L’Apocalypse selon St Arc [chronique Arc:Doom]

« Pattern Recog Editions nous a encore dégotté une pépite indé ».

Il est vrai que je pourrais commencer toutes mes chroniques de leurs jeux par ce constat. Et là encore, je me vois mal comment débuter autrement. Après, Warpland, Paléomythic, ou encore Troïka, c’est au tour d’un jeu philippin, intitulé Arc:Doom, de bénéficier d’une traduction française (et avant tout de nous le faire connaître).

Un jeu indé sur la fin du monde à la proposition ludique aussi désespérée que poétique.

La fin du monde est belle

Avant de rentrer dans le vif du sujet, prenons quelques lignes pour présenter l’objet. Car Momatoes, l’autrice du jeu, est aussi graphiste.

Sur la forme, le livre est au format A5, 170 pages, tout couleur, bénéficie d’illustrations magnifiques, oniriques et offrant une cohérence graphique à l’ensemble de l’ouvrage. Et ce coté « innocent », voire pur dans le coup de pinceaux, est assez déstabilisant par rapport au thème de fin des temps qu’aborde le jeu. La mise en page moderne, quant à elle, peut diviser de par son approche « magazine ».

Sur le fond, le jeu est avant tout une boîte à outil que ce soit au niveau du système ou de la gestion de la fin du monde. L’ouvrage se termine par un mini-bestiaire de 36 créatures classées.

Petite précision, le jeu ne propose pas d’univers. C’est à vous, meneur, de le dessiner selon vos envies. Même si l’orientation prise pas le jeu est plutôt orientée fantasy, de part les compétences, les sorts ou les objets proposés. Rien ne vous empêche de reprendre les outils de l’ouvrage pour un univers plus moderne mais il faudra adapter ces éléments.

Doom, et mon coeur fait Doom !

Vous l’avez compris, dans ARC, les PJ doivent lutter pour retarder ou éviter la fin des temps. Et cette inéluctable apocalypse est au cœur du jeu.

Car bien avant la création de personnage, le MJ (appelé La Guide) devra créer sa fin du monde et la découper en plusieurs présages, dont le nombre peut varier (trois pour une partie normale, deux pour une partie courte, etc.).

Cette fin peut être classique (l’avènement d’un Grand Ancien) ou cataclysmique (un météore, un seigneur-démon qui décide de manger tout le royaume…). Mais elle peut être aussi moins guerrière (le mariage d’un chef local) ou plus féerique (un Dieu triste qui vole le rire des enfants). Tout est possible et vous êtes totalement libre de créer ce que vous voulez. Trop libre peut-être pour certains.

Cette apocalypse n’est donc pas forcément la fin de tout, mais peut également être la fin d’un âge ou d’une époque. Par contre, cette échéance, si elle a lieu, ira forcément vers du moins bien.

Concevoir cette fin des temps se fait en 8 étapes. Dans un premier temps, vous allez devoir définir les grandes lignes de l’univers dans lequel vous souhaitez jouer, décider qui en seront les héros et définir le nombre de session que vous souhaitez jouer (cela peut aller d’une session à plusieurs). Ce temps de jeu définira une notion importante du jeu : l’horloge de l’apocalypse (nous y reviendrons plus tard).

Une fois fois ces premières étapes de conception faites (de façon commune entre joueurs), il restera encore 3 choses à définir. Mais avant d’y répondre, vous devrez mettre cette création en pause et passer à la création des personnages-joueurs. Cela vous permettra de finaliser les détails de votre fin du monde en vous inspirant des idées et des envies émises durant la création de perso par vos joueurs et joueuses.

Au final, après cette phase de création, en dehors de l’univers et des PJ, la guide a deux outils importants :

  • L’horloge de l’apocalypse
  • Une liste de présage. Qui correspondent à des quêtes.
Un chat mignon pour illustrer la création de perso. Quand on vous dit que la fin du monde est proche…

Mon seigneur, il est l’heure

L’horloge de l’apocalypse a été inventé en 1947. Elle notifie les événements mondiaux qui nous rapproche, ou nous éloigne, de la fin de l’humanité. Aujourd’hui, elle est mise à jour régulièrement par les directeurs le Bulletin of the Atomic Scientists de l’université de Chicago. Si vous voulez en savoir plus, et vous faire peur, vous pouvez consulter la page wikipedia qui lui ait consacrée.

C’est donc ce concept d’horloge qui est repris dans ARC:Doom. Sauf que ce ne sont pas les actions des PJ qui la feront avancer, mais juste le temps de la vraie vie qui passe. En effet, la guide définit un laps de temps (une demi-heure, une heure, une session de jeu) pour lequel une étape de l’horloge sera cochée. La fin des temps approche donc, que les PJ soient actif ou inactif.

