Chibig Boss

A un moment, on était tellement habitué à voir des Chibi nouveaux débouler tous les 2-3 mois qu’on s’est inquiété : que devenait Le Grümph maintenant que le planning des publications Chibi restait bloqué mois après mois ? On voyait bien qu’il y avait de la vie grâce aux sorties métronomiques du gratuit sur son Patreon mais le reste ? La sortie de Ѝ, le dernier jeu tout juste disponible selon le canal historique Chibi (PDF ou POD), nous rassure. Alors, on a voulu en savoir plus sur LG et son mood créatif. Une fois de plus, on n’a pas été déçus.

 

  1. Ah mais c’est payant, en fait, les Chibi ?! J’avais fini par croire que c’était plus que du gratuit, moi…

Effectivement. Depuis un peu plus de deux ans, je suis engagé dans un projet non-jdr qui me prend beaucoup de temps. Si tu ajoutes à cela une santé qui m’a joué de sales tours durant cette période et aussi les derniers coups de collier sur le magnifique projet de Donjons et Chatons, j’ai eu peu de temps pour me consacrer à la finition de bouquins Chibi en bonnet Duforme. Tout cela n’a pas que des mauvais côtés : dans les coulisses, on bosse sur des projets à venir en prenant grave notre temps, avec une équipe, des testeurs impliqués, du temps de réflexion éditoriale que je ne m’accorde que rarement, et un rythme de travail apaisé qui laisse la part belle au développement des idées et des concepts. Et, du coup, une équipe qui a le temps de suivre et de participer, ô miracle. Bon, le mauvais côté, c’est que les rentrées d’argents sont un peu plus serrées. Néanmoins, même si les prix des prochains Chibi seront un peu plus élevés – rapport aux augmentations sur la plate-forme Lulu et à l’inflation qui nous rogne la carte bleue – ils resteront très abordables, parce que, comme toujours, je souhaite que le JdR soit accessible au plus grand nombre (et oui, vous dans le fond, vous pouvez continuer à pirater mes PDF, je n’irais pas hurler à l’Hadopi !)

  1. Tiens, d’ailleurs, à propos : si tu avais suffisamment de mécènes sur ton Patreon, tu ne ferais que du gratuit ou pas, hein ?

Le gratuit du mois, c’est vraiment devenu quelque chose d’important pour moi. C’est clairement une charge de travail importante (en moyenne cinq jours par mois, des fois beaucoup plus, rarement moins), mais c’est un élément de mon équilibre de travail. Aller au bout de quelque chose, quoi qu’il arrive, sans avoir non plus besoin de pousser la finition au niveau d’exigence d’une sortie payante (même si je ne bâcle jamais), c’est une bonne hygiène mentale. Je me permets de tester des choses, de pousser des techniques (comme les cartes de ville que je perfectionne progressivement ou même la manière de rédiger les scénarios). J’ai peu de retours, mais ils sont tous importants et bienvenus.

À l’heure actuelle – avec aux alentours de 140 mécènes (et même si on est monté jusqu’à 160 durant quelques mois – il est certain que le revenu du Patreon ne finance pas du tout cette activité. J’avais espéré, en lançant le projet, monter à 300 mécènes, en me basant sur les ventes moyennes de mes Chibi (en plus, avec tous les gens qui plaidaient pour un abonnement). Mais je ne sais pas, ça ne prend pas. Est-ce que c’est parce que je ne propose aucun contenu exclusif ? (Je suis un quatraoutiste convaincu, pas de privilèges dus à l’argent !) Pourtant, je livre, mois après mois, c’est gratuit tout le temps pour tout le monde. Et on peut me faire des retours, pourquoi pas me demander des choses. Certes, les projets du gratuit sont presque toujours liés à mes propres besoins : du scénar, de la campagne, des illus ou des plans pour mes tables de jeu… C’est aussi une manière de justifier du temps passé à mon loisir personnel. Mais bon, voilà. Je suis un peu déçu forcément. Je me dis que les gens n’ont pas les moyens à cause des conditions économiques, ou alors que mes propositions n’intéressent personne, ou peut-être que je ne propose pas assez de variété dans les projets… Vraiment, je ne sais pas, je n’ai aucun élément à analyser, on ne me dit rien… En attendant, je vais continuer parce que je me fais plaisir et que cent-quarante personnes me soutiennent quand même. Et tant pis pour ceux qui ne soutiennent pas : ça reste gratuit pour eux-aussi, et pan dans les dents !

  1. Bon, revenons à… euh… « N majuscule à l’envers avec un accent dessus ». T’as oublié de mettre le système de jeu, non ?

Tu veux dire « le titre le plus court du monde », juste pour vous faire plaisir au Fix qui vous moquiez de mes titres à rallonge ? C’est une lettre cyrillique, je vois pas pourquoi votre WordPress ne l’accepte pas – ça marche très bien sur Discord ! Et bien oui, pas de système de jeu. La proposition c’est un cadre de campagne et je sais qu’aucun MJ n’utilise jamais les systèmes qu’on leur propose. Ils font toujours à leur sauce avec leurs systèmes qui leur plaisent. Je n’allais pas m’embêter et puis, je propose plein d’idées de règles qui existent à côté, sont testées et éditées : Coureurs d’Orages, Cheap Tales, Cerbères, Pti6, Donjons sans façon pour ne parler que du catalogue Chibi. Et on peut aussi aller voir du côté de Savage World ou d’Abstract Dungeon, ou de Fate ou de n’importe quoi qui plaît…

Rien que sur le discord Chibi, les lecteurs ont déjà proposé des dizaines d’alternatives qui leur plaisent plus encore. C’est dire… Je suis sûr que même toi, tu jouerais avec ton chouchou (genre Terra Incognita) plutôt qu’avec ce que j’aurai pu ajouter…

  1. Tu n’écris plus que des settings/campagnes sous forme d’environnements à explorer en bac-à-sable. C’est un choix clivant : tu ne penses pas que tu prives tes univers d’une partie des rôlistes qui veulent du matériel plus scripté pour aborder pépouze leur partie du vendredi soir ?

C’est une vraie bonne question… Il se trouve que moi, je suis infiniment à l’aise avec le bac-à-sable, que ce soit pour l’écrire ou le faire jouer. Et j’essaie de partager mes goûts, mais aussi les outils pour le faire (il y a plein de conseils dans le second compagnon pour Cœurs Vaillants). Pour te dire, j’ai tenté de mener Ogres de Gel, la campagne un peu toboggan pour Cœurs Vaillants. J’ai galéré comme jamais et j’ai même jeté l’éponge. J’ai adoré l’écrire, j’ai pris beaucoup de plaisir à l’organiser et à l’articuler, visiblement plein de MJ s’éclatent à la faire jouer, mais moi, ça a été une vraie catastrophe à la table – trop de rigidité, de choses à maintenir sous contrôle, alors que je m’éclate à suivre les joueuses où qu’elles aillent et quelles que soient leurs idées et envies.

Toutefois, tout espoir n’est pas perdu. Tu as pu effectivement constater que depuis un moment, je m’intéresse vraiment à tout ce qui est écriture de scénarios et de campagne – y compris des choses plus carrées (comme pour la Gazette d’Argosia numéro 4 ou les scénarios pour Donjons et Chatons dans les gazettes de l’Arbrachat). On mène, avec mon équipe, une grosse réflexion sur ces questions d’écriture, avec de grosses envies éditoriales. Et si moi je suis à l’aise avec le bac à sable, j’ai quelques auteurs sous le coude qui planchent sur des modèles de campagnes toboggan ou hybrides (moitié bac-à-sable, moitié toboggan). Pour en revenir à ta question, j’essaie donc d’avoir des propositions didactiques pour amener les MJ à apprendre à lâcher prise et puis, je propose quand même des choses plus classiques si tu fais bien attention.

  1. J’ai vu que tu avais délégué les illustrations cette fois-ci. Moi qui te voyais comme le Rémy Bricka du JdR francophone, ça casse un peu mon délire. C’est dommage de ne plus être dans l’œuvre totale maîtrisée de A à Z, non ?

