Ah, ça, c’est sûr, du rouge, il va y en avoir… [chronique Tales of the Red – Cyberpunk]

J’avoue que je ne l’avais pas vu venir, celui-là : les éditeurs US se mettent définitivement aux gros recueils de scénarios one shot Après ceux pour la nouvelle édition de Runequest, voici qu’arrive en effet sur ma pile de livres à chroniquer un véritable OVNI pour moi : un recueil de pas moins de 9 scénarios pour Cyberpunk RED. Et je vous arrête tout de suite : pas des screamsheets à développer par ses soins. Non, de vrais scénarios bien développés chacun sur environ 20 pages. Dingo.

Ce recueil répond au doux nom de Tales of the Red et est d’ores et déjà disponible en VF par les bons soins de Arkhane Asylum qui, visiblement, suce la roue des très laborieux Talsorian Games pour avoir du suivi à proposer pour le jeu.

Revenons d’abord sur ma surprise. Il est évident que les éditeurs US n’ont jamais trop eu la culture du scénario. Si certaines gammes ont basé de longue date leur succès sur des modules développés et carrés (AdC, Pathfinder, etc.), d’autres ont privilégié la quasi absence de scénarios officiels, lui préférant les contextes fouillés et les « graines » de scénarios à exploiter par les MJ et les joueurs dans un style de jeu semi-libre et largement centré sur les PJ. Et pourquoi pas d’ailleurs ? Que ceux qui n’ont pas été éreinté à une table de jeu par un MJ trop directif tentant de nous ramener coûte que coûte sur les rails de son histoire tchou-tchou me jettent la première pierre…

Cyberpunk 2020 était particulièrement emblématique de cette voix là. Le jeu disposait d’une gamme pléthorique mais de très peu de scénarios. Quand ceux-ci existaient, ils étaient souvent de petites péripéties organisées librement autour d’un lieu (Forlorn Hope, par exemple) ou d’un thème sans véritable fil conducteur. Le plus souvent, il fallait se contenter de screamsheets, c’est-à-dire, pour rappel, d’idées de scénarios développées autour d’un article de presse et d’environ une page de développement. Un bon principe pour qui désire inventer ses propres rebondissements au gré des besoins du groupe de PJ mais pas vraiment des scénarios prêts-à-jouer, donc.

D’ailleurs, cette nouvelle édition de Cyberpunk dite Red semblait bien devoir se diriger dans la même direction avec des scénarios assez anémiques et anecdotiques dès le kit de découverte publié en boîte et des screamsheets à foison. Rien de plus, a priori.

Là, ce Tales of the Red marque une rupture. Les scénarios sont totalement déconnectés les uns des autres (deux peuvent toutefois êtres reliés entre eux) si ce n’est, évidemment, qu’ils se déroulent tous à Night City, sont bien développés et ne nécessitent donc aucun travail préparatoire digne de ce nom de la part du MJ. Déjà, là, ça fait drôle.

Ce changement de paradigme m’a valu une sacrée épiphanie. Oui. Je dois le concéder sincèrement : alors que je connais la quasi-totalité de la gamme 2020, VF et VO, je crois bien que c’est la première fois qu’un scénario officiel signé Talsorian m’a plu. Carrément. Au point d’envisager de le faire jouer by the book et tout. Dinguerie. J’avais déjà vu de bonnes idées laissées à l’état de screamsheets ou, à l’inverse, des gros scénarios bien développés encombrés de boosters en armure cybernétique intégrale mais, l’un dans l’autre, rien ne m’avait jamais convenu pour mes besoins personnels. Et là, si. Cela fait drôle.

Pour information, je parle là du scénario Agents du désir, sorte de Her (le film de Spike Jonze) à la sauce cybernétique avec une enquête classique (sans trop de lance-grenades automatiques, quoi…), du vertige post-moderne et un beau cas de conscience à résoudre à la fin. Qu’est-ce qu’on demande de plus à une histoire cyberpunk, hein ?

Les autres scénarios sont plus ou moins inspirés en comparaison de cette pépite mais aucun ne m’a semblé repoussant ou injouable et on le mérite de brasser très largement les thèmes que l’on peut espérer rencontrer dans des histoires cyberpunk urbaines : l’emprise affolante de la mode, l’omniprésence des clubs et autres boîtes de nuit louches, les enjeux impérieux des corpos qui écrasent tout et tous, la menace des IA, les ravages des drogues, etc. Un beau (on se comprend…) tour d’horizon.

Si je devais ajouter un bémol en ce qui concerne les sujets abordés, ce serait la présence un peu trop systématique des boostergangs farfelus et des méchants-parce-que-la-cyberpyschose alors que, dans une histoire cyberpunk, le Mal est partout et prend bien plus de visages que ça.

Sur la forme, le recueil se targue d’un format de présentation déstructuré et novateur mais qui frôle l’escroquerie intellectuelle. Derrière un savant codage (Dev, Cliff, etc.), on se retrouve le plus souvent face à un récit linéaire qui saute de Dev en Cliff et de Cliff en Dev plutôt que face à un bac à sable ou à une ramification riche et complexe. De toutes façons, on s’en doutait : on ne joue pas à TechNoir ou à The Sprawl mais à un jeu traditionnel qui s’assume. Inutile de faire mine.

Passé cette prévention, l’exposé des scénarios est très clair avec des passages à lire et tout ce qui peut faciliter la prise en main de ces scénarios assez simples à mettre en scène.

Le livre, aux standards du reste de la gamme naissante (tout couleurs, papier glacé, couverture en béton armé, signet en tissu…), se finit par quelques annexes assez anecdotiques comme la liste des PNJ qui ne servira guère puisque les histoires sont (presque) toutes indépendantes les unes des autres.

Et bien voilà, là, ça commence à ressembler à quelque chose ! Le kit de découverte était faible, le premier supplément carrément anecdotique mais, là, avec le solide livre de base et ce gros recueil de scénarios, on commence à voir du sens à cette réédition : eh, et si on (re-)jouait à Cyberpunk ?