Sommes-nous Félons pour l’autre ? [chronique supplément Les Oubliés]
Le jeu Les Oubliés, publié par les XII Singes, avait eu bonne presse chez nous au moment de sa sortie. La preuve : https://lefix.di6dent.fr/archives/11295
Pour résumer (c’est moi ou vous devenez de plus en plus fainéants ?), il était difficile de ne pas être favorablement impressionné par ce jeu : bien écrit, bien illustré et surtout un jeu avec une vraie identité le distinguant instantanément de tous ses innombrables concurrents. Au-delà de la direction artistique bien spécifique (tout en noir et blanc), c’est le thème qui impose le jeu dans la paysage ludique où, miracle, il réussit à venir occuper une niche laissée vacante depuis 1974 (à l’exception, peut-être, du jeu de Two Little Mice, Household, mais resté – pour le moment vu la hype italienne ? – en italien et donc encore très confidentiel).
En effet, pour rappel, dans Les Oubliés, on incarne des êtres minuscules, sortes de fées pas plus grandes que les doigts de la main qui se confrontent à l’univers le plus dangereux qui soit : le nôtre. Avec son cortège de gros sabots, de chats errants, de feux de cheminée ou de passages de serpillère intempestifs, ce ne sont pas les périls à éviter qui y font en effet défaut ! Heureusement, les Oubliés sont des êtres plein de ressources, vivant en communautés (plus ou moins) soudées et capables de faire appel à des formes de magie pour s’en sortir.
Pour décliner ce joli thème inédit (OK, sauf si vous êtes vieux et que vous connaissez par cœur tous les épisodes des Minipouss…), les XII Singes proposaient déjà un début de gamme respectable avec deux gros livres de base, un atlas complet en guise de supplément, un écran, une mini-campagne de 80 pages accompagnant celui-ci, des livrets de PJ, etc.
Il y avait visiblement encore à dire sur cet univers au background très riche et l’éditeur simiesque a donc décidé d’organiser un nouveau foulancement, assez modeste, pour pouvoir publier du suivi sous la forme de Félons, un livre de 208 pages et de quelques accessoires supplémentaires, essentiellement des decks de cartes mais, excusez du peu, pas moins de quatre decks de cartes !
Le livre supplémentaire possède un gabarit et une présentation complètement similaires aux déjà 4 autres livres de la gamme : c’est du petit format, du tout noir et blanc…. mais pas du tout pour des raisons de coût ou par philosophie volontairement cheap comme cela pouvait être le cas aux tout débuts de l’aventure éditoriale des XII Singes. Ici, le noir et blanc fait pleinement partie de la direction artistique voulue et les illustrations sont en grande partie réalisées par l’autrice et l’auteur eux-mêmes dans un projet artistique global qui force le respect. De plus, le livre est tout en papier glacé et couverture en béton armé. De la belle ouvrage.
On ne peut guère parler de supplément thématique. Certes, des traîtres, il va y en avoir dans ce livre mais pas forcément plus que dans la moyenne des suppléments de JdR. Non, c’est là typiquement un supplément de suivi un peu fourre-tout avec, pour l’essentiel deux gros scénarios mais aussi une partie « compagnon » qui propose divers compléments de règles.
La place éminente des deux scénarios se justifie amplement car Les Oubliés est un univers de jeu original au gameplay particulier. Il est assez intimidant de se lancer dans l’écriture de ses propres scénarios et on est ici assez loin de formes modernes de conception de scénarios qui seraient centrés sur les PJ ou émergents au gré des événements. Non, c’est du classique, assez (trop ?) scripté, avec des chronologies déjà bien fixées. On aime ou pas : mieux vaut le savoir avant de se lancer. Pour la première hypothèse, en revanche, vous êtes assurés d’en avoir pour votre argent. Il ne s’agit pas de petites péripéties mais bel et bien de deux intrigues à tiroirs avec de longs déplacements qui pourraient les faire passer chacun d’entre eux pour des mini-campagnes qui, en tout cas, nécessiteront plusieurs séances pour être menés à bien.
Il est toujours délicat d’évoquer plus en détails des scénarios dans le cadre d’une chronique. On fera quand même un focus sur le second, Une prière avant de dormir, qui, à titre personnel, m’a le plus favorablement impressionné. De mon point de vue, c’est vraiment le scénario-type des Oubliés. Celui que vous aurez envie de donner à jouer pour aider vos nouveaux joueurs à cerner le jeu. Celui dont vous aimerez aussi vous inspirer quand sera venu le moment de tisser vos propres intrigues.
