Le Fix face à l’ours; une interview de Kobayashi

Au Fix, on a nos chouchous. Des créateurs qu’on a envie de mettre en avant parce qu’ils proposent des choses qu’on aime bien. Que ce soit par la qualité, l’inventivité ou/et le sérieux de leur travail, ils nous font plaisir et nous surprennent à chaque fois. Et on a envie d’aller vers eux pour en savoir plus. Dans le cas d’Alexandre « Kobayashi » Jeannette, on a profité de l’actualité et de la sortie pour Striscia de La Cité Rouge pour interroger l’homme-orchestre des Éditions de l’Ours

Le Fix : Salut Maître Kobayashi, nous c’est le Fix, on est des gens d’un certain âge qui aimons toujours jeter des dés bizarres et prendre des voix étranges pour décider si on ouvre la porte ou pas. Et toi, t’es qui ?

Kobayashi : Pas de chichi entre nous, appelez-moi Koba (bon, c’est le diminutif de Staline, ce n’est peut-être pas une bonne idée). Je suis joueur et MJ et j’écris des jeux de rôles entre deux parties.

Le Fix : Avant d’être le créateur fécond de plein de jeux, tu es d’abord un joueur ? Quel genre de rôliste et de joueur en général es-tu ? Et, question subsidiaire, tu as le temps de jouer à autre chose que tes jeux, si oui, à quoi tu joues ?

Kobayashi : Je suis surtout le type qui voulait jouer et qui s’est retrouvé à être le MJ 90% du temps pendant un bon moment. Du coup je suis un joueur assez nul. Mon groupe régulier étant désormais constitué aux trois quarts de MJ j’ai enfin une chance de m’améliorer.

Je joue autant que je peux à d’autres jeux que les miens, c’est bon pour la santé du ciboulot.

Je mène La Laverie (version Cubicle 7), Achtung!Cthulhu, Mörk Borg et je compte bientôt lancer une campagne Traveller (enfin !). Je suis joueur à Dungeon World, Yggdrasil, Deadlands et bientôt du Mouse Guard (je croise les doigts).

Le tout est parsemé de petits one-shots divers (Star Trek 2d20, Sombre Zero, Bedlam Hall, Index Card RPG, etc.) pour varier les plaisirs et empêcher les neurones de s’encroûter.

Le Fix : Peux-tu nous parler de ton actu en particulier du foulancement de la V2 du Black Sword Hack ? Quel est ton rôle et celui d’Olivier Revenu. Question bonus, une vf est-elle prévue ?

Kobayashi : Pour cette V2 je me suis essentiellement consacré à la rédaction de nouveaux contenus pour le jeu. Olivier Revenu et Eric Nieudan m’ont guidé dans ce travail en pointant ce qui manquait dans la V1 et ce qui pouvait être amélioré. Ils ont aussi participé au contenu. Olivier gère aussi tout l’aspect logistique du projet, des illustrations à la production des livres et leur envoi, ce qui n’est pas rien.

Pour ce qui est d’une VF il y a une arithmétique malheureusement simple à considérer: passer du temps sur une VF signifie du temps en moins à consacrer à d’autres projets. Et cette VF va, mécaniquement, être moins rentable que la version anglaise… J’aimerais bosser pour la beauté du geste mais j’ai des factures à payer comme tout le monde.

Le Fix : L’autre actu, francophone celle-là c’est la sortie de Cité Rouge. En publiant la news, j’ai vu que Striscia était désormais doté d’une gamme plus qu’honorable. Tu t’attendais à ces développements ?

Kobayashi : Je savais dès le départ que Striscia, contrairement à mes autres jeux, serait un jeu avec du suivi. La gamme Striscia est un peu mon laboratoire de savant fou: je voulais m’entraîner à écrire des aventures, cela a donné Mémoires d’un spadassin. Je me demandais s’il était possible de proposer un cadre de jeu situé dans une guerre sans se focaliser sur les combats, À la conquête d’Hexenberg est né de ce questionnement.

Le petit dernier, la Cité Rouge venait de l’envie d’avoir une campagne purement urbaine. De manière plus générale, Striscia est un jeu aux mécaniques simples mais où la complexité viens plutôt de l’univers, des relations entre les personnages et parfois d’un petit ajout mécanique pour souligner un aspect spécifique d’une campagne (le principe des horloges dans Hexenberg et la Cité Rouge par exemple).

