Le Polskar Express [chronique]

Alors, oui, plus express que véritable chronique.

Le jeu des Éditions Dérivantes est sorti depuis un moment mais, chez nous,  nous n’avons pu y mettre notre nez que depuis peu. Pourtant, il nous semble utile de vous livrer ce qui, au moins, peut être considéré comme une première impression de lecture au moment où l’auteur-éditeur-illustrateur-maquettiste-whatever Enzo Cavalier finance son nouveau jeu, Voltige. Alors, c’est parti pour le Polskar Express !

Polskar est un jeu foulancé début 2023 et livré promptement quelques mois plus tard, accompagné de son écran du MJ et d’un recueil de scénarios (éléments que nous n’avons pas eu la chance de pouvoir découvrir)

Pour rappel, Polskar est un jeu d’expéditions polaires à la Paul-Emile Victor mais qui se déroule sur un monde glacé imaginaire où tout reste à re-découvrir. Il y a des créatures fantastiques, des peuples étranges, des terres qui volent… bref, c’est un étonnant mélange entre du très concret et familier et de la fantasy assez perchée.

La première chose qui attire l’œil est le poids du bouquin. Déjà fort de ses 324 pages grand format, l’ouvrage est en plus doté d’une couvrante en béton armé et d’un papier de qualité qui en font un des volumes les plus lourds de toute ma ludothèque : un beau morceau ! Maintenant, ça se saurait si le JdR s’achetait au poids, hein.

La deuxième impression positive est fournie par un simple feuilletage du livre. C’est… euh… différent. Des couleurs partout mais en un petit nombre contrôlé, des icônes dans tous les sens, des encadrés, des schémas… Visiblement, le côté maquettiste/graphiste de Enzo Cavalier a fortement œuvré sur le résultat final, cherchant manifestement à explorer une autre façon de faire que les traditionnelles juxtapositions d’images pleines pages et de pavés de textes « égayés » de temps en temps par un tableau rempli de chiffres. On a l’impression à la fois de lire un manuel de règles façon jeu de société et, en même temps, une œuvre intégrale dans laquelle textes et illustrations se renvoient la balle dans un tout concerté qui ne peut guère qu’avoir été pensé de A à Z par une seule et même personne.

Un peu expérimentale à ce titre, la forme ne peut pas être une totale réussite dès le premier essai. Globalement, à titre personnel, j’apprécie cette mise en page colorée mais je devine que ce ne sera pas le cas de tout le monde. Les goûts, les couleurs, tout ça. Par exemple, le remplacement de certains mots-clefs récurrents par de simples icônes peut tout aussi bien sembler alléger le texte que nuire au plaisir de la lecture. Ce sera selon.

Surtout, objectivement, tout n’est pas réussi. Je pense en particulier à ce passage incessant d’une police de caractère standard à une autre réservée au « naming », aux mots qui ont du sens dans les règles. Distinguer les mots lambda des mots liés aux règles est souvent utile et se fait traditionnellement à l’aide des majuscules. Mais là, l’idée de les passer intégralement en majuscules est assez pénible, surtout du fait que, par définition, dans un livre de règles, il y a des passages où ces mots (Aspects, Tactiques, etc.) sont si souvent employés que le texte est sans cesse déformé par des dizaines de mots écrits en majuscules. Vraiment pénible à la lecture.

Alors attention à ne pas retenir que les bémols : l’impression générale est très, très positive et on espère que d’autres jeux vont explorer à l’avenir ces formes de présentation plus inhabituelles. Ce que l’on entraperçoit par exemple du nouveau Arkéos, encore en développement, semble clairement aller dans ce sens.

En ce qui concerne le contenu, Polskar ouvre sans autant d’originalité sur un assez long infodump présentant le monde, ses particularités, ses peuples, ses lieux importants, le rôle des PJ, etc. Cet exercice est redoutablement difficile, a fortiori dans un monde comme celui de Polskar dans lequel on oscille sans cesse entre repères bien intégrés (la neige, c’est froid, l’inconnu reste à découvrir et autres balivernes) et les éléments à découvrir qui appartiennent clairement au registre de la fantasy : îles volantes,  peuplades inhumaines, monstres griffus, etc. C’est vraiment très riche et nous éloigne fortement de ce qu’on pouvait penser à la simple lecture du titre du jeu et de quelques visuels présentés longtemps en amont, lors du CF du jeu par exemple : ce n’est pas du tout un jeu pour simuler de façon un peu générique des expéditions dans le froid. C’est un jeu « à background » qui présente son riche univers sur environ les 130 premières pages de l’ouvrage, sans vraiment faire référence alors à toute notion de jeu, de règles voire même de personnages. A l’ancienne. Un peu façon Multisim, par exemple, à la grande époque.

L’ensemble n’est donc pas toujours digeste malgré de réels efforts de découpage : les sujets sont fractionnés en micro-chapitres souvent sur une pleine page, il n’y a des graphiques, des cartes, etc. C’est très beau et franchement dépaysant. Mais, il faut le savoir avant de se lancer, c’est assez dense en infos, ce qui plaira aux uns et déplaira aux autres selon ce que l’on recherche dans un livre de JdR.

On arrive finalement à la création des personnages. Ouf ! Elle s’ouvre, comme de plus en plus souvent dans les jeux actuels, par une phase collective de création du méta-PJ, ici une organisation d’explorateurs (ou assimilés) qui équipera et missionnera les PJ pour qu’ils affrontent le grand inconnu. Cette phase est bien faite avec, notamment, la bonne astuce du texte à trous à remplir collectivement pour obtenir la description complète de sa Compagnie. Il n’en reste pas moins que celle-ci reste une gageure. Elle demande en effet aux joueurs d’assez bien connaître l’univers dans lequel par définition, la plupart d’entre eux n’ont encore jamais eu à faire. Et ma connaissance personnelle des rôlistes m’incite à penser que personne ne lira les 130 précédentes pages pour s’en faire une idée suffisamment juste. Il aurait été souhaitable, donc, d’avoir des listes d’exemples dans lesquelles puiser pour remplir les « trous ».