De plus, à chaque échéance barrée, la guide lance 1D6 +[le nombre de présage encore actif]. Pour chaque 5 ou 6 obtenu, l’horloge avance d’autant de cases. Cette mécanique permet de déstabiliser encore un peu plus les joueurs en ajoutant un côté aléatoire à la vitesse où la fatalité approche. Car on vous connaît les rôlistes. On vous voit venir avec vos « non, mais c’est bon, il nous reste encore 2 échéances là. On est large ! ».

J’avoue qu’avant de lire le jeu, j’avais quelques appréhensions. Par exemple : pourquoi les PJ auraient l’envie et la motivation de sauver un monde qu’ils ne connaissent pas ? Et force est de constater que la manière d’aborder les choses fait que la sauce prend. Et puis, rien de vous empêche de jouer dans un univers connu.

  • L’ombre du seigneur démon : empêcher Corvée, le roi Orc de s’emparer du trône d’albâtre. Ce serait une super introduction pour une campagne de L’ombre du Seigneur Démon
  • Midnight : même chose. Empêcher l’avènement d’Izrador.

Ou jouer avec des thèmes plus sombres et moins épiques :

  • La fille unique du roi a été enlevée. La garde personnelle du Roi, les PJ, est envoyée pour la retrouver. L’horloge de l’apocalypse symbolise la mort de la princesse. Le Roi deviendra fou et son royaume sera à l’agonie si les PJ échouent.

Avoir de grandes idées, c’est une chose, mais les mettre en pratique en est une autre. Et il faudra une guide inspirée pour la définition des présages, qui sont au cœur de votre fin des temps. Or, malgré leur importance, ils ne prennent qu’une double page d’explication. Et c’est, je trouve, le seul point faible de l’ouvrage. Et pas des moindres. Il aurait été utile de consacrer un peu plus de page sur la manière de gérer et, surtout, de faire jouer ces présages.

Voici un exemple de présage inclus dans le livre :

Exemple de fin des temps et des présages correspondants

Comme on peut le constater, chaque présage a le potentiel d’être un scénario, voire une mini-campagne bac à sable. Or, il aurait été bienvenu d’avoir des conseils sur comment rythmer la partie et jouer les présages selon le terrain de jeu défini. Par exemple, mon temps de jeu sera différent si l’apocalypse est à l’échelle d’une ville ou d’un royaume. Comment dois-je jouer et tenir compte des voyages moi qui aime bien décrire le voyage et y placer quelques péripéties ? Est-ce qu’ici je peux me le permettre ? Comment préparer et mettre en jeu les indices pour éviter que mes héros tournent en rond ? Bref, comment mettre en pratique tous ces outils ?

Il faudra donc quelques parties de tests pour trouver son rythme et maîtriser les mécaniques du jeu. C’est dommage que l’autrice ne nous accompagne pas plus sur ce point. Et c’est d’autant plus frustrant quand on voit la clarté des autres explications.

Le Système

C’est durant l’élaboration de votre fin des temps que vous décidez aussi de ce que vous voulez jouer. Cela peut être :

  • des moines soldats sensés purifier le monde,
  • les héritiers d’un archimage,
  • les seuls survivants d’une famille de loups-garous

Il n’y a rien de défini et, là encore, vous êtes très libre. Seules vos envies et votre imagination comptent. Une fois ce cadre défini, la création de personnage se fait en 6 étapes :

  • Le niveau des 3 approches (cf. plus bas)
  • Les modificateurs d’endurance et de courage
  • Les niveaux de compétences
  • L’équipement
  • La personnalité du personnage (en répondant à un questionnaire)
  • Les liens qui unissent le personnage aux autres héros (très important !)

Pour rappel, c’est après la définition de ces éléments (personnalité et liens) que vous pouvez finaliser votre fin des temps.

Comme vous pouvez le voir sur la feuille de personnage ci-dessus, votre personnage se définit par 3 approches dont les valeurs vont de +0 à +3 à la création et de 18 compétences qui vont aussi de +0 à +3.

Pour résoudre une action, on fait la somme de l’approche et de la compétence utilisée (plus d’éventuels modificateurs, mais c’est rare), on jette 1D6 et le résultat doit être strictement inférieur à la somme précédemment calculée. Si le résultat est égal, dans ce cas, c’est à la joueuse de décider : une réussite avec complication ou un échec avec avantage. Si le résultat est supérieur, c’est forcément un échec.

De plus, le personnage possède deux jauges : courage et endurance, dans lesquelles il peut puiser pour augmenter d’un niveau de réussite. Par exemple, 3 pts dépensés dans l’une de ces jauges permet de passer d’un résultat « égal à » à « inférieur à« .

Autre notion importante de la feuille de personnage : les liens entre les héros. A la création, le joueur choisit deux autres PJ avec lesquels son héro a des affinités. Ces liens sont amenés à évoluer (dans les deux sens) selon les moments vécus, mais peuvent aussi être utilisés pour aider l’action d’un autre PJ ou dépensés pour lui faire bénéficier d’une relance. De plus, quand un personnage meurt, les autres personnages récupèrent un nombre de PX en fonction du nombre de lien qu’ils avaient avec lui (et pour les rôlistes fourbes : non le backstab ne compte pas).

