une version DD5 de MIR.

3. Pourquoi ne pas avoir proposé votre projet à un éditeur déjà connu, en fait ?

Mais le Fix, on t’en avait déjà parlé dans notre précédente interview ! Bon allez, on va mettre ça sur l’abus de pizza en partie.

Valentin et moi on a créé notre maison d’édition Little Dusha pour ne pas dépendre d’autre structure. On avait approché un éditeur, mais ça ne s’est pas fait et c’est pour le mieux. Personne, à raison, n’accepterait de financer les illustrateurs et les choix de direction artistique que l’on prend. Déjà pour le coût, deux à trois fois plus élevé qu’un jeu de rôle classique, et ensuite pour les propos et thèmes abordés, pas toujours très commerciaux. Un éditeur doit peser les « pour » et les « contre » avant d’engranger des frais et MIR est trop atypique (et nous pas assez connus) pour rentrer dans un planning. Maintenant on est devenu un vrai éditeur, avec de vrais comptables, de vrais projets avec de vrais auteurs (coucou Jérémy — Néo 80) et, off course, du retard.

4. Si j’ai bien suivi, on passe directement du kit de découverte au supplément sous forme de recueil de scénarios. Euh, vous avez oublié le livre de base, non ?

Le livre de base est en cours d’écriture et réalisation. C’est un gros bébé de plus de 400 pages, plein d’illustrations folles et d’un maquettage rempli de pantone. Bref ça prend du temps, beaucoup de temps.

D’abord pour lever de l’argent sans foulancement. Pour avoir le moins de retard possible, il faut commencer à écrire et produire les illustrations, musiciens, maquettage, etc., en avance. Donc il faut des fonds. Beaucoup de fonds. Donc il faut faire un joli dossier avec plein de chiffres et le présenter aux banques. Beaucoup de banque. Et obtenir des aides d’asso et d’état. Beaucoup d’aides. Pour enfin commencer à réunir tout ce beau petit monde malgré des plannings pas toujours équivalents. Et bien sûr, tout ça sans se payer (#métierdepassion).

Bon OK et le recueil de scénarios dans tout ça ? Et ben le recueil, il nous a pris un temps monstre. À moi en écriture, car je voulais proposer une expérience qui sorte de septentrional bac à sable où on te vend des choix qui n’en sont pas (sans dilemme une variable n’est pas dramaturgiquement valable…).

Du coup c’est classe, mais ça prend du temps. Beaucoup de temps.

Ensuite il y a Valentin. Il refait le système, s’occupe des corrections, de la direction artistique, de l’impression et, sinon ce n’est pas marrant, de comment on fait tout ça.
Bref, on est deux et ça prend du temps. Mais le livre de base avance, on poste même des illustrations sur les réseaux de temps à autre !

5. Ce recueil de scénarios avait déjà été annoncé, mais il a enflé de manière conséquente depuis. Qu’est-ce qui s’est passé ? Vos auteurs ne savent pas respecter la consigne ou bien ?

Je ne sais pas respecter les consignes. Et j’enquiquine les bacs à sable comme j’aime les embranchements.

Je m’explique : un jeu de rôle, pour moi, c’est la liberté de choix. Si je veux un récit où je suis passif, dans le sens où je n’interagis pas avec le récit, je me dirige vers la littérature ou le cinéma. Je peux interpréter l’œuvre et mon ressenti, mais je ne pourrai pas faire changer la dramaturgie. Le jeu de rôle et certains jeux vidéo proposent autre chose : le récit, en apparence moins profond, est modulé par l’action des joueurs. Le spectateur, actif, devient alors acteur.

On serait alors en état de croire que le mieux c’est de tout improviser et de ne rien, sauf des tables de génération, écrire. L’idée serait de « protéger la liberté et l’improvisation ». Non — en tout cas pas pour moi. Une bonne improvisation se base sur une préparation même si elle en dévie et un récit — même non structuré — ne dispose pas d’une infinité de choix. En réalité, moins les choix sont écrits, moins de liberté il y aura. Le fameux « on ne sait pas où cela va aller », « je suis le choix de mes joueurs » je n’y crois pas. C’est confondre l’excitation de l’inconnu et le nombre de possibilités offertes par une situation. Les vraies possibilités seront en lien avec la thématique. Elles ne seront pas aléatoires ou sans prise avec la trame du récit.

Pour moi, un scénario de jeu de rôle, comme tout texte, est une proposition. Il faut en assumer la pérennité et donc les possibilités. C’est OK d’improviser un scénario à partir de rien entre copains. Je l’ai fait comme tout le monde et parfois — quand ma trame était bien préparée en amont — c’était pour le meilleur. J’en profite aussi pour rappeler que la charge mentale du MJ est déjà assez conséquente pour ne pas en rajouter.

Enfin, si j’ai écrit la plupart de mes scénarios et mes campagnes, cela m’a pris beaucoup de temps. Comme je voulais faire de l’écriture un métier, ça faisait sens, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Bref je comprends l’utilité du bac à sable, sa raison d’être et celles des tables de génération. Je me la joue élitiste, mais je garde les pieds sur terre. Je reste un rôliste comme tout le monde.