Chaque PJ est défini par de nombreuses variables. Polskar, qui utilise con propre système de jeu, n’est guère calculatoire mais il y a par contre une accumulation d’éléments pris de gauche et de droite qui font sans cesse hésiter entre « c’est une bonne idée » et « est-ce bien nécessaire ? ». D’autant que les noms choisis pour ces variables sont parfois inutilement différents des habitudes : ainsi, dans Polskar, les Aspects sont des caractéristiques quand les Tactiques, par exemple, sont plutôt des aspects. Hum. Ou bien encore les Manoeuvres sont plutôt des talents quand les Tactiques, elles, sont franchement des manœuvres. Oh, rien de bien grave mais cela pique parfois les yeux et fait inutilement se gratter la tête. Le fait de vouloir ainsi accumuler, sans réussir à trancher vraiment, un maximum de bonnes idées est caractéristique des premiers jeux. Après, on apprend que le mieux est l’ennemi du bien. Et c’est ainsi que Voltige fait moins de la moitié de la pagination de Polskar…

Au final, si on met de côté le fait que, une fois sur deux, on se demande si on est en train de choisir une Manœuvre ou une Tactique ou une Compétence ou encore un Vécu (oui, il y a tout ça), la création de PJ est bien faite et suit un cheminement logique qui, contrairement à celle du méta-PJ repose continuellement sur des listes dans lesquelles choisir et qui sont donc accessibles même sans connaissances approfondies du jeu et de son contexte.

Le système de jeu est, donc,  une création originale. On peut lui trouver tout de même un air de filiation avec le Year Zero… ce qui n’est ni original, ni une mauvaise idée, il faut bien le dire ! Dans Polskar, on jette des poignées de D6 en fonction des variables mobilisables pour une action donnée et on essaie, non pas d’obtenir des « 6 » mais des combinaisons (paires, brelans…) du même chiffre. En revanche, on peut ensuite relancer les dés qui n’ont rien donné de bien satisfaisant, en échange d’un état négatif ou d’une complication.

L’idée futée est l’ajout d’un dé d’adrénaline. Celui-ci émule bien la nature antinomique de celle-ci, capable tout à la fois de nous booster et de nous faire faire des bêtises. Ainsi, en cas de situation stressante, le joueur lance un dé en plus, ce qui augmente ses chances de réussite. Saut que ce dé, de couleur différente, va désormais influencer sur les autres : on note son résultat chiffré et les seules combinaisons sélectionnables doivent être supérieures ou égales à celui-ci (exit les carrés de 1 et les brelans de 2 si le dé d’adrénaline affiche un 3, par exemple). Il reste possible, en fait, de les retenir mais, dans ce cas, il faudra accepter de subir les effets du stress : le personnage encaisse. Simplicité calculatoire et, in fine, choix du joueur : c’est là ma définition personnelle d’une bonne règle.

Là aussi, toutefois, le mieux est l’ennemi du bien et on retrouve cette tendance à l’accumulation des bonnes idées qui, toutes ensemble, finissent par faire une choucroute indigeste. Ainsi va-t-il des « prouesses » que peuvent tenter les personnages en échange d’une complication… qui est déjà la contrepartie d’une relance et, finalement, peu ou prou, d’un stress mal géré. Ça va finir par faire beaucoup de complications ça !

Le moteur de jeu est très complet et s’accompagne de tous les attendus nécessaires à la gestion du type d’aventures exploration/survie privilégiées par le contexte du jeu. Le matériel a une grande importance et est abondamment décrit, y compris les véhicules, leurs réparations, customisations, etc. Le froid, les longs voyages ou les créatures hostiles sont aussi de la partie, bien sûr. Eh, ce n’est pas pour rien qu’il y a plus de 300 pages !

A ce titre, on restera sur notre faim à propos de l’unique petit bout de scénario qui conclut ce copieux livre de base. Bien sûr, il y a les règles pour animer le comptoir de la compagnie des PJ qui peut générer son propre jeu. Il y a aussi de nombreuses tables aléatoires pour générer sa propre expédition. Mais ce n’est pas un hasard si l’auteur a souhaité tout de même fournir un scénario scripté et prêt à jouer : cela reste la forme privilégiée de ce jeu, quand bien même il emprunte aussi aux formes de jeu émergent ou centré sur les PJ et leurs soucis. Or, ce scénario, modeste de l’aveu même de son introduction, ne convainc guère. Non seulement il est court mais  son thème même (et non, on ne peut rien en dire !) pourrait tout aussi bien nous emmener en Europe au XVIIIe siècle ou dans une contrée barbare d’un monde de sword & sorcery. On n’y ressent pas vraiment la Polskar’stouch. C’est dommage. Il faudra, plus tard, que nous nous penchions sur les autres scénarios qui existent, notamment ceux du Recueil d’Expéditions, un livret de 64 pages qui en contient une dizaine.

Au bilan, Polskar est, sans mauvais jeu de mots (pas de ça chez nous !), un jeu très rafraichissant. Il reste un peu fou-fou comme un jeune chiot mais il est très généreux et tente un peu sur tout (le fond et la forme) de faire bouger les lignes. Pour toutes ces raisons, il nous semble évident que Enzo Cavalier est un auteur à suivre. Par exemple dans son prochain Voltige ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *