A table (ronde) !

Bah alors, qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que c’est l’annonce de la sortie de Pendragon sixième édition ce printemps qui provoque une résurgence de jeux arthuriens ? La disparition de JH Brennan, auteur de l’hilarante et cultissime série de livres-jeux Quête du Graal le mois dernier ? Écrasé pendant quatre décennies par le poids du magnum opus de Greg Stafford, le genre arthurien se décline en 2024 dans plein de saveurs différentes. Au menu, de l’uchronique, du mystique, de l’apocalyptique…

Vous dites ? Est-ce qu’il y a du « D&D 5ème édition » à l’horizon ?

On ne fait pas de ça ici, voyons. Pour le moment.

Tainted Grail TTRPG [VF]

Tainted Grail TTRPG : La Geste d’un monde mourant présente un univers impitoyable et mélancolique inspiré du mythe arthurien et du folklore celtique », proclame la page de la campagne campagne Gamefound, lancée depuis le 13 février. Il s’agit de la version « rôle » d’un jeu de plateau à succès, véritable JdR sans MJ (certains diront plutôt : « un livre dont vous êtes le héros de luxe qui coûte 100 balles et prend une demi-kallax à ranger ») où l’on explore le pays d’Avalon, en train de disparaître, englouti par le Wyrd, une brume magique corruptrice. Très évocateur, très riche, très long à jouer, le jeu de plateau a connu plusieurs extensions sous forme de véritables « campagnes » (L’Âge des légendes et le dernier chevalier, prequel et suite du jeu principal, et La Mort rouge).

Côté système, le JdR ne reprend pas celui du jeu de plateau, qui utilise des enchaînements de cartes pour les affrontements (pas évident du tout à saisir, mais très intéressant), mais celui des Ombres d’Esteren publié par le même studio (Agate, éditeur de Dragons qui sort tout juste du looooong foulancement de Vermine 2047) : la somme d’1d10, d’une carac’ et d’une compétence doit dépasser un seuil de difficulté pour réussir. Et c’est Agate qui est venu démarcher l’éditeur polonais du JdP, Awaken Realms, pour faire en version JdR cette « interprétation désespérée des légendes de la Table Ronde, dans laquelle l’humanité est vouée et surtout responsable de sa propre perte. C’est une exploration intime de notre condition d’homme, de nos contradictions et de cette insoutenable impuissance, qui nous pousse au pire ».

Ce n’est pas nous qui le disons, c’est Robin Schulz, co-auteur et responsable éditorial du jeu chez Agate dans l’inévitable interview-interro du Fix. Le PDF du jeu doit être envoyé dès la fin de la campagne, qui se déroule jusqu’au 8 mars. La boîte « deluxe » avec plus de matos qu’il n’est possible d’écrire (écran, dés, cartes, figurines, etc.) proposera aussi un système pour passer du JdP au JdR -pour la modique somme de 150€. On peut bien évidemment prendre le bouquin de base seul pour 50€, ou 30 balles en PDF. Truc de fou : ce sera en français, tout de suite, là ! Enfin, pour l’automne 2024, au moins, pour les souscripteurs, promis, juré.

The Winter King [VO]

Tiens, une uchronie arthurienne ! Dites plutôt « dark Britannia uchronia ». Et si Arthur avait été étripé par son vilain fiston Mordred pendant la bataille de Camlann ? Le « roi du printemps » tué, l’Angleterre est désormais dirigée par le « roi de l’hiver », et forcément l’ambiance est bien bre-som. On joue donc des héros tourmentés -descendants de ceux morts à Camlann, un peu comme dans le vénérable Birthright pour AD&D- chargés d’empêcher le royaume de sombrer dans la Nuit éternelle de l’Hiver… L’éditeur nous promet monts et merveilles côté mécanique : « un système de combat solide et excitant, permettant des affrontements rapides et décisifs », ainsi qu’un système de magie « qui offre le parfait équilibre entre flexibilité et déterminisme ».

En attendant de voir, disons que le système repose sur le jet d’un pool de D6 (entre 2 et 5), et qu’on compte un succès par dé affichant 5 ou 6, les 6 valant double. Précision : le jeu n’est pas une adaptation de la série du même nom (diffusée sur OCS depuis octobre dernier) d’après les romans de Bernard Cornwell, qui re-raconte la légende d’Arthur avec un look « historique » (notez les guillemets). Tout cela coûte 30€ (le PDF du livre de base) au minimum, et 240€ (la version super deluxe avec moult dés, affichettes, livres collectons…).

