Nos régions ont du talent [chronique L’Alsace mythique pour Vaesen]

Note de la Redac6on : à l’origine, il était prévu d’aborder en vrac dans cet article tout le reste de la gamme Vaesen en VF – sachant que la chronique du livre de base se trouve ici : https://lefix.di6dent.fr/archives/23183. A la lecture, toutefois, L’Alsace mythique nous a fait si forte impression que nous avons donc décidé de lui accorder la totalité de cette chronique. Cela ne veut pas dire que le recueil de scénarios L’inavouable secret & autres mystères est mauvais ou sans intérêt. Il fait très bien le job mais nous en avions déjà proposé une chronique VO ici : https://lefix.di6dent.fr/archives/15292 La VF est totalement identique. Quant à l’écran, voilà notre avis, en substance : il est très beau. De rien.

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Alors là, avouons-le : on était parti sur un malentendu.

Quand on a vu surgir en marge du très attendu foulancement de la VF de Vaesen un supplément de création francophone (en l’occurrence consacré à l’Alsace), on s’est dit que c’était sympa ce genre de petits bonus mais que, à part faire mousser l’éditeur – Arkhane Asylum, donc – qui peut ainsi clamer haut et fort « eh, oh, non, je ne fais pas rien qu’à traduire les jeux Free League à a chaîne ! », cela nous faisait ni chaud, ni froid. Nous, ce qu’on voulait, c’était jouer dans la Scandinavie mystérieuse du XIXe siècle. Pas manger de bretzels. Na.

Là-dessus, on a reçu les livres, prenant un soin particulier à mettre de côté ce L’Alsace mythique, sorte de cousin un peu débile qu’on accepte bon gré mal gré comme étant de la famille mais qui ne peut que nous intéresser en dernier, quand on aura fait connaissance avec tout le reste de la gamme.

Pourtant, un indice, déjà, aurait du nous faire dire que nous faisions fausse route. Le petit machin croupion attendu, c’est en fait un gros livre, quasi l’équivalent du livre de base avec ses 206 pages (une vingtaine de moins que le livre de base VF seulement). Vu la construction, chapitre par chapitre, au cours du foulancement, à force de débloquer des paliers, on n’avait pas imaginé que le projet avait pris une telle ampleur.

Sa forme est à peu près similaire au livre de base et si, forcément, il ne peut se targuer d’être illustré par Johan Egerkrans, il peut se consoler avec les illustrations, tout aussi sublimes, de Yvan Villeneuve qui a su marcher dans les traces du maître tout en conservant sa touche propre. Ne vous arrêtez pas à la couverture, moins lisible et frappante que celle du jeu de base : l’intérieur est vraiment superbe.

En fait, le secret, il est là : L’Alsace mythique n’est pas un supplément Vaesen. C’est un jeu à part entière.

Certes, il réutilise les règles de base et la structure des « mystères » (= scénario)  de son grand frère scandinave mais contexte, date, organisation à laquelle appartiennent les PJ, règles du jeu même parfois sont allègrement modifiés pour rentrer dans la vision particulière de ce setting qui, signé d’un seul homme (Robin Schulz, déjà identifié ici pour son travail actuel sur Tainted Grail de Studio Agate), possède une grande cohérence interne. Pas du tout, du tout, le petit fourre-tout régionaliste vite fait bien fait que j’imaginais au départ.

Là encore, la construction lente, chapitre par chapitre lors du CF ne plaidait pas vraiment pour une structure aussi cohérente au final. De même, les précédentes incursions de l’éditeur dans ce genre de création additionnelle locale n’avaient pas fait aussi forte impression : les ouvrages collectifs La France des années 1980 et La France des années 1990, en particulier, pour les gammes Tales from the Loop et compagnie étaient certes de sympathiques expériences mais restaient un peu anecdotiques par rapport à cet essai-là. Pour essentiel, il s’agissait de compilation d’aventures sans grande cohérence entre elles. Ce n’est pas du tout le propos de L’Alsace mythique. C’est même sans doute son seul point faible (les scénarios).

Classiquement, on a donc bien un background généraliste pour commencer. On se situe dans les années 1850. L’Alsace est toujours française à cette date mais c’est une contrée bien exotique (un peu comme la Bretagne de l’autre côté) pour les autres Français de l’époque. Ainsi, l’auteur égrène les attendus Histoire, vie quotidienne (avec un focus bienvenu sur les femmes), Géographie, villes et autres lieux remarquables… C’est très agréablement écrit, bien découpé en parties digestes et égayé très régulièrement par des encarts avec des focus divers, des pistes de scénarios, etc.

C’est ensuite que de dévoile la proposition de jeu originale du supplément/spin off alsacien. Le méta-personnage est ici changé : c’est le Cénacle et si, comme il se doit, il se confronte au surnaturel et aux êtres mystérieux (comme son cousin scandinave, donc), il est lui-même le lieu d’un conflit interne, existentiel même. L’Alsace est en effet à cette époque gagnée par la Révolution Industrielle et celle-ci est assurément peu compatible avec la survie de nos petits êtres des forêts et autres créatures surnaturelles des rivières. Le Cénacle est donc confronté au dilemme suivant : doit-il surfer sur la vague industrielle pour élimine rune bonne fois pour toutes les menaces liées aux conflits entre humains et êtres surnaturels ? Ou bien doit-il protéger les territoires des êtres surnaturels contre les ravages de l’industrie afin de garder, quand même, du sens à son existence même ?

A cet enjeu, déjà très pertinent car ajoutant sens et lisibilité à l’action du Cénacle, il convient d’ajouter un conflit externe : le Cénacle est en effet aux prises depuis des siècles avec une organisation, la Sororité, qui réunit des sorcières qui ont dû se cacher et s’entraider pour échapper aux terribles chasses aux sorcières qui ont ensanglanté la région il y a des siècles de cela. Depuis, la sororité est restée une société secrète qui tire les ficelles en coulisses pour son propre intérêt.

A ce stade, on peut le dire : le Cénacle est plus intéressant que la Société de Vaesen et la proposition de jeu du spin off est sans doute plus riche que celle du jeu-mère.

 

Le plus beau, c’est que toutes ces nouveautés s’accompagnent de règles supplémentaires, toutes sous la forme de sous-systèmes qui s’additionnent ou remplacent ceux du jeu de base, sans alourdir pour autant le moteur de jeu tiré du Year Zero.

Ainsi, le dilemme du parti à prendre est-il représenté par une piste illustrée (à télécharger sur le site de l’éditeur) sur laquelle le Cénacle, repris en main par les PJ, va devoir se positionner. Chaque avancée dans un sens ou dans l’autre (nature ou industrie, donc) va procurer avantages et inconvénients au groupe : il leur sera de plus en plus profitable d’agir en ville ou auprès des industriels si, par exemple, leur cœur penche pour la révolution en cours. Dans le même temps, ils auront de plus en plus à craindre les ballades en forêt la nuit… Et vice-versa.

L’idée du développement du quartier général du Cénacle est reprise du jeu de base mais encore améliorée ou, en tout cas, rendue encore plus sexy. Le QG des PJ dispose en effet de plans et de stickers (à télécharger là aussi sur le site de l’éditeur) très bien illustrés. Quand les PJ améliorent significativement leur QG ou achètent avec leur expérience commune une nouvelle installation, ils peuvent ainsi customiser la carte en y collant les bons stickers.

C’est clairement inspiré de la logique de nombreux jeux vidéo et on peut penser que ce n’est pas la seule fois où l’auteur du supplément a été inspiré par le gameplay cher aux jeux vidéo en monde ouvert (genre Assassin’s Creed par exemple). Ainsi, il est proposé en guise de fil rouge de la campagne que joueront les PJ une quête aux reliques et autres objets mystérieux à travers toute l’Alsace. Cela se fait de façon aléatoire et donc sans lien avec l’intrigue en cours (c’est clairement une « quête secondaire ») et cela pourra en choquer certains tant cela fait « coffre à ouvrir sur la map ». En même temps, si ça plaît tant dans la pratique du jeu vidéo, cela ne peut-il pas aussi amuser les rôlistes réunis autour de la table le vendredi soir ?