Je serais un vrai homme-orchestre si je pratiquais aussi le jeu solo. Mais en vrai, j’aime le JdR pour la convivialité et les échanges. Si je peux tout faire, ça ne veut pas dire que ça m’amuse tout le temps d’être seul. Le boulot en équipe, les échanges, les discussions, les débats, les idées nouvelles qui jaillissent des confrontations, tout ça, je le pratique depuis longtemps et même sur mes projets persos – on a toujours besoin d’un miroir, d’un retour, d’un échange autour d’un café avec les potes. Il y eut très peu de projets où j’étais vraiment tout seul – ne serait-ce qu’à cause des parties de test, où j’étais face à mes joueuses, à attendre leurs retours, leurs avis, leurs contre-propositions. Désolé de te décevoir, mais je ne suis pas une île.

  1. Et donc, quand on a eu l’habitude de tout gérer comme toi, c’est facile de travailler avec une… euh… collaboratrice ?

C’est un projet qui a cinq ans d’existence. Je l’ai écrit quand ma grande fille, mon aînée, avait seize ans et était en classe de première arts appliqués, avec déjà un sacré coup de patte. Je lui ai proposé qu’on fasse un bouquin ensemble, comme boulot d’été. Le bon plan : elle bosse son dessin sur un projet pro et elle est payée avec les droits d’auteur. Bon, ni elle ni moi on n’a eu l’intelligence de comprendre que quarante illustrations (ou plus), c’était pas un truc si facile que ça. Moi, c’est bon, j’ai l’habitude, quarante illustrations c’est quinze jours de taf quand je suis lancé. Pour une gamine qui doit encore gérer sa technique, sa cohérence, sa satisfaction, son organisation et ainsi de suite, c’est pas du tout le même truc. Bref, le premier été a vu la création d’une dizaine d’illustrations (magnifiques) mais ça a tiré la langue. Au cours des étés suivants, ma fille a remis ça, avec des résultats cool, mais pas plus importants – bah, oui, faut tout refaire à zéro puisque les techniques et le trait ont changé.

Et puis voilà, cet été, c’était l’âge de la maturité. Juste avant de rentrer en Master d’illustration, avec plein d’années de travail et de pratique derrière elle, de prise en assurance et en confiance, d’apprentissage de gestion de projet et ainsi de suite, Kerdui a produit tout le matos graphique, plus la maquette, en l’espace de six semaines. Professionnelle quoi. Malgré le fait que j’ai été un vrai directeur artistique, exigeant, lui faisant refaire des crayonnés, ajouter des détails, en discutant tous ses choix et les miens jusqu’à ce qu’on arrive à un truc qui nous satisfasse tous les deux. Croyez pas que j’ai été gentil parce que c’était ma fille… au contraire, je pense que j’aurai été moins chiant avec un quidam quelconque. Mais au bout du compte, je suis incroyablement fier du résultat. C’est parfait (pour moi) d’un bout à l’autre, l’adéquation des images et du textes, des ambiances et du fond. Et quel bonheur de bosser avec sa fille quand même (et de faire avec elle son premier livre édité !)

  1. Surprise : cette nouvelle sortie Chibi n’est donc PAS du Cœurs Vaillants. Tu as beaucoup sorti de matériel pour ce jeu ces dernières années. De la lassitude ?

Pas du tout. Cœurs Vaillants, c’est le jeu que je maîtrise le plus souvent (en fait tout le temps). Dans les coulisses, on travaille sur une seconde version du jeu (le gros projet en équipe dont je parlais plus haut), basé sur l’architecture d’Argosia de poche (le gratuit de juillet 2022 si je ne dis pas de bêtise). Ce sont les mêmes règles que la V1, légèrement plus simple même, avec un gros boulot sur la structure des aventuriers pour les rendre encore plus facile à jouer, à la fois plus narratifs et plus tactiques aussi. On a encore plusieurs mois de taf dessus et on perfectionne, on lisse, on teste, on revient sur des détails, on bosse la langue et le lexique et ainsi de suite. Ça sera un gros bouquin, gavé de conseils, de matériel de jeu (et, oui, des tables aléatoires) et de trucs à jouer. Et on a d’autres projets derrière, avec le système, sur d’autres univers qu’Argosia, mais il est encore trop tôt pour en parler.