Knight : Second edition [VO]

Puisqu’il faut que quelqu’un s’y colle, voilà de l’arthurien « powered by the Apocalypse » ! Ce n’est pas une version recalibrée de notre Knight français, le jeu post-apo avec des armures de combat, mais « a rules light storytelling and roleplaying game in the tradition of Arthurian romances ». Bien que se déroulant dans un univers strict et bien défini (les chevaliers du royaume d’Avalon), Knight promet de « ne proposer aucune limitation en termes de cadre de jeu ou de background, puisque de nombreuses religions, croyances, sexualités et genres peuvent fonctionner avec Knight », affirme la page Kickstarter (le foulancement a lieu jusqu’au 21 février).

Il y a bien évidemment des règles de gestion de maison noble, et de génération : on peut jouer jusqu’à trois personnages descendant les uns des autres, après quoi le jeu se termine. Il y a aussi un mode solo (comme Pendragon, hé !) et une campagne qui se déroule sur 80 ans. Et même un système pour jouer des batailles rangées à l’aide de fiches cartonnées ! Le tout est illustré par « stunning and evocative art from classical painters », manière jolie de dire que le jeu réutilise toute l’iconographie arthurienne libre de droits, des enluminures médiévales aux pré-raphaëlites. Vous me direz, ça vaut toujours mieux que du Midjourney…




Mythic Bastionland [VO]

C’est d’ailleurs Midjourney qui illustrait le premier Quickstart de Mythic Bastionland, la dernière création de Chris McDowall, l’auteur d’Into the Odd. On y joue des Chevaliers (ben tiens) explorant une carte à hexagones et affrontant des Mythes, sortes d’adversaires aussi mystérieux que colossaux genre Grands Anciens -le Mur, la Peste, le Soleil, l’Araignée. Mythic Bastionland propose aux PJ un But, un Vrai : accumuler 12 points de Gloire en faisant le business habituel du Chevalier (tournoyer, guerroyer) afin de tenter l’étrange « Quête de la Cité ».

Les règles sont ultra simples (trois carac’ testées sous le jet d’un d20, on jette juste les dés de dégâts en combat…), et le jeu va proposer, outre des règles d’exploration de carte (on dit « hexcrawl » quand on est jeune), 78 Chevaliers assez originaux à incarner ou affronter (le Chevalier à l’escargot, le Chevalier cosmique) et autant de Mythes pour peupler son bac à sable. C’est LE gros truc du jeu, à tel point que leur description occupe 150 pages sur les 200 du bouquin. Tout cela est diablement inspirant, bien qu’un peu obscur (ou « mystique », selon votre sensibilité, et s’adresse à des rôlistes plutôt à l’aise avec peu de règles et capables de broder sur quelques concepts forts, qui ne demandent qu’à être cannibalisés pour un autre jeu (ceux qui se demandent par exemple où est la version D&D5 de Pendragon). La campagne Kickstarter est terminée, mais on peut précommander le livre de base -pas du tout illustré par IA- ici.

La Geste du Nadir [VF]

Jeu de rôle « post-arthurien » situé un quart de siècle après le règne du bon roi : sa descendante, Elyr-Anne Pendragon, retire Excalibur du rocher et c’est un peu le zbeul. Projet ambitieux et lumineux, qui a connu une première tentative de foulancement loupée (on vous en parlait ici), la nouvelle version a été financée de justesse en mai 2022. Et le jeu a pris un petit peu de retard. Le PDF ne devrait pas tarder. Il y a aussi un écran, un jeu de tarot, des battlemaps…

Le kit d’initiation, assez copieux (et disponible ici) laisse présager d’un système assez dense : un personnage -pas forcément chevalier, notez- est défini par sept caractéristiques divisées en quatorze sous-carac’, des Héritages, des Talents, des Compétences, des Avantages/Inconvénients et une farandole de valeurs dérivées. Le tout tourne avec 3d12 ou 1d20, dont le résultat doit être inférieur à une valeur testée. C’est peut-être dense mais c’est bien joli, et vice-versa.

Pendragon 6E [VO, bientôt VF]

Bon, tout cela est très bien, mais à quoi va ressembler la nouvelle version de l’Ancêtre ? Prévu pour avril, un « Player’s Book » (ce qui nous promet déjà un « GM book » ou bien je ne sais plus différencier un d4 d’un d12) et une campagne, The Grey Knight -en fait la révision de la toute première publication pour Pendragon en janvier 1986, le mois de la mort de Daniel Balavoine, pour vous situer la chose.