 

Le principe est poussé plus loin avec un autre fil rouge : un ennemi récurrent. La Chasseur de Nuit est un être mystérieux qui, lui-même, chasse les êtres surnaturels et qui, selon les cas, pourra tout aussi bien sauver des PJ en difficulté que, le plus souvent, perturber leurs quêtes… quand ce n’est pas chercher à les supprimer purement et simplement. L’irruption de cet ennemi redoutable est définie par des règles et, parfois, une part d’aléatoire.

A côté de toutes ces innovations et apports au jeu de base, on retrouve, pour en finir avec les règles, des choses plus classiques dont de nouveaux archétypes (pas forcément des plus exaltants : bûcheron, colporteur…) et quelques talents supplémentaires, un peu anecdotiques par rapport à ce qui précède.

Autre classique attendu : le chapitre, copieux, sur équivalent des Vaesen, qui restent bien sûr au cœur des mystères/scénarios du jeu. En langue locale, cela s’appelle des Ardmännelle. Le format de présentation est similaire à celui du jeu de base : double-page (parfois même plus) avec une chouette illu et au moins une idée d’intrigue. Les ardmännelle sont parfois assez classiques, voire génériques (géant, dragon, dame blanche…), parfois plus franchement lié au contexte alsacien (ondine, Frau Bechta ou… lièvre à trois pattes !).

Évidemment, malgré toutes ses nombreuses qualités, L’Alsace mythique n’est pas en capacité de résoudre un des principaux obstacles à la pratique de Vaesen : si vous ne vous sentiez pas à l’aise avec l’ambiance 19ème siècle scandinave, vous ne serez pas forcément plus à l’aise (sauf si vous êtes… alsacien ?) avec l’Alsace de 1855. Il n’empêche que, malgré tout, on se rapproche un peu plus des repères que possèdent tous les Français s’intéressant à cette période et on se prend à rêver d’un grand plan ambitieux mené par Arkhane Asylum pour couvrir petit à petit toute la France selon ce modèle : la Bretagne, la Normandie, le Périgord, la Provence (et Nice en particulier ?), etc. Ce serait formidable. Sans doute déraisonnable sur le plan économique mais formidable.

Après, l’intérêt pour un éditeur d’organiser ainsi la concurrence interne avec sa gamme Maléfices n’apparaît pas évident non plus et, au final, on risque donc de devoir se contenter de cette seule incursion alsacienne. A moins que, de façon plus ponctuelle, on puisse bénéficier de quelque chose sur la Bretagne continentale à l’occasion de la VF (qui arrivera bien un jour) du supplément Mythic Britain & Ireland (qui évoque les îles britanniques, lui) ? Attention, ceci n’est pas une information, juste de la pure spéculation de notre part.

Surtout, ce qu’on aimerait lire, c’est la suite de L’Alsace mythique. En effet, le principal défaut de cette entreprise, c’est son très net goût d’inachevé que laisse sa très agréable lecture. Tout ça pour « ça » ? Ça, c’est le seul mystère proposé en fin de livre, très clairement présenté dans tout l’ouvrage comme étant seulement « introductif ». C’est à l’issue de ce mystère inaugural que les PJ entrent réellement dans le Cénacle et se voient confier la gestion de son nouveau quartier général, ce qui implique d’en jouer d’autres.

De façon plus générale, L’Alsace mythique s’est faite grosse comme un jeu à part entière avec sa propre création de PJ, ses propres ennemis récurrents, sa propre quête de sens entre nature et industrie, etc. Devoir se contenter d’un seul scénario pour ensuite se dépatouiller à créer la suite avec ses doigts boudinés, cela peut faire peur.

Alors, certes, il existe un long scénario alsacien en PDF gratuit sur le site de AAP : L’escarboucle de Vesontio. Si vous êtes un fidèle du lundi, vous le connaissez déjà : https://www.arkhane-asylum.fr/medias/2/VAE-Escar-boucle-5440.pdf

Mais on en aimerait beaucoup plus, si possible sous la forme d’un recueil de scénarios permettant de pleinement exploiter les très riches possibilités de ce Vaesen à l’alsacienne.

Chiche, Arkhane Asylum ?

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