Le circuit du castelet [chronique Colostle]

Il y a de mauvaises langues qui disent : pffff, si c’est pas une licence cinéma ou jeu vidéo, cela n’intéresse pas Arkhane Asylum, zyva, laisse tomber.

Et là, je dis : que nenni, bonnes gens. La preuve avec la traduction d’un OVNI indé : Colostle. On ajoutera que c’est là, dispo, tout de suite, maintenant, directement sans passer par la case foulancement. Une belle prise de risque pour les foisonnantes éditions azuréennes.

OVNI parce que Colostle, c’est tout petit (en gros : un format BD de 54 pages), c’est un peu bizarre et surtout cela se joue en solo. Et oui, AAP cède à son tour à la vague des jeux solo, ceux où, pour l’essentiel, on génère des péripéties et où, ensuite, on les relate, seul, en écrivant le récit des aventures de son PJ dans un carnet dédié. Une forme de JdR émergente qui peut interloquer mais qui, au moins, donne l’occasion de renouveler le genre et de s’interroger fondamentalement sur ce qui nous plaît et nous fait rêver dans le principe même du jeu de rôle.

L’exercice de la chronique de ce type de jeu est bien périlleux. Le juge de paix est ici plus que jamais : soit on adhère à la proposition de jeu très particulière du jeu en solo, soit celui-ci nous laisse froid. Pour moi, à titre personnel, c’est la deuxième solution. Le JdR solo, ce n’est pas pour moi. Pourtant, cela ne m’empêche pas totalement d’apprécier les évidentes qualités de ce petit jeu au point de me surprendre à me demander s’il ne serait pas possible de le hacker d’une façon ou d’une autre pour en faire le cadre d’un jeu plus traditionnel.

Le charme du jeu tient en effet largement à son univers qui, pourtant, est très peu décrit (rappelons que le jeu ne pèse que 54 pages avec pas mal de règles mais surtout beaucoup de tables aléatoires) mais pourtant (ou parce que ?) est très intrigant et donne envie de le parcourir les dés à la main. Enfin, ici, plutôt : les cartes à la main.

Disons qu’au départ, il s’agit d’une sorte de medfan assez classique avec des grosses épées, de la magie, une technologie plutôt médiévale, etc. L’originalité affichée qui donne son nom au jeu est, elle, assez anecdotique : l’univers de jeu est supposé être un donjon si colossal que ses pièces contiennent des montagnes ou des océans. Mouaif, au final, en jeu, on ne se rend compte de rien ou presque et une montagne reste une montagne, qu’elle soit supposée être confinée dans une pièce maçonnée ou pas.

En revanche, un simple petit twist donne l’essentiel du charme du jeu : les beffrois et les castelets. Il s’agit de sortes d’automates de pierres, des tours articulées et mouvantes, géantes pour les premières, petites pour les seconds. Cela n’a l’air de rien comme cela mais, plutôt que d’en faire un simple élément du décor ou du bestiaire, les auteurs en ont fait l’alpha et l’oméga de tout l’univers de jeu. Ils sont tout à la fois la raison d’être des PJ (toutes les classes se définissent par rapport à eux), la source de toute magie, les plus grands trésors et les adversaires les plus périlleux.

Ainsi, la création de PJ propose-t-elle seulement 4 « classes » de personnages et toutes sont en rapport direct avec les beffrois et les castelets. Certains les montent, d’autres en ont récupéré le cœur pour faire de la « magie », d’aucuns en manipulent un bras qui leur sert de troisième main, etc.

Par ailleurs, cette création de PJ s’avère assez classique. Ce n’est d’ailleurs guère étonnant puisque le plus souvent (hélas ?) on continue de considérer cette phase essentielle de jeu comme un exercice solitaire que l’on s’apprête à jouer seul ou à douze autour de la table. Le joueur va donc choisir une des quatre classes de perso, noter les valeurs des deux (!!) caractéristiques qui en découlent, prendre connaissance du trait spécial qui vient de la nature de son perso (avoir un bras géant dans le dos, ça permet de faire des trucs… et pas seulement ce à quoi vous pensez, mes coquin(e)s !). Enfin, quelques questions permettent d’élaborer le background du personnage, son rapport aux PNJ… ou pourquoi pas ses relations avec les autres PJ ! En effet, à ce stade, rien ne permet d’exclure la création d’un groupe de PJ avec ces règles-là. Un groupe avec les 4 classes serait ainsi sympathique pour exploiter vraiment à fond l’originalité de l’univers de jeu sans se priver de rien.

Ces règles ultra-simples sont complétées par des tables (dans lesquelles choisir ou tirer au sort) pour doter son personnage d’une raison de partir à l’aventure et d’une personnalité prédéfinie. Là aussi, les choix proposés (7 à chaque fois) laissent largement de quoi imaginer 3 ou 4 PJ. La question de l’équipement est peu centrale dans le jeu (les PJ ont déjà leur bien le plus précieux avec eux : le fameux bras géant, un castelet domestique, un beffroi-monture, etc.) mais le jeu prévoit quand même une double page avec quelques éléments d’équipement spéciaux qui pourront servir à agrémenter l’inventaire d’un ou de plusieurs PJ.