Le système semble à peine changé depuis 1986. Un D20 inférieur à égal à la valeur testée pour réussir, des traits de passion, des compétences… ça tourne très bien depuis que Balavoine est mort, mais ceci dit, les gars de chez Chaosium ont révisé la machine en prenant en compte les retours suite à la diffusion à l’automne 2020 (déjà) de The Great Hunt, un kit de démarrage gratuit. La plus grosse innovation : des illustrations en couleur, pour la première fois dans l’histoire du jeu ! Blague à part, les règles de batailles et de sièges ont l’air d’avoir subi un gros lifting, et on pourra enfin jouer des Chevaliers et des personnages qui ne sont pas des hommes sans que le jeu nous répète qu’on n’est pas dans le canon arthurien. Cheh !

Et donc, du côté du planning de parutions, il y aura bien un « Gamemaster’s Handbook » consacré à la création et gestion de campagne, puis un « Noble’s Handbook » consacré aux règles avancées (comprendre : ce qui ne tenait pas dans le premier livre). Il y aura aussi un « Campaign Kit » comprenant l’écran, de quoi générer des PNJ, et la description de la région de Salisbury. Le tout sortira « dès que possible »… Les aficionados se sont déjà jetés sur un (très joli) Starter Set, mais les francophones feraient peut-être mieux d’attendre le calendrier de Deadcrows : l’éditeur de Runequest s’étant déjà positionné pour traduire Pendragon 6E dans la langue de Chrétien de Troyes.

Dark Graal [VO]

C’est bien beau tous ces trucs pas sortis, mais si je veux jouer arthurien là tout de suite et pas du Pendragon, je fais comment ?

Ne ressortez pas tout de suite votre vieille boîte Légendes de la Table ronde par Anne Vétillard ou votre Prince Valiant de Greg Stafford (vous savez, l’adaptation JdR de la BD où les actions sont résolues avec des jets d’une pool de pièces et on compte les faces…). On trouve sur la plateforme Itch.io ce petit jeu qu’on classera sans problème dans la « dark Britannia uchronia ». Arthur et ses chevaliers ont trouvé le Graal, youpi !

Mais c’était en fait un piège, comme d’hab’ en JdR, et l’objet a répandu mort et corruption sur la bonne terre d’Albion. Des Affligés, de « nobles héros qui possèdent encore une once d’humanité » (devinez qui s’y colle ?), vont devoir retrouver Excalibur et détruire le Graal. Ça tient en deux pages format paysage, ça se joue avec un pool de D6 dont on prend le meilleur résultat, autant dire que ça ne vous durera pas toute la vie mais il y a des idées marrantes, comme le « vent maléfique » : à chaque jet, on peut ajouter des dés pour utiliser la magie du « dark Graal » mais il y a des chances pour que le royaume s’enfonce encore plus dans la corruption. C’est signé Scott Malthouse, sympathique auteur du tout autant sympathique Romance of the Perilous Land (petit JDR au parfum légèrement arthurien, dont il faudra causer un jour) chez Osprey, ça pimpera joliment votre campagne med-fan et c’est disponible au prix que voulez en PDF.

 

Voilà ! Avec tout ce choix, ne reste plus qu’à choisir qui vous voulez adouber, ou même les mixer autour d’une grande table (ronde forcément, déso pas déso). Ou alors, vous mettre à écrire un supplément pour D&D 5ème, mais là, on décline toute responsabilité.

LIENS

4 pensées sur “A table (ronde) !

  • 25 février 2024 à 09:37
    Permalink

    On pourrait aussi créditer notre Johan Scipion national et son scénario Camlann pour Sombre Zéro qui a fait le bonheur de centaines de tables de jeu en démo, mais surtout bravo à l’auteur de cet article pour ce très beau panorama !

  • 1 mars 2024 à 12:51
    Permalink

    Et Knight, le jeu de rôle français sur la légende arthurienne, il est où ? Parce que ce me semble, c’est quand même un succès (français), écoulé à plusieurs milliers d’exemplaires et qui parle de la Geste Arthurienne non ? 😉

    • 3 mars 2024 à 10:55
      Permalink

      Bonjour,

      Knight, il est là : https://lefix.di6dent.fr/archives/7399 🙂
      Blague à part ; je confirme que Knight est un bon jeu français et qui parle de la légende arthurienne. Tout comme on aurait pu également citer Wasteland dans le même registre.
      Mais cet article n’est pas un portrait de famille des jeux arthuriens. Il montre que beaucoup de jeux actuel suscite un intérêt pour cette légende.
      C’est une photo prise sur les jeux qui sortent en ce moment et nous avons voulu partager ce constat. D’où la première phase d’introduction 😉

Commentaires fermés.