À titre personnel c’est aussi un jeu que je mène sans fantastique (et c’est la raison pour laquelle ces éléments sont optionnels) ce qui me permet de pousser l’épure aussi bien au niveau de l’ambiance que des mécaniques. Bref, Striscia c’est mon terrain de jeu.

Le fix : Pour rester un peu sur Striscia, c’est aussi un univers qui a été développé par des fans, ce qui rappelle que le jeu a été créé sur un forum. Est-ce que tu crois qu’on peut décrire Striscia comme un jeu de forum comme on a pu parler de jeux de clubs (pour des jeux qui ont mûri dans des clubs de jdr comme Subabysse par exemple) ?

Kobayashi : Striscia était un projet complètement inattendu, qui a surgi du télescopage de trois influences: ma lecture de Gagner la Guerre de Jean-Philippe Jaworski, ma découverte du monde du Dodécaèdre de Nicolas « Snorri » Dessaux et mon écoute de la campagne Spada Rossa de 2d6+Cool. Et comme pour tous mes jeux, je balance le machin sur la place publique sans savoir ce qui va se passer. Voir un jeu dont on est l’auteur être joué c’est déjà bien mais quand en plus il en pousse certains à écrire, ça m’apporte beaucoup de joie dans mon petit cœur tout sec.

Le fix : Dans ta biographie sur le grog, on ne voit que deux collaborations, l’une avec BBE et l’autre avec Lapin Marteau, même si on peut rajouter ta collaboration avec les Merry Mushmen pour le The Black Sword Hack, on a l’impression qu’à l’instar de l’ours, tu es plutôt solo. Pourquoi ? C’est une affaire de circonstances ou c’est toi qui te tiens à l’écart de tes petits copains ?

Kobayashi : Il y a deux choses à prendre en compte: mon expérience professionnelle et l’état de « l’industrie » du jeu de rôle en France. Je suis rédacteur de métier, j’ai bossé en presse jeu vidéo, en presse jeunesse et ensuite dans une agence de communication pour ce qu’on appelle des « grands » comptes (des banques, des grosses boîtes informatiques, etc.). Du coup j’ai passé beaucoup de temps en réunion avec des gens qui parlaient pendant deux heures pour avoir plus de jaune sur la couverture ou pour changer un adverbe… Pour le jeu de rôle je n’avais à rendre de compte à personne (pour le meilleur et pour le pire, ça n’a pas que des avantages). Donc, dès le départ, j’avais plutôt envie d’être tout seul parce que je voulais qu’on me foute la paix.

Pour ce qui est de « l’industrie », on va y aller franco: j’ai croisé tellement de bras cassés et j’ai eu des conversations tellement lunaires avec certains que oui, clairement, je me tiens à l’écart. C’est mieux pour tout le monde. Heureusement il y a des exceptions, Lapin Marteau et les Merry Mushmen ont compris qu’un auteur n’est pas la cinquième roue du carrosse et que ça se paye correctement (et qu’on ne lui pique pas sa propriété intellectuelle avec un contrat moisi). La collaboration avec Black Book Editions c’est parce que je trouvais Chroniques Oubliés vraiment sympa et que son créateur, Laurent Kegron, est quelqu’un d’adorable.

Le fix : The Black Sword Hack en anglais, Cité Rouge en français ? Qu’est-ce qui fait la différence dans ton choix de langue ? Est-ce que ce sont plutôt des considérations de marché et de public ou est-ce qu’il s’agit de choix artistiques avec deux langues adaptées à des genres différents ?

Kobayashi : Au début c’était un choix qui se faisait de manière inconsciente et en y réfléchissant j’ai vu que ça dépendait essentiellement de la langue des dernières sources que j’avais lues. Après la publication de Rats in the Walls, j’ai pu constater qu’écrire en langue anglaise m’ouvrait un public beaucoup plus large, en dehors du public anglophone. Fléaux! est traduit en italien, Cursed! en allemand, Rats in Walls a été traduit en espagnol, en hongrois et en japonais. Le jeu a tellement bien fonctionné en Espagne que j’ai été invité à un de leur gros festival fantastique et SF, Celsius 232, alors qu’en France on m’a invité sur deux conventions en quinze ans…

Pour le Black Sword Hack j’ai été contacté sur Facebook par William « Bill » King, l’auteur des romans Gotrek & Felix, qui m’a félicité pour le jeu. Quand Edgarra (le maquettiste/directeur artistique de Fléaux!) a contacté Rôliste TV pour la VF du jeu, il a eu zéro retour… Bref même un petit auteur comme moi a son ego et aussi bien pour des raisons financières que pour des raisons de reconnaissance c’est l’anglais qui prévaut désormais, même si des jeux comme Striscia auront toujours leur suivi en VF.