Le reste du jeu est essentiellement constitué des règles d’exploration puisque le JdR solo, par nature, supporte mal la présence d’un scénario scripté (ça, ça s’appelle lire un roman, sinon). Il s’agit donc ici d’utiliser des cartes à jouer standards pour générer par tirage au sort et répartition de celles-ci des péripéties, des adversaires, des lieux, etc. Ces tables prennent de la place comme évoqué plus haut mais, à nouveau, dans le cadre d’un jeu très court (les 54 pages sont qui plus est très aérées et agréablement illustrées : il reste peu de place pour les textes). Par conséquent, si elles sont suffisamment riches pour une courte aventure solo, elles risquent de manquer de substance pour devenir un véritable générateur de scénario en cas d’utilisation dans le cadre d’un JdR plus traditionnel. Disons toutefois que cela donne des pistes sur les particularités de l’univers et cela pourra suffire à inspirer un MJ charmé par l’ambiance du jeu.

Les règles de résolution de conflit utilisent bien sûr elles aussi des cartes traditionnelles selon un petit système assez malin : selon votre valeur au combat, vous tirez une main de quelques cartes que vous gardez en réserve. L’adversaire tire une à une un certain nombre de cartes (selon sa dangerosité comme par exemple 5 pour un très gros beffroi). Au fur et à mesure, vous devez opposer une de vos cartes, au choix, à chaque attaque de l’adversaire. Si sa valeur est suffisamment haute, vous la contrez. Si, en plus, c’est la même couleur (cœur, pique, etc.), vous contre-attaquez et affaiblissez votre adversaire. Si, au contraire, vous devez choisir une carte trop faible, vous subissez une blessure. Avec un MJ qui tire les cartes des adversaires et un paquet de cartes par joueur, c’est là aussi jouable à plusieurs.

A noter que l’idée d’utiliser ce cadre de jeu pour du JdR plus traditionnel n’est pas née que dans mon cerveau malade. L’éditeur de la VO lui même a proposé, non pas un JdR classique, mais au moins un hack de son propre jeu pour pouvoir y jouer de façon collaborative à deux joueurs. Un double solo en quelque sorte. Nous espérons voir ces règles alternatives publiées également en VF.

En effet, le succès aidant, le jeu dispose d’une véritable gamme et d’accessoires bien alléchants. Ainsi, un système de rôles qui vient se superposer aux classes (la cartographe, le chercheur, l’apothicaire et l’inventaire) propose pour chacun d’entre eux un deck de cartes joliment illustrées (par exemple, pour l’inventeur : des composants à assembler pour faire des artefacts). Et là on se dit qu’un groupe composé de ces quatre rôles prend sens, non ?

A noter que le reste de la gamme compte (outre un castelet en crochet !) un véritable supplément, The Roomlands, … deux fois plus épais que le livre de base ! Il contient des règles additionnelles (dont le module pour deux joueurs) ainsi qu’une sorte d’aventure quasi-scriptée. Han, han, je vois, je vois… Enfin, un autre supplément d’inspiration japonisante (les beffrois gagnent donc des toits façon pagodes…) vient d’être publié.

De quoi pousser Arkhane Asylum à organiser un beau foulancement avec tout ça et un castelet en crochet en bonus, hein ?

Au bilan, je ne peux donc pas vous dire si le jeu convient bien pour une expérience de jeu en solo, désolé. L’univers est donc, intrigant mais les événements à générer peu nombreux, pas toujours très inspirés et, en l’état, c’est-à-dire sans les suppléments ou les cartes de « jobs », cela ne me donne pas envie de me lancer dans un « journaling ». Mais, comme je le concédais plus haut, mon avis est, sur ce point, biaisé par ma réticence initiale.

En revanche, comme vous l’aurez compris, je garde un œil sur cette gamme naissante tant je suis convaincu de son potentiel pour du JdR plus tradi : l’univers, très synthétique, donne tout de suite envie de jouer et le système de jeu à base de cartes est également sympathique. Il suffirait donc d’en avoir un peu plus que ces modestes 54 premières pages pour se laisser tenter par Colostle. A suivre, donc.

Une pensée sur “Le circuit du castelet [chronique Colostle]

  • 29 septembre 2023 à 18:18
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    J’ai testé, alléché par le cadre de jeu et les illustrations…
    C’était sensé être mon premier jdr solo…
    Bah j’ai jamais ressenti ce que je peux éprouver en JDR…
    Rien .
    Nada.
    Mais l’ambiance est vraiment chouette, on le sent.
    C’est un outil ludique d’écriture pour moi. Rien de plus.
    Un chouette outil, mais vraiment léger.
    J’espère, en effet, que le matos de la VO sortira en VF car il y a des trucs cools. Et jouer avec quelqu’un serait plus agréable et ‘jdr’ pour moi ..

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