J’aime ces systèmes qui permettent, à travers quelques mécaniques simples, de permettre aux joueurs d’influencer le résultat de l’action.

  • « Je ne peux pas abandonner mes amis après ce qu’ils ont endurés. Je sais qu’ils comptent sur moi autant que je compte sur eux [Je dépense 3 pts de courage pour obtenir une réussite]« .
  • « Je ne t’ai jamais vue échouer. Souviens-toi de nos séances d’entrainement au monastère, tu me disais de ne jamais abandonner ! [Je sacrifie 1 pt de lien pour te permettre de faire une relance]« 

A cette base simple vient s’ajouter une liste de sorts et de techniques qui viendront enrichir encore plus les possibilités de jeu.

Il est à noter que malgré son petit format ARC:DOOM se paye le luxe d’être bourré d’exemple. Il est à la fois une boîte à outils vous laissant une totale liberté dans votre conception. Et de l’autre, vous serez toujours accompagné. Que ce soit à travers des exemples ou des tables aléatoires. Il y a même un court exemple de partie en annexe pour vous expliquer le système de résolution d’action et de combat.

Conclusion

Arc:Doom est un vrai plaisir de lecture qui incite à être joué à chaque instant. Inspirant, pleins de bonnes idées, proposant une vision originale et différente de l’apocalypse. Le tout ponctué de conseils bienveillants (« faites ce que vous voulez de cette boîte à outils du moment que vous vous amusez« ) ou rassurant (« MJ, vous avez le droit à l’erreur. Lâchez prise« ). Mais il faudra accepter que les premières parties ne soient pas parfaites, le temps que le meneur trouve son rythme. Quitte à bousculer un peu ses habitudes de jeux.

Je pense que le jeu sera une excellente expérience en tant que joueur. Mais il s’adresse aux meneurs se sentant capables de créer leur univers de jeu de A à Z, et acceptant des premières parties imparfaite. Le temps d’apprivoiser la mise en jeu des présages.

5 pensées sur “L’Apocalypse selon St Arc [chronique Arc:Doom]

    • 31 mai 2024 à 11:37
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      Merci pour ta vigilance.
      C’est corrigé.

      Répondre
  • 31 mai 2024 à 18:49
    Permalink

    Bonjour. Ce jeu est fantastique ! Le système fonctionne très bien et j’ai adoré la poésie, la tendresse et la bienveillance qui se dégagent de ce jeu malgré son univers de fin du monde.

    J’ai pris l’occasion de rédiger une ARCventure (scénario) m’inspirant de ce que l’Autrice avait proposé en anglais –> voyez le « site web » pour retrouver ce scénario (fini d’être rédigé ce 12/05/2024).

    J’ai déjà eu l’occasion de tester et mener ARC:Doom ce 15/05/2024.

    Personnellement, en tant que Guide, j’ai veillé à maintenir un rythme et une cadence, rappelant aux joueuses les principes du jeu et le couple dynamique-moteur de jeu. L’avancée sur l’Horloge de fin de temps fait prendre conscience aux joueuses qu’il ne faut pas trainer et bien insister que les Présages doivent être résolus, neutralisés ou autrement pour ne pas venir précipiter la fin de partie.

    Guide et joueuses, nous avons quand même vécu de très bons et beaux moments d’interprétation (roleplay) et mes joueuses ont inventé des persos mémorables. Merci à eux !

    Nous avons créé de personnages très rapidement suivant la distribution des points par chaque joueuse.
    Par contre, on a tiré au sort tout l’Attirail (très pratique et quel gain de temps) !

    Le scénario a très bien fonctionné maintenant, il faut en tant que Guide bien garder en tête ce qu’on anime comme univers et le tempo. Certain que l’expérience d’improvisition aide à la partie mais une Guide débutante ne doit pas être effrayée de mener pareille partie.

    Je prévois de rédiger une nouvelle ARCventure type Sélénium-Punk dans l’univers de Célestopol 1922.

    PS : j’use des termes « joueuse », « la Guide » et les « Héros » (personnage) comme l’Autrice

    NB : j’ai contacté l’Autrice pour lui transmettre mon ARCventure avec un mot (résumé) en anglais. Elle a pris l’occasion, très gentiment, de me répondre avec une traduction en Français (Google translate). Elle est toujours très étonnée et heureuse de voir son JDR joué et mené aussi qu’elle (qui habite les Philippines).

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    • 1 juin 2024 à 12:29
      Permalink

      Bonjour Pitche,

      Merci beaucoup pour ce retour d’expérience et ce complément d’information !
      Je pense qu’il faut effectivement se lancer pour lever les quelques points d’appréhension que peut susciter le jeu, et son approche différente. Mais que, encore une fois, tout est là pour accompagner la guide.

      Répondre

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