Alors, d’abord, comme suggéré plus haut, attention, on parle-là d’un scénario de 70 pages, pas d’un post-it collé derrière l’écran. C’est donc bel et bien une mini-campagne en plusieurs moments-clefs. Le premier évoque une situation typique de la vie des Oubliés mais que vous aurez du mal à imaginer si vous n’utilisez pas, au moins au début, ce type de scénario prêt-à-jouer. Les PJ doivent en effet se dépasser au long cours, ce qui, pour les Oubliés, veut dire… traverser deux ou trois maisons et les ruelles les séparant. Quand on fait quelques centimètres de haut et qu’on se bat avec une aiguille et un bouton de culotte en guise de bouclier,c ‘est déjà un défi énorme. Surtout si on rencontre un chat, un rat ou un enfant trop curieux. Cette section est traitée de façon assez scriptée avec des défis à relever chaque jour par les PJ : la situation s’y prête bien.
La suite est à la fois la découverte d’une « ville » du Petit Peuple avec ses PNJ, factions, lieux importants, petits trafics, etc. Outre la description minutieuse, le scénario propose un système d’intrigues à jouer en bac à sable avec une numérotation savante des épisodes que l’on peut ainsi intercaler entre deux initiatives des PJ ou d’autres épisodes d’une autre intrigue. Cela prend de la place, cela fait parfois un peu formulaire administratif (« voir épisode B2 ») mais cela semble efficient et le scénario reste sans doute plus facile à mettre en œuvre que l’autre gros morceau du recueil, de qualité aussi mais avec une intrigue à plusieurs bandes assez alambiquée.
Enfin, ce gros scénario a aussi pour mérite de permettre d’aborder une autre spécificité de Les Oubliés : l’interaction entre le Petit Peuple et notre propre peuple de pas bons gros géants. Avec le livre de base, on pouvait parfois se demander à quoi bon avoir localisé le jeu durant l’époque de la Renaissance et des Guerres de Religion en particulier. Cette fois-ci, cela prend tout son sens dans ce scénario. Ce double niveau de lecture enrichit encore les possibilités d’un contexte de jeu qui, définitivement, n’en manque pas.
Le dernier tiers du livre est donc la partie « compagnon ». Moins indispensable, elle n’en reste pas moins sympathique. Eh, des coups spéciaux, des sortes et des monstres pour les expérimenter, c’est la Vraie VieTM, non ?
La première partie de cette section règles est donc consacrée à des écoles de combat pour personnaliser encore plus votre minuscule combattant. Ces écoles permettent de débloquer par l’entraînement qu’elles dispensent des coups spéciaux à utiliser en combat. C’est l’occasion de rappeler que Les Oubliés est un jeu assez velu en règles, notamment lors de la résolution des combats. Ce n’est certes pas Rolemaster mais il est aussi évident que ces coups spéciaux vont alourdir les combats. A vous de voir le seuil de tolérance de votre tablée.
Cela dit, la section est dans tous les cas agréable à lire. Ce n’est nullement du 100 % règles et stats : la description de chaque école de combat est un petit plaisir qui enrichit le background et peut même s’accompagner, parfois, d’idée d’aventure.
La section se termine par une page dédiée à deux petites propositions pour rendre le combat plus mortel et « réaliste ». Hum, quand on vient de lire les défis qui attendent les PJ dans les deux scénarios qui ouvrent le recueil, on se dit : franchement, est-ce bien raisonnable ?
La fin du recueil est consacrée à toute une liste de sortilèges supplémentaires, tous accessibles dès la création des PJ. Cette section aborde aussi une nouvelle forme de magie accessible, elle, aux mages les plus expérimentés. Elle vient aussi avec ses propres sortilèges.
Enfin, un court bestiaire (et herbier !) peuplant le monde onirique est inclus : il trouvera son utilité dans le premier scénario du recueil (chut, j’ai rien dit !).
Au bilan, Félons est un supplément quasi indispensable. Il comporte du matériel pouvant offrir de très longues heures de jeu et les règles additionnelles sont des bonus sympathiques : un très bon rapport qualité/prix.
C’est sans doute un peu moins le cas, il faut le dire, pour les decks de cartes qui, donc, au nombre de quatre, remettent en fiches à l’échelle de cartes à jouer standards tous les sortilèges du jeu, y compris ceux du supplément. C’est sans nul doute un accessoire pratique mais il nécessite un investissement plus que conséquent puisqu’il est difficile de ne pas acquérir l’ensemble du lot si on décide l’en utiliser autour de la table.
Comme on disait chez les géants au temps de Les Oubliés : chacun se fera sa propre religion sur la question…
Très bon supplément , je le recommande vivement. Merci pour votre article !
Excellent univers que celui des oubliés, et le supplément Félons continue de l’approfondir. Dommage que les scénarios proposés dans la gamme soient aussi linéaires et scriptés, c’est potentiellement un tue l’amour pour moi. heureusement il y a tellement de matière qu’il est possible de piocher dans toutes les ressources et inspirations pour mener des campagnes moins guidées et plus centrées sur les personnages.
Bonjour j’aime particulièrement cette gamme. Ce supplément est parfait pour approfondir l’univers. les botes de combat et les sortilèges sont un vrai plus sur cette gamme.
Un des deux scénarios est un véritable bijou avec de multiples intrigues .