Le fix : La liste de tes jeux renvoie à des formats, des systèmes et des univers assez variés je me demandais donc ce qui te motive quand tu décides de créer un jeu. Est-ce qu’il existe un processus créatif Kobayashien ?

Kobayashi : Au départ j’écris des jeux auxquels j’ai envie de jouer avec mes joueurs quand je ne trouve rien dans le commerce qui correspond à mes attentes. Par exemple, je voulais me lancer dans la campagne de l’Ennemi Intérieur (celle réécrite pour la 3ème édition de Warhammer). Un de mes joueurs ne supportait pas le système de Warhammer, je n’étais pas emballé par la dernière édition, j’ai pris des notes… Et au bout du compte j’ai écrit Fléaux! Le « problème » c’est que je me retrouve souvent à créer des jeux que je n’avais absolument pas prévus (cf l’exemple de Striscia plus haut) du coup les projets « réguliers » prennent du retard et ceux qui suivent mon travail se paye régulièrement (et justement) ma pomme.

Depuis quelque temps j’ai aussi pu constater l’émergence d’un autre processus créatif chez moi: j’écris des jeux pour me « débarrasser » de certaines idées. En travaillant sur mon jeu de SF lovecraftien, Walking Shadows, je me suis rendu compte que me venaient à l’esprit des références constantes aux mêmes films: Alien-s, Blade Runner, Outland, Event Horizon, etc. C’était un problème parce que je voulais écrire quelque chose qui en serait très éloigné (pas de stations/vaisseaux abandonnés, pas de xénomorphes baveux, pas de méchantes corporations) et revenir à l’inquiétante étrangeté des épisodes de la Quatrième Dimension et des romans dystopiques (de 1984 au Meilleur des Mondes en passant par Nous Autres et Fahrenheit 451). Alors j’ai écrit Extinction, un jeu de rôle inspiré par toutes les sources qui « parasitaient » l’écriture de mon autre projet et depuis ça va beaucoup mieux.

Le fix : Je fais l’hypothèse que tu as d’autres projets dans tes cartons, est-ce que tu peux nous donner un peu des indications sur ce à quoi s’attendre dans l’avenir proche ou dans nos rêves ?

Kobayashi : Les gens qui suivent mon travail savent bien que je suis nullissime pour donner des dates, mais je travaille en parallèle sur plusieurs projets:

  • Ronin Saga : celui-là est dans mes cartons depuis tellement longtemps que j’ai presque honte d’en parler. Ce sera le dernier jeu directement inspiré par le mouvement OSR que je sortirais avant un moment, j’ai besoin de changement (ou d’un retour aux sources, c’est selon).
  • Dark Leningrad : une uchronie où l’Union soviétique a survécu. Des éléments SF, un peu de cyberpunk, une pincée d’humour… Imaginez un film de SF/Cyber qui se passe en Union soviétique réalisé par John Carpenter.
  • Unlikely Gentlemen : 1895, Atlantis s’est réveillé et des portails permettent à des trains à vapeurs de circuler vers d’autres planètes.
  • Walking Shadows : de la SF lovecraftienne, qui applique des principes que j’avais évoqués dans un vieux post de mon blog.
  • Deathriders : des mercenaires qui changent de corps à leur mort dans un univers de Sword & Sorcery (et pourquoi pas dans un monde SF ? Je viens d’y penser en écrivant cette réponse… Vous comprenez pourquoi certains projets mettent autant de retard ?).

Sans parler des projets inattendus qui voudront à tout prix sortir de ma caboche… Merci à l’équipe du Fix pour l’interview !

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Une pensée sur “Le Fix face à l’ours; une interview de Kobayashi

  • 9 mars 2023 à 22:43
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    J’ai lu et acheté pas mal d’ouvrages de Kobayashi : quelle créativité, quelle force !
    Je suis toujours emballé concernant ses projets 🙂

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