Mais en tant qu’éditeur, quand on fait payer une œuvre, c’est normal de proposer autre chose qu’un paragraphe écrit au conditionnel. On n’est pas obligé d’avoir des embranchements comme MIR, mais on se doit d’écrire les possibilités, de les lister, de montrer et expliquer le dilemme. De permettre aux metteurs en scène, les MJ, de s’approprier notre récit. Alors oui ça prend du temps de soupeser chaque choix, de varier les propositions et surtout, de ne pas rendre une possibilité plus intéressante qu’une autre. Avec cette méthode d’écriture, respecter la taille originale du recueil (4 scénarios de 30 pages chacun) était impossible. Alors je suis un peu parti en vrille sur le deuxième — il fait plus de 100 pages — mais c’était nécessaire pour respecter l’équivalence des embranchements.

À vous de nous dire si on a réussi, ou pas d’ailleurs. J’espère juste ne pas laisser les gens indifférents. Ça serait le pire.

Ah mince je crois que j’ai fait un peu long.

Je vous avais dit que j’avais du mal avec les consignes ?

6. Cela dit, cela revient à organiser deux foulancements pour le même ouvrage finalement. Ce n’est pas un peu… euh… spécial ?

Si totalement !

Pour tout dire on n’était pas certain de passer par un énième foulancement et puis… C’était plus simple. Centraliser tous les achats, regrouper les backers, avoir une communication plus fluide et mettre en avant les nouveaux artistes… Tout ça, c’est mieux avec une plateforme — surtout quand ton site n’est pas encore refait.

Du coup ça nous a permis de créer des paliers en lien avec les demandes des joueurs sur le discord ou rencontrés en convention. Les aides physiques pour les scénarios, rendre disponible le scénario d’introduction « Le Cœur du Poème », un nouveau t-shirt… Sans oublier le collector et l’album de musique !

En fait le recueil était un side project qui est devenu au fil du temps un projet à part entière. On ne pouvait plus le sortir en toute discrétion.

7. Je ne crois pas me tromper en disant que vous accordez une grande importance à la direction artistique du jeu. Pour vous, la forme prime avant le fond ?

Pour nous la forme doit rejoindre le fond. C’est une nuance, mais elle est importante. On pense les livres comme un tout. Enfin je dis « on », mais c’est surtout Valentin. L’idée de l’écran coffret ou les symboles sur la couverture du recueil, chacun lié à un scénario, ce sont ses idées. Il est obsédé par l’idée du Beau. C’est plus une question de sens dont l’esthétique n’est qu’une facette. Pourquoi l’utilitaire ne pourrait-il pas être agréable, ludique, inspirant ? Séparer la forme et le fond c’est couper l’âme et le corps — un non-sens. On collabore avec des artistes passionnés par les mêmes questions initiatiques pour créer des œuvres entières. En tout cas, c’est notre ambition.

Ça se retrouve aussi dans l’écriture où chaque recueil est pensé comme une plongée dans un des peuples de l’univers, ici l’Empire Systérin. J’essaye d’adapter un style pour chaque culture — et il en va de même pour la traduction en anglais ! — et de glisser des secrets entre les lignes.

8. Même si on en voit de plus en plus, cela reste rare : pourquoi avoir voulu créer une BO spécifique à l’univers de MIR ?

Comme je le disais plus haut, on veut associer la forme avec le fond. La musique fait partie intégrante de nos parties et de notre univers. Si on travaille principalement avec des artistes issus ou en lien avec la scène Métal, ce n’est pas un hasard. Quand le recueil est devenu plus imposant, c’est apparu comme une évidence : il devait avoir une résonance musicale pour devenir une œuvre à part entière. D’ailleurs la version collector possède un range disque inclus dans la couverture. Là aussi c’est une volonté d’inscrire l’objet musical dans la continuité de l’œuvre écrite. Pour nous l’un ne va pas sans l’autre.

La rencontre avec Guillaume Galaup a été un déclic pour le choix de l’artiste. On était dans un concert où il exposait ses tripes sur scène et on lui a proposé une collaboration une bière à la main. On est reparti avec l’intégrale de sa création quand il a entendu le mot « jeu de rôle ». Rôliste, Guillaume a participé aux parties tests, échangé avec les joueurs et passé beaucoup de soirées à refaire le monde en notre compagnie. Chargé d’émotion, il a créé l’album en quelques jours puis l’a affiné pendant des semaines.

On est fier de ce premier album, car il fait sens et on veut faire de même pour ceux du livre 1 : l’album d’ambiance et l’EP « Métal ». L’album d’ambiance sera une sorte de bande-son originale de MIR — là où l’album du recueil a été créé pour le recueil, celui-là sera plus généraliste. L’EP mélange lui différents groupes de Métal, connu et moins connu, et un artiste à la Folk sombre. Chaque piste illustre un des peuples, la huitième, la Catastrophe. Ce n’est pas vraiment un album à écouter en partie — même si pourquoi pas — mais à emmener avec soi pour vivre les thématiques de MIR et s’inspirer avant d’écrire.

Dans tous les cas, ce sont des objets pensés comme une continuité de l’œuvre, pas des supports ou des accessoires pour faire du merci.

La musique est pour nous une évidence et on compte bien l’exprimer pour chacun de nos projets. Néo 80 (le prochain jeu du Studio après MIR) aura lui aussi sa partie musicale, même si, cyberpunk oblige, on sera un peu plus « électronique »…

2 pensées sur “Le mirifique destin de MIR

  • 4 avril 2024 à 17:25
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    Très belle interview…
    De sages paroles pleine de bon sens et pourtant, quand on voit le paysage rolistique français, pas si évidente que ça.

    Pour avoir joué les différents scénarios, ils sont vraiment excellent.

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    • 4 avril 2024 à 21:40
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      Un de mes meilleurs investissements en JDR de ces dernières années.

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