Pour moi, en tout cas, le système représente vraiment un point d’équilibre quasi parfait entre rigueur mécanique et liberté narrative, entre simplicité pour les joueuses pas techniques et potentiel de maximisation pour les joueuses techniques. On y a mis des heures de discussions théoriques sur le pourquoi de chaque élément, sur l’intérêt de tel ou tel point de game design, avec les retours de très nombreuses tables (et oui, ça a même été testé à haut niveau !)

  1. Et, du coup, il y a de l’avenir pour la gamme CV ?

Oh, mais grave. Tellement. Les règles, des livres-univers, des scénarios et des campagnes. Ouais. Plein.

  1. Puisqu’on parle planning, je suis aussi l’heureux rédacteur de celui du Fix (soupir). Tu peux peut-être me rencarder : les entrées pour les VF de Hârn et de Zyborg Commando Ressurection Overdrive, je les garde ou non ?

Vu les ventes de Hârn, le livre de base, par rapport au boulot qu’il m’a demandé, je ne sais pas si je peux me permettre de sortir la suite. Une partie est traduite, mais ce qui reste encore à faire est vraiment un énorme travail pour lequel je ne manifeste aujourd’hui aucune envie particulière. C’est sans doute décevant, mais voilà, je travaille déjà à perte, je ne peux pas me permettre d’y aller de ma poche en plus.

Zyborg Commando, c’est un rendez-vous raté, pour le moment. Le bouquin est traduit, maquetté, une partie des illustrations réalisées, mais je n’ai pas eu le temps d’y replonger depuis que j’ai dû le laisser de côté. Ça viendra peut-être si l’auteur original le veut bien. Sinon tu peux ajouter un nouveau module pour Coureurs d’Orages, Pax Eriryon, qui sortira sans doute ce mois-ci, et puis une élucubration de l’horloger sur les gobelins, écrit par Islayre d’Argolh, qui sortira peut-être en début d’année prochaine. Il est écrit depuis une paye mais j’ai pas du tout eu le temps de le mettre dans ma pile de travail. Pour CV², on reviendra en causer en temps et en heure.

  1. Tu es récemment intervenu dans les commentaires d’un article du Fix. J’ai compté : tu y as posté l’équivalent en signes d’un Chibi de taille moyenne. Toi aussi, tu penses donc que « quelqu’un a tort sur Internet » ?

Non pas spécialement. Je suis un lecteur régulier du Fix (oui, toi, pourquoi ne sors-tu rien le WE, je m’ennuie le samedi et le dimanche matin) et l’article sur JdR Mag était très intéressant. Sébastien revenait seulement et de manière très rapide sur une histoire que j’ai complètement ratée. Et j’ai bêtement posé la question dans le commentaire, espérant avoir une réponse claire et simple. Ça n’a pas été le cas. Et après, bon, tu me connais, je n’ai rien contre écrire, argumenter, discuter, poser des choses. J’ai essayé d’être raisonnable, raisonné, mais aussi clair et franc dans mes positions parce que ça me semble important de ne pas avancer masquer. Ouais, j’ai une certaine morale politique – qui ne consiste pas à manger des petits enfants contrairement à ce que certains semblaient suggérer. Cela dit, j’ai beaucoup appris au cours de cette semaine d’échanges et j’ai pris conscience de certains points qui m’avaient échappé et que je ne comprenais pas (pas seulement dans les commentaires, mais d’une manière générale, dans les médias). J’ai enfin mis des mots sur des impensés. J’en suis bien content…

Mais en même temps, vous devez être content, non ? À chaque fois que je me pointe quelque part, j’explose le chiffre des visites…

https://legrumph.org/Terrier/public/

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2 pensées sur “Chibig Boss

  • 12 octobre 2023 à 23:07
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    Arf du coup j’ai été perdre mon temps sur les commentaires de l’article sur jdr mag. Pour me rendre compte que j’aimais pas Jean-René et que j’aimais toujours Le Grümph. Mais ce qui compte avant tout c’est l’article d’aujourd’hui sur chibi : ça donne envie de jouer.

  • 13 octobre 2023 à 21:28
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    Est-ce qu’il a évoqué Oltrée 2 ?

Commentaires fermés.